La Presse Anarchiste

L’exemple irlandais

Une lutte séculaire pour l’indépendance

De
tous les peuples oppri­més, l’un fit particulièrement
preuve d’une per­sé­vé­rance tenace et d’une ingéniosité
sans cesse renou­ve­lée dans la lutte pour sa libération :
c’est le peuple irlan­dais. Et son his­toire est un livre ouvert pour
l’en­sei­gne­ment de tous les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires et
libérateurs.

Comme
en Algé­rie, un peuple de pay­sans s’op­po­sait par ses coutumes,
sa langue, sa reli­gion à des conqué­rants qui peu à
peu s’ins­tal­lèrent en colons dis­po­sant d’énormes
domaines. L’Ir­lande, comme l’Al­gé­rie, était
juri­di­que­ment sou­dée à la « Métropole »
quoique les autoch­tones y gar­dassent un sta­tut à part les
pri­vant des droits des habi­tants de cette métro­pole. L’Irlande
était en fait une colo­nie et son exploi­ta­tion agri­cole et
sociale était pro­fi­table à une Angle­terre en voie
d’in­dus­tria­li­sa­tion, d’en­ri­chis­se­ment et de libéralisation
internes. Selon Macau­lay « La ser­vi­tude de l’Ir­lande était
la condi­tion de la liber­té pour l’Angleterre ».
Depuis tou­jours la poli­tique anglaise avait évi­té toute
« assi­mi­la­tion » de l’Ir­lande à
l’An­gle­terre mais avait ten­du à rava­ler l’île à
un niveau infé­rieur : à celui d’exu­toire pour
l’é­mi­gra­tion et l’exportation.

Un pays conquis

Une
pre­mière révolte ayant été réprimée
grâce à l’é­chec de l’aide espa­gnole en 1600, les
Irlan­dais se sou­le­vèrent à nou­veau en 1641 contre le
Roi d’An­gle­terre. C’est Crom­well qui, en 1649, au nom de la
Répu­blique d’An­gle­terre par­vien­dra à noyer dans le sang
les efforts des Irlan­dais. Ceux-ci sont exter­mi­nés en masse,
beau­coup, spé­cia­le­ment les femmes, sont ven­dus comme esclaves
en Amé­rique, les spo­lia­tions sont innom­brables au pro­fit des
mili­taires qui ont par­ti­ci­pé à l’Expédition
d’Ir­lande et des négo­ciants qui l’ont financée.

« L’Acte
de Paci­fi­ca­tion » de 1652 confis­que­ra les biens des
Irlan­dais parce que catho­liques ; ceux qui n’a­vaient pas pris
part à la rébel­lion reçurent des terres dans la
région la plus recu­lée et la plus pauvre de l’île
(le Connaught). Les autres furent réduits sur leur propre sol
à la condi­tion de « tenanciers »
c’est-à-dire de fer­miers tra­vaillant pour les nouveaux
pro­prié­taires : les colons anglais.

Un
nou­veau sou­lè­ve­ment n’est répri­mé qu’après
2 ans de lutte (1689 – 1691) entre les par­ti­sans de l’ex-roi
d’An­gle­terre et les « oran­gistes » par­ti­sans du
nou­veau roi pro­tes­tant Guillaume d’Orange.

L’Irlande
res­te­ra agri­cole et ne devra faire concur­rence à l’industrie.
Ses manu­fac­tures ont été détruites en 1690.

Le
mécon­ten­te­ment pay­san contre les colons se mani­feste souvent.
Au XVIIIe siècle les « niveleurs »
ou « Whi­te­boys » veulent nive­ler les barrières
des propriétaires.

L’exemple
de la révo­lu­tion amé­ri­caine accroît la
com­ba­ti­vi­té irlan­daise. À l’a­gi­ta­tion rurale des
« coeurs de chêne » s’a­joute en 1779
l’or­ga­ni­sa­tion dans le cadre de la milice légale de 75.000
volon­taires qui avec Grat­tan obtiennent par le simple poids de leur
pré­sence quelques pre­mières réformes.

Dix
ans plus tard la Révo­lu­tion fran­çaise à son tour
sti­mule la résis­tance irlan­daise. Avec les restes dis­sous des
volon­taires est créée en 1791 la société
des « Irlan­dais Unis » par le révolutionnaire
éga­li­taire et athée Wolf Tone.

En
1796 les Irlan­dais Unis sont 500.000, le sou­lè­ve­ment éclate
dans l’Est et le Sud puis dans le Nord avec à sa tête le
« Direc­toire Exé­cu­tif de la République
d’Ir­lande », en liai­son directe avec le Direc­toire de la
Répu­blique Fran­çaise qui envoie trop tard il est vrai
des corps de débar­que­ment. Les « Underdogs »
(Sales chiens), bandes armées de pay­sans sont défaites.
La Révo­lu­tion n’est pas exportable.

En
1795 le Sud se sou­lève encore en vain à l’ap­pel des
Irlan­dais Unis.

La
supré­ma­tie anglaise sera main­te­nue sur ceux que l’on appelait
offi­ciel­le­ment « les anciens habi­tants du pays ».
Le Vice-Roi nom­mé par les Anglais défi­nit lui-même
son gou­ver­ne­ment comme « une gar­ni­son pro­tes­tante qui
tient la terre, la magis­tra­ture et le pou­voir dans le pays, garantie
dans cette pos­ses­sion par la puis­sance et la suprématie
bri­tan­nique et à chaque ins­tant prête à écraser
tout sou­lè­ve­ment des vaincus ».

En
1801 pour se débar­ras­ser des der­niers ves­tiges légaux
de par­ti­cu­la­risme, l’« Union » est proclamée
entre l’An­gle­terre et l’Ir­lande. « Union du requin et de
sa proie » dira Byron. Le par­le­ment irlan­dais est
sup­pri­mé. L’Ir­lande enver­ra une petite mino­ri­té de
dépu­tés au Par­le­ment anglais et tout sera réglé
à Londres.

En
1803 les der­niers « Irlan­dais Unis » avec le
mot d’ordre « Indé­pen­dance Natio­nale et Liberté
de Conscience » font une vaine ten­ta­tive de coup de force
contre le Châ­teau de Dublin pour s’emparer du Vice-Roi. Leur
chef R. Emmet sera pendu.

Liberté de conscience et légalisme

Au
XIXe siècle la lutte libé­ra­trice porta
d’a­bord sur la ques­tion reli­gieuse. En effet les Irlan­dais étaient
en grande majo­ri­té catho­liques. Or seuls des protestants
pou­vaient être élus, avoir accès à la
fonc­tion publique, aux pro­fes­sions libé­rales, etc. Et, d’autre
part chaque Irlan­dais devait payer un lourd impôt
la Dîme — à la seule Église « établie »
(offi­cielle) : l’é­glise angli­cane. Un essai de concordat
visant à faire aus­si de l’É­glise catho­lique un pilier
du régime bri­tan­nique en Irlande fut pro­po­sé par le
gou­ver­ne­ment anglais (Pitt) à la hié­rar­chie catholique
locale et romaine qui était bien enten­du dis­po­sée à
l’ac­cep­ter. Cette nou­velle alliance du trône et de l’au­tel fut
tenue en échec par l’o­pi­nion populaire.

L’« Association
Catho­lique » fon­dée en 1823 pre­nait avec O’Connell
l’as­pect d’un vaste mou­ve­ment de masse. Par une cam­pagne d’élections
elle par­vint à exi­ger des can­di­dats un enga­ge­ment en faveur de
l’é­man­ci­pa­tion des catho­liques. De grands propriétaires
furent bat­tus en 1828. O’Con­nell fut élu, refu­sa de prêter
ser­ment de fidé­li­té à la « succession
pro­tes­tante ». Son élec­tion annu­lée il fut
réélu. La guerre civile allait-elle se rallumer ?
L’é­man­ci­pa­tion des catho­liques fut accor­dée en 1829,
nou­velle étape de ce que les Anglais appe­lèrent « la
poli­tique des caresses et des coups de pieds ».

Puis
à par­tir de 1831 – 32 fut orga­ni­sée la grève de la
Dîme. Les Irlan­dais ne payèrent plus l’im­pôt au
cler­gé qui rap­por­ta en 1834 seule­ment un hui­tième de
son taux. Une pre­mière réforme fut pro­mul­guée en
1834 et une seconde en 1838 réser­va son paie­ment aux
pro­prié­taires, les pay­sans béné­fi­ciant en plus
de l’am­nis­tie fiscale.

L’agitation
quit­ta alors le plan de l’op­po­si­tion reli­gieuse. O’Con­nell avec la
« Ligue pour l’a­bo­li­tion de l’U­nion et l’indépendance
irlan­daise » orga­ni­sa une cam­pagne monstre de meetings
pour une Conven­tion Natio­nale. L’un en 1843 ras­sem­bla 250 000
per­sonnes et le sui­vant devait en réunir un mil­lion quand il
fut inter­dit sous la menace d’une inter­ven­tion de l’artillerie.
O’Con­nell recu­la devant l’é­preuve de force et dis­pa­ru peu
après de la scène. D’autres mou­ve­ments allaient naître,
d’autres ques­tions allaient se poser et sur­tout la ques­tion agraire.

Lutte
agraire ou politique ?

Toutes
les terres du pays appar­te­naient à 19 000 propriétaires
dont moins de 4 000 déte­naient 80 % des terres
culti­vées. En face de cette toute petite oli­gar­chie foncière
d’o­ri­gine étran­gère, un peuple entier de plusieurs
mil­lions d’ha­bi­tants était réduit à l’état
de tenan­ciers répar­tis en 5 classes plus ou moins défavorisées
sui­vant la lon­gueur du bail et sou­mis à l’« éviction »
c’est-à-dire à être chas­sés de la ferme
quand il plai­sait au pro­prié­taire de rési­lier le bail.

Depuis
long­temps les plus misé­rables des pay­sans accu­lés à
l’illé­ga­li­té se regrou­paient en sociétés
secrètes comme les « Rib­bo­men » et se
réfu­giaient dans le bri­gan­dage, le sabo­tage, les crimes
agraires aux cris de « No Pro­per­ty » (pas de
Pro­prié­tés). Des polices spé­ciales avaient été
créées contre eux, véri­tables corps
d’occupation.

Les
famines deve­naient de plus en plus fré­quentes ; une
grande par­tie de la popu­la­tion devait choi­sir entre la mort ou
l’é­mi­gra­tion. L’Ir­lande est le seul pays d’Eu­rope dont la
popu­la­tion ait décru au XIXe siècle passant
de 8,5 mil­lions en 1845 4,4 mil­lions en 1901, alors que celle de la
Grande Bre­tagne allait de 25 à 40 mil­lions entre les mêmes
dates, et qu’au XVIIIe siècle elle n’at­tei­gnait pas
le double de celle de l’Ir­lande (res­pec­ti­ve­ment 8 et 4,5 millions).
Dans les trois années pré­cé­dant 1848 la famine
redou­bla ain­si que les sou­lè­ve­ments armés, les
attaques, la répres­sion, les déportations.

En
1848 alors que toute l’Eu­rope s’en­flam­mait un mou­ve­ment bien qu’à
l’o­ri­gine plus lit­té­raire et roman­tique que poli­tique et, en
cela frère de tous les mou­ve­ments contem­po­rains (Jeune Europe,
Jeune Ita­lie, Jeune Alle­magne, Jeune Hon­grie, etc.) la Jeune Irlande
ten­ta une insur­rec­tion géné­rale. Seule la pro­vince Sud,
le Muns­ter se sou­le­va et aucun appui ne vint des autres révolutions
d’Europe.

En
1850 est créée la « Ligue pour les droits
des tenan­ciers ». Mais déjà il apparaît
que le pro­blème agraire ne pour­ra être résolu
iso­lé­ment par des réformes. Le sort des pay­sans est lié
à celui du peuple irlan­dais entier, se débar­ras­ser des
pro­prié­taires ter­riens c’est se sépa­rer de
l’Angleterre.

Les
Irlan­dais reçoivent alors l’aide de quelques-uns des plus
déci­dés d’entre eux, de ceux qui ont le plus
d’ex­pé­rience poli­tique et aus­si le plus de ressources
finan­cières et de moyens mili­taires : les Irlan­dais des
États-Unis. Avec leur appui est fon­dée l’I.R.B.
(Fra­ter­ni­té Répu­bli­caine Irlan­daise) dont les membres
sont appe­lés les fenians du nom d’un ancien héros
celte. Les fenians se livre­ront à une métho­dique et
pro­gres­sive pré­pa­ra­tion de l’ac­tion révolutionnaire
clan­des­tine et publique : un enter­re­ment leur four­nit en 1861
l’oc­ca­sion d’un ras­sem­ble­ment de 100 000 per­sonnes à
Dublin. Ils allient la lutte pour la terre à la lutte pour la
république.

En
1867 le sou­lè­ve­ment géné­ral qu’ils ont préparé
échoue en Irlande mais ils portent la guerre en Angle­terre où
tra­vaillent des dizaines de mil­liers d’Ir­lan­dais. Ils essaient de
prendre d’as­saut des arse­naux (Ches­ter), des pri­sons (Man­ches­ter),
d’en faire sau­ter d’autres (Londres).

Après
une dure répres­sion le gou­ver­ne­ment anglais alors libéral
avec Glad­stone, tente de se ral­lier les Irlan­dais par des lois de
réforme notam­ment en faveur des tenan­ciers (1869) mais qui
sont bien­tôt tour­nées par les propriétaires.

Réforme ou révolution ?

Le
syn­di­ca­liste ouvrier Davitt crée la Ligue Agraire (Land
League) en 1879 tan­dis que l’i­dée de l’au­to­no­mie (Home Rule)
fait des pro­grès et que se crée un Par­ti Irlan­dais. Ce
par­ti bien enten­du mino­ri­taire à Londres invente et met au
point la tech­nique de l’obs­truc­tion par­le­men­taire. Puisque le
par­le­ment anglais ne veut rien faire pour les Irlan­dais ceux-ci
l’empêcheront de s’oc­cu­per même des affaires anglaises.
Uti­li­sant toutes les res­sources du règle­ment ils bloqueront
tous les débats de la Chambre en occu­pant la tri­bune à
tour de rôle par des dis­cours sans fin, des amendements
répé­tés, etc. Le règle­ment devra donc
être réfor­mé et le Par­ti Irlan­dais essaye­ra alors
d’une tac­tique de bas­cule entre les deux grands par­tis en se faisant
l’ar­bitre des majorités.

Mais
la lutte s’exas­père en Irlande. Les pay­sans résistent
aux évic­tions. En 1880 est inven­té le boy­cott du nom
d’un pro­prié­taire par­ti­cu­liè­re­ment dur, à qui
per­sonne ne par­le­ra, n’a­chè­te­ra, ne ven­dra quoi que ce soit,
pour qui per­sonne ne tra­vaille­ra et qui fina­le­ment sera ain­si obligé
par les pay­sans à quit­ter le pays. Deux années plus tôt
un Lord pro­prié­taire haï avait été
assas­si­né sans que jamais on ne trou­vât de coupables.

La
Ligue Agraire est dis­soute, le chef du Par­ti Irlan­dais Par­nell « le
roi sans cou­ronne de l’Ir­lande » empri­son­né. La
soeur de ce der­nier prend alors la tête du mouvement.

La
socié­té des « invincibles »
orga­nise le ter­ro­risme. Le secré­taire d’É­tat à
l’Ir­lande, sorte de Ministre-résident est tué (1882)
des atten­tats à la dyna­mite contre le Minis­tère de
l’In­té­rieur à Londres (1883) ou à la Chambre des
Com­munes (1885) font trem­bler le pou­voir. Les lois de répression
suc­cèdent aux lois d’ex­cep­tions, « lois de
coer­ci­tions », lois scé­lé­rates (crimes
Bill). Les cours mar­tiales siègent pen­dant trois ans.

À
la Ligue Agraire a suc­cé­dé la « Ligue
Natio­nale » qui lance un « plan de campagne »
syn­di­ca­liste paysan.

Le
gou­ver­ne­ment anglais devient de plus en plus instable et divisé.
Le lea­der libé­ral Glad­stone ayant accep­té le principe
de l’au­to­no­mie « Home Rule » son par­ti est
vic­time d’une scis­sion de la part des « unionistes »
qui veulent gar­der l’Ir­lande unie à l’An­gle­terre et appuient
les conser­va­teurs et la répression.

En
1888 le pape lui-même, à la demande du gouvernement
anglais, a lâché les Irlan­dais et par une encyclique
condam­né la lutte natio­nale, le Par­nel­lisme et la Ligue
Agraire entraî­nant une scis­sion dans le Par­ti Irlan­dais du Home
Rule. Des lois en faveur des tenan­ciers arrivent à passer
(1885, 1891, 1903, 1909), per­met­tant le RACHAT des terres par les
pay­sans : l’É­tat prête aux pay­sans et donne des
primes aux pro­prié­taires. Les conser­va­teurs espèrent en
effet « tuer le Home Rule par de bons procédés »
c’est-à-dire réa­li­ser la réforme agraire pour
faire oublier la réforme politique.

Le
pro­jet de loi de Home Rule pré­sen­té par les trois
gou­ver­ne­ments libé­raux suc­ces­sifs est repous­sé, au
cours d’in­ter­mi­nables et pas­sion­nés débats d’opinion
ana­logues à ceux de l’ac­tuelle Loi-Cadre en France, en 1886
par les chambres, en 1892 accep­té par les Chambres mais rejeté
par les Lords, en 1905 encore adop­té par les Chambres mais
reje­té par les Lords en 1912 et 1913. Ce qui décidera
les Libé­raux à refor­mer la Chambre des Lords, si bien
que le veto de cette Chambre haute étant deve­nu sus­pen­sif la
loi le Home Rule pour­ra enfin être signée en septembre
1914. Mais d’autres évé­ne­ments ont sur­gi dans le monde
et en Irlande ren­dant la réforme vaine et dépassée.

Les
len­teurs et l’é­chec de l’ac­tion par­le­men­taire ont poussé
l’Ir­lande à se replier sur elle-même dans l’action
révo­lu­tion­naire et le séparatisme.

Retour à l’action révolutionnaire

En
1893 est fon­dée la Ligue Gaé­lique qui entre­prend de
défendre la langue irlan­daise celte. Alors qu’en 1800 encore
la moi­tié des Irlan­dais la par­laient, les famines,
l’é­mi­gra­tion, les évic­tions, les persécutions
diverses on fait que seule­ment un quart en 1851 et un huitième
en 1911de la popu­la­tion reste d’ex­pres­sion gaé­lique (celte).
Des cours pour adultes sont ouverts en liai­son avec la « Société
pour l’Or­ga­ni­sa­tion Agri­cole Irlan­daise » fon­dée en
1894 par Plum­kett et qui jette les bases d’un vaste mouvement
coopé­ra­tif. S’ap­puyant sur ces deux orga­nismes Griffith,
s’ins­pi­rant des expé­riences sud-afri­caine et hon­groise, fonde
le SINN-FEIN tra­duc­tion gaé­lique du mot d’ordre hon­grois Deak
« Soi-même » que l’on peut rap­pro­cher de
la devise du Risor­gi­men­to « l’I­ta­lia Fara da se ».
Le Sinn Fein refuse les com­pro­mis et les trac­ta­tions et veut donner
aux Irlan­dais la force de s’or­ga­ni­ser par eux-mêmes sur place
par la résis­tance pas­sive (ces­sa­tion du paie­ment des impôts,
etc.) et le boy­cott de ce qui est anglais. « Vivre en
Irlande comme si les Anglais n’exis­taient pas. » Procédés
qui seront prô­nés avec com­bien de suc­cès par le
tol­stoïen Gandhi.

Si
le Sinn Fein deman­dait plus que la simple auto­no­mie du Home Rule, et
pré­co­ni­sait le sépa­ra­tisme et une République
indé­pen­dante, sur le plan social il était lui-même
à son tour dépas­sé par le mou­ve­ment ouvrier. Et
à par­tir d’août 1913 les grèves de Dublin
deve­naient de plus en plus mena­çantes pour le régime,
l’i­dée de la « Répu­blique des travailleurs »
prô­née par J. Lar­kin fai­sait son che­min, avec l’appui
d’ailleurs du mou­ve­ment ouvrier syn­di­ca­liste et socia­liste anglais.
Les ouvriers s’arment et forment l’I.C.A. (l’Ar­mée citoyenne
irlan­daise) ayant à sa tête Conol­ly puis bientôt
le fenian Pearse.

Mais
les ouvriers ne sont pas les seuls à s’ar­mer. La politique
anglaise est enfin par­ve­nue à crier une divi­sion dans le
peuple irlan­dais. Son appui elle l’a cher­ché dans une partie
de la popu­la­tion de l’Ul­ster, Nord du pays des­cen­dant d’immigrants
écos­sais pro­tes­tants tra­di­tion­nel­le­ment « Orangistes »
et ayant tou­jours joui d’un régime social et agraire
pri­vi­lé­gié. Ces « Orangistes »,
avec Car­son, lèvent 80 000 mili­ciens d’une « armée
volon­taire ». En réponse Red­mond lève
100 000 volon­taires natio­na­listes. Les uns et les autres
cherchent à impor­ter clan­des­ti­ne­ment des armes d’Allemagne.
Bien enten­du les forces armées anglaises inter­cep­taient et
pour­chas­saient l’ar­me­ment des natio­na­listes tan­dis qu’elles
lais­saient faire les oran­gistes et refu­saient même de
« main­te­nir l’ordre » en Ulster.

À
la fin juillet 1914 toute conci­lia­tion est recon­nue comme impossible
et éclatent les pre­mières escar­mouches de la guerre
d’indépendance.

Au
même moment com­mence la Pre­mière Guerre mon­diale. Le
gou­ver­ne­ment anglais fait appel aux Irlan­dais en échange du
Home Rule pro­mis. Bien que la farce soit usée elle prend quand
même un peu. Les Volon­taires de Red­mond se divisent :
cer­tains avec leur chef acceptent de défendre leur oppresseur
sécu­laire et une royau­té haïe contre une Allemagne
avec qui ils n’ont jamais eu aucun démê­lé. Ils
prennent le nom de « Volon­taires Natio­naux » et
envoient deux divi­sions en Europe. Les autres avec la jeunesse
consi­dé­rant que toute dif­fi­cul­té de l’An­gle­terre est
une occa­sion pour l’Ir­lande res­tent sur place pour pré­pa­rer la
guerre civile sans par­ti­ci­per au conflit mon­dial et s’or­ga­nisent en
« Volon­taires irlan­dais ». Le gouvernement
anglais en guerre contre la « Triple:-Alliance »
redoute plus que tout la pos­sible « Triple-Alliance
inté­rieure contre la guerre » celle des Mouvements
Ouvrier, Irlan­dais et Fémi­niste. Pour faire patien­ter les
Irlan­dais. Il pro­mulgue enfin la loi de Home Rule en sep­tembre 1914.
Tout en sus­pen­dant son
appli­ca­tion à cause de la guerre.
l’Ir­lande ne sera encore même pas autonome. 

L’action
révo­lu­tion­naire est de plus en plus proche. Case­ment part en
mis­sion auprès des fenians d’A­mé­rique pour trou­ver des
sub­sides et dans les camps de pri­son­niers irlan­dais en Allemagne
lever des com­bat­tants, il trouve sur­tout 20 000 fusils. Le
sou­lè­ve­ment géné­ral est pré­vu pour Pâques
1916 par les Volon­taires. L’é­chec du débar­que­ment des
fusils le fait décom­man­der. Seule la sec­tion de Dublin des
volon­taires part à l’at­taque. Les bâti­ments publics de
la capi­tale sont pris sauf le Châ­teau. La Répu­blique est
pro­cla­mée. Les Anglais mettent sept jours à reconquérir
la ville. Pearse devenu
com­man­dant en chef de l’I.R.A. (Armée Républicaine
Irlan­daise, héri­tière de l’I.R.B. et de l’I.C.A.) et
Pré­sident du gou­ver­ne­ment pro­vi­soire
Conol­ly et 5 autres orga­ni­sa­teurs de l’in­sur­rec­tion sont fusillés.

Après
la répres­sion les Anglais tentent en vain de réunir une
Conven­tion. Le Sinn Fein, vain­queur des élec­tions refuse de
sié­ger. Le gou­ver­ne­ment anglais essaye aus­si d’im­po­ser la
conscrip­tion obli­ga­toire. Le Sinn Fein déclare y oppo­ser une
résis­tance active. Les volon­taires repa­raissent L’épiscopat
lui-même nie au gou­ver­ne­ment le droit de lever des conscrits.
L’ar­mis­tice de 1918 sur­vient alors.

Le choc décisif

Avant
la fin de l’an­née des élec­tions générales
sont gagnées par le Sinn Fein. Il refuse à nou­veau de
sié­ger à West­mins­ter et réunit les députés
à Dublin en « Dail », Assemblée
d’Ir­lande qui s’af­firme la conti­nua­tion de la République
pro­cla­mée en 1916. C’est la nais­sance d’un deuxième
pou­voir qui conteste le pou­voir offi­ciel. De Vale­ra président,
empri­son­né s’é­vade et recueil aux États-Unis le
pre­mier emprunt de la Répu­blique. Le pays est en proie à
une gué­rilla géné­rale, les sabo­tages sont
innom­brables. L’Ar­mée anglaise ne suf­fit plus. Des corps
spé­ciaux de police sont créés comme. les « Black
and Tan », les « Noirs et Bruns ».
(selon leur uniforme).

Finalement
l’im­pé­ria­lisme bri­tan­nique se décide à faire la
part du feu. Le par­tage de l’Ir­lande ou « Partition »
est déci­dé en 1920. Un Home Rule miti­gé est
accor­dé… au Nord. En effet, les Anglais peuvent comp­ter sur
la pas­si­vi­té de la par­tie pro­tes­tante de la popu­la­tion et
l’aide des « Oran­gistes » pour gar­der le
contrôle de la région de Bel­fast où sont leurs
plus consi­dé­rables inves­tis­se­ments capi­ta­listes (usines de
tex­tile, pre­mier chan­tier naval du monde, etc.). La province
sep­ten­trio­nale sera donc décou­pée : 6 comtés
de l’Ul­ster sur 9 seront déta­chés du reste de l’île.
2 autour de Bel­fast à majo­ri­té net­te­ment oran­giste, 2
en arrière d’a­vis par­ta­gé et 2 autres net­te­ment contre
le par­tage. Tant bien que mal, par le bon vou­loir de l’impérialisme
ils for­mèrent une enti­té admi­nis­tra­tive nouvelle
« L’Ir­lande du Nord » qui reçut un
Par­le­ment à Stor­mont en 1921.

Dans
le Sud aux élec­tions de la même année tous les
can­di­dats répu­bli­cains sont élus sans concur­rents. Par
les négo­cia­tions de Londres (1921) les Irlan­dais sont
contraints de choi­sir entre le sta­tut de Domi­nion ou une « guerre
immé­diate et ter­rible » selon la menace du
gou­ver­ne­ment tou­jours libé­ral de Lloyd George.

La
plus grande par­tie du pays for­me­ra l’É­tat libre d’Ir­lande ou
Eire au sein de l’empire bri­tan­nique et devra recon­naître la
Par­ti­tion. Le Sinn Fein se divise entre ceux qui acceptent la
rati­fi­ca­tion avec Gif­fith et ceux qui refusent avec De Vale­ra et
reprennent les armes.

Une
nou­velle guerre civile éclate, qui dure­ra un an, au cours de
laquelle les Anglais prennent une deuxième fois Dublin contre
les Républicains

En
1923 les répu­bli­cains avec De Vale­ra acceptent le
cesses-le-feu tout en gar­dant les armes. En 1926 De Vale­ra se
ral­lie­ra à son tour au régime lais­sant seuls dans
l’op­po­si­tion contrainte à nou­veau à la clandestinité
les extré­mistes du Sinn Fein avec l’Ar­mée Républicaine
I.R.A. Il par­ti­ci­pe­ra au pou­voir et à la répression
contre les grou­pe­ments d’ex­trême gauche républicains,
fémi­nistes, com­mu­nistes agraires. Il gou­ver­ne­ra même
seul avec son par­ti de 1932 à 1948. En 1939 les atten­tats ont
repris en Irlande du Nord et même en Grande Bre­tagne. De tous
les Domi­nions l’Eire refu­se­ra seule d’en­trer en guerre. En 1949 la
Répu­blique est pro­cla­mée. L’Ir­lande quitte le
Com­mon­wealth. Seule­ment les 6 com­tés du Nord res­tent rattachés
au « Royaume-Uni de Grande-Bre­tagne et d’Ir­lande du Nord »
avec une cer­taine auto­no­mie que n’ont jamais reçue aucune
autre par­tie de l’U­nion ni l’É­cosse ni le pays de Galles !
C’est là que l’I.R.A. conti­nue son action révolutionnaire.

Seulement un État
de plus ?

Ainsi
les Irlan­dais achèvent-ils sous nos yeux un long processus
d’é­man­ci­pa­tion que l’on peut appe­ler aus­si une révolution.
Expé­rience pas­sion­nante d’un peuple ayant éprouvé
et sou­vent inven­té tous les moyens de lutte légaux ou
illé­gaux, vio­lents ou non-vio­lents, depuis la grève de
l’im­pôt, le boy­cott des biens et des gens, les manifestations
de masse jus­qu’à la grève ouvrière et la grève
armée, toutes les tac­tiques par­le­men­taires de la collaboration
gou­ver­ne­men­tale jus­qu’à l’obs­truc­tion systématique,
tous les sabo­tages poli­tiques et éco­no­miques depuis le coup de
force iso­lé, l’at­ten­tat indi­vi­duel jus­qu’au ter­ro­risme, à
la gué­rilla et au sou­lè­ve­ment généralisé ;
tous les modes d’or­ga­ni­sa­tion : socié­tés secrètes,
ligues natio­nales ou reli­gieuses, par­tis clan­des­tins ou déclarés,
syn­di­cats agri­coles ou ouvriers, for­ma­tions armées officielles
ou secrètes ; tous les appuis à l’intérieur
comme à l’ex­té­rieur depuis l’o­pi­nion publique,
popu­laire, ouvrière ou libé­rale du pays impérialiste
lui-même jusqu’auprès des émi­grants installés
dans ce pays ou ailleurs, auprès de tous les autres peuples en
révo­lu­tion comme auprès, même, d’impérialismes
rivaux.

Si
le résul­tat final un
État irlan­dais et une classe diri­geante irlan­daise
n’a rien en soi qui satis­fasse l’a­nar­chisme, du moins cette lutte
vaut par elle-même notre admi­ra­tion, par l’énergie
popu­laire qu’elle a nour­rie, mais aus­si par ce qu’elle a conquis :
la Terre et la Liber­té. La terre à celui qui la
tra­vaille, la liber­té d’être soi-même avec ses
carac­tères natio­naux. Assu­ré­ment la petite propriété
même tem­pé­rée de coopé­ra­tisme n’est pas un
idéal suf­fi­sant et d’autres liber­tés sont nécessaires.
Cette révo­lu­tion, comme beau­coup d’autres, a ame­né une
nou­velle classe au pou­voir, mais un peuple a fait un pas de plus pour
sai­sir en main ses destinées.

Un
peuple de pay­sans certes plus « arriéré »
que la nation domi­nante, alors la plus « avancée »
du monde, a tenu tête au siècle du pro­grès au
pre­mier pays indus­triel, à la plus grande puis­sance militaire
seule­ment sépa­rés par un seul bras de mer. Bien qu’en
proie à la plus obs­cu­ran­tiste et à la plus totalitaire
des reli­gions, le catho­li­cisme, il a eu rai­son du plus libéral
des régimes poli­tiques de ce temps, il a eu rai­son contre lui,
jus­te­ment parce que son état même de pays sous-développé
était un témoi­gnage, un reproche vivant à
l’im­pé­ria­lisme, à la civi­li­sa­tion moderne imposée
de l’extérieur.

Comme
les Polo­nais face aux Alle­mands ou les Algé­riens face aux
Fran­çais ils avaient la rai­son de ceux qui n’ont rien d’autre
que leur faim et leur révolte.

J.P

La Presse Anarchiste