Open Road,
automne 1977
« C’est
un commentaire sur le peu de force avec laquelle les théories
combattent les inhibitions. Vous voilà vous, un anarchiste,
fermement convaincu de la liberté extrême de l’individu,
et cependant vous continuez à glorifier la femme cuisinière
et nourrissant une grande famille. Ne voyez-vous pas l’inconséquence
de vos revendications ? Mais les inhibitions et les traditions
de mâles sont trop profondes. Je crains qu’elles ne persistent
bien longtemps après l’établissement de l’anarchisme
(…) » (Emma Goldman à Max Nettlau ).
La seconde vague du
féminisme américain est née dans les années
soixante au milieu d’une génération de femmes qui
avaient acquis leur expérience politique dans la « Nouvelle
Gauche » [[Mouvement apparu à cause du malaise dans
les universités et de l’opposition à la guerre du
Vietnam]]. Cette expérience a laissé chez beaucoup
d’entre elles le sentiment aigri que les plans économique et
politique n’étaient pas suffisants pour une révolution.
Et que toute révolution réelle devrait être
sociale tout en incluant la voie pour que les rapports humains soient
structurés et ressentis.
Bien sûr, le
concept de révolution sociale n’était pas nouveau.
Révolution sociale était le terme utilisé par
les anarchistes depuis la moitié du XIXe
siècle. Le concept de la personne comme politique et de la
politique comme personne n’était pas non plus nouveau. Les
anarchistes, en particulier les femmes anarchistes luttent pour cet
idéal depuis un siècle. Ce n’est pas un hasard si
Louise Michel s’opposa aux hommes dans la Commune de Paris qui ne
permettaient pas aux prostitués de soigner comme infirmières
les soldats blessés, ou si Emma Goldman était aussi
redoutée par ses ennemies pour sa défense de l’amour
libre et la limitation des naissances que pour ses vues sur l’État.
La seconde
vague
Au début du
mouvement féministe la séparation entre les féministes
radicales ou révolutionnaires et les féministes
libérales apparut rapidement. Mais la rupture parmi les
féministes radicales fit également surface rapidement.
Dès 1969 le manifeste de « L’Union de la Majorité
des Femmes » de Seattle — connu comme le manifeste de
Lilith — déclarait : « Cette révolution
est partie pour de bon. Le pouvoir pour personne et pour tous. Pour
tous le pouvoir sur sa propre vie et pas celle des autres ».
La même année, l’assemblée des femmes déclarait
dans YIP dans un style un peu plus dadaïste : « L’assemblée
de la libération des femmes dans le cadre du Parti
International de la Jeunesse — YIP — après l’analyse
rigoureuse des pensées de Mao, Susan B. Anthony, Che, Lénine
et Groucho, se considère obligée par la nécessité
historique de devenir le parti d’avant garde de la révolution
des femmes progresistes, parce-que nous sommes supérieures ».
Un an plus tard les
groupes (sabbaths) de la Sorcière-WITCH- Women’s International
Terrorist Conspiracy from hell (conspiration terroriste
internationale de l’enfer) avaient jailli dans toute l’Amérique
du Nord déclarant ouvertement la guerre aux institutions
deshumanisées de la United Fruit Company [[Fameuse compagnie
exploitant la banane et autres fruits en Amérique Latine.]],
aux sexistes. « Tout ce qui est répressif,
uniquement orienté par/pour le mâle, cupide, puritain,
autoritaire, tels sont nos buts ». Un style commun
unissait les groupes et les faisait connaître à la vaste
communauté des femmes ; ces camarades étaient
implacables, avec le sens du théâtre et de l’humour,
dans leur militantisme. Chaque groupe était autonome, bien que
beaucoup fussent en contact étroit, et tous étaient
« non hiérarchiques d’un point de vue
anarchiste ».(…)
De
nombreuses discussions commencèrent à apparaître
sur les différences historiques entre le marxisme-léninisme
et l’anarchisme. Par la suite, des vues opposées sur les
rapports entre les racines psychologiques de l’oppression,
l’activisme politique et l’organisation divisèrent ces deux
secteurs. Les femmes anarchistes ainsi que beaucoup de féministes
radicales développèrent par la suite l’analyse qu’Emma
Goldman avait faite des années auparavant, à savoir que
« la révolution doit être essentiellement un processus de
reconstruction… que le seul but de la révolution doit être
la transformation ». Pour Goldman, ainsi que pour les
antiautoritaires d’aujourd’hui, cela impliquait des rapports
personnels entre chacun, avec son propre corps et son esprit, tout
autant qu’avec les institutions sociales et politiques.
Le résultat
de cette démarche tant personnelle que politique permit aux
femmes de consacrer du temps à leur créativité
sans avoir à penser qu’elles abandonnaient « le
mouvement ». La poésie, l’art, le théâtre,
la danse, tout commençait à devenir des formes
politiques de l’expression par la créativité
personnelle. La nouvelle société avait commencé
à prendre forme dans le ventre de l’ancienne. « Je
ne peux m’imaginer une société libre sans beauté,
car à quoi bon être libre, si ce n’est pour tendre au
beau ?…à la beauté de la personnalité,
aux rapports humains et aux plus belles choses de la vie ».
(Goldman) Louise Michel exprimait le même sentiment quelque peu
différemment lorsqu’elle disait : « Je suis
donc anarchiste parce que seul l’anarchisme signifie le bonheur de
l’humanité ».
L’accent sur le
domaine personnel et politique a toujours été un
élément de l’anarchisme. Cependant, parmi les hommes
anarchistes la pratique n’a jamais été appliquée
de façon significative. De nombreux arguments de Goldman et de
Berkman, qui ont tous deux insisté sur les rapports
personnels, ainsi qu’une grande partie de l’aliénation des
féministes anarchistes par rapport aux hommes anarchistes,
répètent ce problème. « Et nous ne
devons pas nous leurrer en considérant les écrits
passés de femmes dans le mouvement anarchiste. Les
supériorités féminines n’étaient pas
ressenties plus positivement par les hommes anarchistes que par tous
les autres hommes des cercles socialistes… Il est évidemment
faux que les hommes anarchistes aient mené une vie compatible
en pratique avec leurs théories, et les implications qu’elles
entraînaient. » (Leighton)
En route
Le début des
années soixante-dix marqua la période consciente de
l’anarchisme féministe. Un manifeste écrit par un
groupe de femmes à Chicago se donnait comme but la destruction
de « tous les vestiges du pouvoir mâle dominateur,
l’État lui-même, avec sa structure ancienne et lugubre
de prison, d’armés et de vols armés (les impôts) ;
avec tous ses meurtres ; avec tout son grotesque, sa législation
répressive et ses entreprises militaires… qui s’oppose à
la vie privée et aux aventures coopératives librement
choisies ».
Un autre manifeste
écrit par Black Marie et Red Rosia à Cambridge
commençait : « En tant que véritables
anarchistes et en tant que véritables féministes, nous
disons oser rêver l’impossible et ne jamais demander moins que
le passage total de l’impossible dans la réalité. »
L’anarchisme
naissant, de nombreuses féministes radicales étaient
devenus conscientes et les femmes sentaient que c’était un pas
important dans l’expression de leur politique.
« Ayant
perçu qu’il y a des tendances anarchistes “naturelles”
dans le mouvement de femmes, une anarcha-féministe est
quelqu’un qui s’identifie intellectuellement aux aspects principaux
de la tradition intellectuelle du radicalisme anarchiste. Si
l’anarchisme avait été mieux connu en tant que
tradition radicale, le terme “anarcho-féministe” aurait
été évident … quelqu’un qui a choisi
d’utiliser une méthode d’analyse intellectuelle particulière
pour aider au développement de la théorie et de la
stratégie féministes ». (Peggy Kornegger).
Le féminisme
anarchiste n’a pas un ensemble théorique développé.
Cependant il est devenu plus clair pour les féministes que les
théories de la libération qui se développent en
dehors du féminisme, ont un lien vital avec les théories
anti-autoritaires de l’anarchisme. Dans l’article « L’anarchisme :
la liaison féminine » Kornegger déclare :
« Vivant au sein d’une société autoritaire
et étant conditionnées par elle, nous nous sommes
souvent empêchées de voir le rapport très
important entre le féminisme et l’anarchisme. Lorsque nous
disons que nous combattons le patriarcat, il n’est pas toujours clair
pour nous toutes que cela signifie combattre toute hiérarchie,
toute autorité, tout gouvernement, et l’idée même
d’autorité. Nos tendances au travail collectif et aux groupes
sans chef ont été anarchistes, mais dans la plupart des
cas nous ne les avons pas appelés par leur nom. Et c’est
important parce qu’une compréhension du féminisme comme
anarchisme peut sortir les femmes du réformisme et des mesures
bouche-trous et les amener à une confrontation révolutionnaire
avec la nature même de la politique autoritaire ».
Ce qui se fait
Les féministes
anarchistes se définissent de plusieurs manières.
Certaines sont lesbiennes, d’autres sont hétérosexuelles.
Certaines ne travaillent qu’avec des femmes, d’autres à des
groupes mixtes ; certaines se concentrent sur des publications
adressées aux femmes presque exclusivement, d’autres sur le
nucléaire. Toutes voient la nécessité d’une
variété de militantisme qui permette l’expression la
plus large possible de l’activité politique dans des groupes
qui y trouvent une satisfaction personnelle. La variété
et la multiplicité du travail dans lequel différentes
femmes sont engagées est suffoquante.
Périodiquement,
un bulletin appelé « Anarcha-feminist notes »
est publié par un collectif qui se sent capable de le faire.
La principale adresse est c/o Karen Johnson, 1821 8th.St., Des
Moines, Iowa. Car la localisation de la publication change à
chaque numéro. Elle sert surtout de réseau de
communication entre les femmes.
Le dernier numéro
de « Anarcha-feminist Notes » a été
publié par Tiamat, un groupe d’étude et d’action
d’Ithaca, dans l’État de New-York. La plupart des activités
du groupe portent sur des actions qui impliquent des gens qui ne sont
pas anarchistes. Certaines actions sont faites en tant que groupe,
d’autres par des individues. Les femmes se décrivent ainsi :
« Nous vivons à Ithaca comme lesbiennes ou
bisexuelles, en couples étroits avec des enfants, ou seules,
ou en maisons coopératives. Nous travaillons toutes beaucoup,
certaines régulièrement…
Comme Tiamat, des
groupes d’études anarcha-féministes surgissent partout.
Ces trois derniers mois, deux groupes semblables se sont formés
à Seattle et d’autres à Montréal et à
Vancouver. Ces groupes se sont en partie formés à
cause de la désillusion crée par les groupes de femme
qui implicitement assument une définition du socialisme qui
exclut l’anarchisme et qui est par nature hiérarchique. (…)
Les anarchistes et
les anarcha-féministes sont engagés dans des
coopératives alimentaires et des cliniques alternatives dans
tous les États-Unis. Un des fondateurs d’un refuge pour femmes
agressées, à Cambridge, est anarchiste est décrit
cet abri comme étant essentiellement anarchiste dans son
fonctionnement. À Seattle et à Boston, des cliniques et
des cliniques de femmes, qui s’opposent au système
gouvernemental qui refuse l’hospitalisation sans apport financier
individuel, sont gérées par des collectifs et
comprennent pas mal d’anarcha-féministes. Aussi bien ce
mouvement collectif que la résistance aux mesures de l’État,
ainsi que la compréhension que toute légitimation
donnée à la police renforce directement les capacités
de l’État pour dominer, viennent d’une perspective de défi
jeté aux autorités, dans l’intention d’y mettre
fin.(…)
Un grand nombre
d’anarcha-féministes travaillent sur l’information. À
Seattle plusieurs militantes du groupe de femmes pour la
correspondance aux prisonniers « Through the looking
Glass », sont des anarcha-féministes. À
Baltimore, un petit groupe d’anarchistes et d’anarcha-féministes
s’occupent d’une école anarchiste. L’école (une
université libre) offre une variété de cours :
créativité dans l’écriture pour les enfants,
Wilhelm Reich, travail manuel, comment faire une coopérative
et cuire le pain. Il y a aussi des cours des théorie
politique, de féminisme et des libres débats sur
l’anarchisme.(…)
Les librairies et
la presse parallèle semblent engager un grand nombre
d’anarcha-féministes. Dans la plupart des cas le magasin est
considéré comme un centre d’activité pour le
groupe et ses contacts.
L’organisation
d’efforts communautaires, notamment dans les logements, est un autre
aspect de l’engagement anarcha-féministe. L’unité de
base du quartier entre facilement dans la conception anarchiste des
petits groupes autogérés. C’est particulièrement
vrai pour les grandes villes de la côte est, où le
combat pour des habitations décentes augmente aussi vite que
les incendies allumés volontairement par les propriétaires
pour se débarrasser de tous les logements à bas prix. À
Montréal, à New-York et à Boston, cela semble la
nouvelle activité. Là aussi, les anarcha-féministes
travaillent avec des groupes à la fois d’hommes et de femmes
très différents politiquement. L’influence la plus
visible est dans la nouvelle tendance qui envisage la question du
logement en la séparant des réformes législatives
et judiciaire et en la basant sur des groupes autonomes solidaires.
L’accent porté
sur l’organisation sur le plan local et les rapports personnels pose
la question de la méthode (tactique en jargon militaire) aux
anarcha-féministes. Certaines sont franchement non violentes
est considèrent qu’éviter de verser le sang est
essentiel à la lutte pour la liberté. D’autres pensent
que la lutte armée est une nécessité inévitable,
bien qu’elles rejettent la conception militaire qui caractérise
traditionnellement ce genre de lutte en Europe et en Amérique
du Nord. Dans les deux cas, on discute des meilleurs moyens pour
détruire la propriété.
La question de la
violence est centrale pour les anarcha-féministes des deux
tendances parce que la violence a été utilisée
très directement comme moyen pour dominer la femme.
C’est le problème
du rapport entre la fin et les moyens : la violence
donnera-t-elle naissance à une autre violence dans le monde
que nous voulons créer ; dans quelle mesure la violente qui a
caractérisée les révolutions passées
est-elle nécessaire pour la prochaine ? Emma Goldman
résume le dilemme dans une lettre : « Je pense
encore qu’un grand changement social ne peut avoir lieu sans rupture.
Après tout, les révolutions ne sont pas autre chose que
l’explosion de l’accumulation des forces de l’évolution. Une
telle explosion est inhérente à sa nature et s’exprime
par des violentes tempêtes. Les forces inhérentes à
la vie sont semblables. Chaque changement du passé à
quelque chose de nouveau crée des bouleversement violents dans
notre être. Il en va de même pour les bouleversements de
la vie sociale et économique dans le monde. Mais j’en suis
venue à la conclusion que la quantité de violence dans
chaque révolution dépend entièrement de la
quantité de préparation des forces en présence,
la quantité de préparation spirituelle ».
(pour avoir des
exemplaires des articles cités, écrire à
« Revolting Women » PO Box 46571, Sta G,
Vancouver, B.C. U.S.A.)
Hélène
Ellenbogen
[(
Nous reproduisons
ici un tract issu d’un groupe de femmes, distribué à
Toulouse et publié par Basta dans le supplément
au n°10. Il exprime une position différente de celle qu’on
peut trouver dans les textes présentés dans ce numéro
et montre clairement que les opinions ne sont pas homogènes
dans la Lanterne noire en ce qui concerne la lutte des femmes.
)]
Comme au bon
vieux temps !
Délation,
dénonciation publique, dazibao, comme à la belle époque
de tonton Adolphe, ou comme ça se fait encore chez le Grand
Timonier, des femmes dénoncent sur les murs de Toulouse deux
présumés violeurs. Ne nous étendons pas sur le
côté fascisant de la méthode ni sur la
satisfaction des flics et de la justice qui commençait à
être débordée et accueille avec bienveillance ce
coup de main bénévole. Mais le simplisme d’une analyse
qui divise le monde en homme/femme !
Indira Gandhi,
Golda Meir et autres patronnes ont exploité, tué ou
laissait crever hommes et femmes sans distinction. Pauvre Indira,
pauvre Golda, pauvres patronnes victimes du pouvoir mâle.
Ponia, Franco, Schmidt, Nixon ont fait assassiner hommes et femmes.
Tristes phallos ! Sexistes !
Nous, draguées,
violées, exploitées, prostituées, méprisées,
nous pensons tout bêtement que drague, viol, exploitation,
prostitution, mépris sont les choses les mieux partagées
du monde. On les pratique, on les subit (ou les deux à la
fois) et que ce sont les conditions et les conséquences
nécessaires de l’exploitation de classes.
Au fait, qu’en
disent vos femmes de ménage ? ? ? ! ! !
Une partie de la
moitié du ciel.