La Presse Anarchiste

La situation française en mars 1978

Élec­tions tou­jours pièges à
con

Nous
n’al­lons pas déve­lop­per encore une fois l’argumentation
anar­chiste contre les élec­tions ;avant de pas­ser au
contexte dans lequel va se dérou­ler la consul­ta­tion de mars
1978, nous vou­lons sim­ple­ment rap­pe­ler deux choses.

La
pre­mière, c’est que si le poids de nos argu­ments (qui ont
démon­tré d’in­nom­brables fois l’i­nef­fi­ca­ci­té du
suf­frage uni­ver­sel pour délo­ger la classe domi­nante) n’était
pas suf­fi­sant, il y a l’ex­pé­rience
vécue d’é­lec­tions natio­nales et de référendums
qui n’ont rien chan­gé que les appa­rences, et donné
l’illu­sion, savam­ment entre­te­nue, que les maigres conquêtes
obte­nues grâce à la pres­sion des rues et des usines
étaient le fruit d’un nombre suf­fi­sant de votes.

Il
est évident que toute la struc­ture poli­tique que nous
connais­sons main­tient la contra­dic­tion entre l’égalité
for­melle du vote (un indi­vi­du, un vote) [[Et encore, sans tenir
compte des mino­ri­tés dépos­sé­dées, des
émi­grés et des jeunes ; sans par­ler des velléités
tra­di­tio­na­listes d’un Debré, vou­lant éta­blir le vote
fami­lial.]] et l’i­né­ga­li­té réelle des revenus,
de la pos­ses­sion du capi­tal, du pou­voir éco­no­mique [[Quant à
la vie cou­rante, trois faits quo­ti­diens démontrent l’inégalité
fla­grante, la fas­ci­sa­tion de la vie française.

D’a­bord,
l’a­bru­tis­se­ment par la pro­pa­gande, le silence de la droite et de la
gauche sur les vrais pro­blèmes (sans comp­ter que la France est
tou­jours le pre­mier pays consom­ma­teur d’al­cool par habi­tant de plus
de 20 ans).

Ensuite, la
mor­ta­li­té par caté­go­ries socio-pro­fes­sion­nelle est
révé­la­trice des inéga­li­tés sociales :
à 35 ans, l’es­pé­rance de vie d’un manœuvre est de 68
ans, d’un sala­rié agri­cole de 70, d’un employé de
bureau, de 72, 73, des pro­fes­sions libé­rales, de 75 ans ;à50
ans, sur 100 000 employés du ter­tiaire, 500 meurent, alors que
sur 100 000 manœuvres, il y en a 1 300 ; et à 75 ans,
pour 1000 per­sonnes vivantes à 35 ans, il reste 331
manoeuvres, 366 sala­riés agri­coles, 450, 465 employés
de bureau, 555 de pro­fes­sions libé­rales, ou de cadres
supé­rieurs. Et il ne faut pas oublier la mor­ta­li­té dans
les acci­dents du tra­vail (2406 en 1972).

Enfin, un récent
article du Monde Diplo­ma­tique, révèle que les
assas­si­nats sont 10 fois moindres que le nombre des morts par
acci­dent du tra­vail, et que les vols sont bien infé­rieurs aux
fraudes fis­cales, doua­nières et finan­cières. Du reste,
la caté­go­rie sociale la plus condam­née est celle des
petits patrons (34 % des cas) alors que les pro­lé­taires, qui
seuls vont en pri­son, forment 31,6 % de l’en­semble. Sans vou­loir nier
l’aug­men­ta­tion et l’im­por­tance de la « délinquance »
il reste qu’elle est ridi­cule face aux tueurs et aux voleurs de haut
vol que sont les hommes du régime.]].

    La
seconde, c’est que le nombre d’an­nées qui s’écoule
entre chaque consul­ta­tion inter­dit toute efficacité :
ima­gine-t-on une voi­ture qui ne serait
révi­sée que tous les 4, 5, ou 7 ans ? de plus, la
com­pli­ca­tion des lois et des décrets per­met au gou­ver­ne­ment de
blo­quer com­plè­te­ment (par le refus ou le retard dans l’octroi
des cré­dits) toute action par­le­men­taire ou muni­ci­pale. Tout
cela en dehors de l’ab­sence réelle et totale de contrôle
et de pos­si­bi­li­té de révo­ca­tion des élus par les
élec­teurs. Ain­si, même pour ceux qui sont « pour »
les élec­tions, le sys­tème actuel est inefficace.

Il s’a­git donc
d’une farce tant les pro­blèmes de fond sont absents.

Des candidatures marginales

    Cer­tains objectent
néan­moins que des can­di­da­tures « marginales »,
(anti­nu­cléaires, éco­lo­gistes, fémi­nistes, de
sol­dats, homo­sexuels, régio­na­listes), ont un rôle à
jouer dans le sens où ELLES METTENT EN AVANT UNE CONTESTATION
PARTICULIÈRE DE LA SOCIÉTÉ et per­mettent de
popu­la­ri­ser et de faire dis­cu­ter cer­taines idées, généralement
« oubliées » par la politique
spécialisée.

    Or, ces
groupes,constitués sur une oppres­sion par­ti­cu­lière, ou
plu­tôt sur un aspect par­ti­cu­lier de la domi­na­tion, se
can­tonnent le plus sou­vent à leurs problèmes
spé­ci­fiques, sans ana­lyse glo­bale de l’ex­ploi­ta­tion dans
l’é­co­no­mie, ni de la domi­na­tion dans les rap­ports sociaux,
sans liens avec la poli­tique fran­çaise, et sur­tout sans projet
poli­tique plus ou moins glo­bal qui pour­rait relier leur problème
spé­ci­fique à ceux des autres exploi­tés. Du point
de vue d’un chan­ge­ment fon­da­men­tal de la socié­té, ils
ne pré­sentent donc pas plus de garan­ties qu’un quelconque
groupe par­le­men­taire, ce qu’ils sont en puissance.

Mais surtout,ces
groupes ou mou­ve­ments [[Ceux qui pré­sentent des can­di­dats ou
qui, s’ils n’en pré­sentent pas, jouent le jeu de
« l’of­fi­cia­li­té », des médias,
voire de la res­pec­ta­bi­li­té.]] qui se sont stabilisés
sur des oppres­sions spé­ci­fiques, sont tou­jours LE RÉSULTAT
D’UNE PRISE DE CONSCIENCE PARTICULIÈRE DANS LA SOCIÉTÉ,
et NON LA CAUSE OU LE POINT DE DÉPART D’UNE NOUVELLE
PROGRESSION. Jus­ti­fier donc une par­ti­ci­pa­tion élec­to­rale pour
popu­la­ri­ser une idée, ou en débattre
, c’est tromper
son monde.

Rien ne passera
auprès des gens, que ce qui est déjà passé,
que ce qu’ils ont déjà com­prît, accep­té ou
refu­sé. Ces idées, ces luttes, sont déjà
entrées en par­tie dans la socié­té, même
comme ques­tion­ne­ment ; ces groupes sont le pro­duit frelaté
et détour­né de ces luttes et de ces ques­tions, en même
temps que le signe et le symp­tôme d’une impasse rela­tive dans
un déve­lop­pe­ment pos­sible et radical.

Ce rai­son­ne­ment
peut s’é­tendre à tout l’é­lec­to­ra­lisme dit
« révo­lu­tion­naire », qui SUIT TOUJOURS
UN MOUVEMENT SOCIAL, SANS JAMAIS LE CRÉER, NI MÊME LUI
SERVIR DE RELAIS. Cet élec­to­ra­lisme indique plus les
fai­blesses du mou­ve­ment qu’il ne le renforce.

Il nous faut là
remar­quer que les argu­ments de nos élec­to­ra­listes, mêmes
« révo­lu­tion­naires », sont les mêmes
que ceux de toutes les forces poli­tiques qui n’ont pour l’instant
aucune chance d’ac­cé­der au pou­voir poli­tique réel, ou à
sa repré­sen­ta­tion ; de Michel Jobert au Front Natio­nal de
Le Pen, du PSU a Gérard Fur­non en pas­sant par les sectes
gaul­listes ou fédé­ra­listes, l’ar­gu­ment est le même :
« popu­la­ri­ser », uti­li­ser une tribune.

Enfin, il nous faut
remar­quer que tous ces mou­ve­ments sont FRONTISTES.

C’est-à-dire
qu’ils tentent d’u­nir sur une reven­di­ca­tion par­ti­cu­lière des
gens dont en outre, les inté­rêts de classe sont
différents.

Cha­cune de ces
oppres­sions spé­ci­fique tra­verse la société
au-delà de la divi­sion en classes sociales.

Il existe des
sol­dats, des homo­sexuels qui appar­tiennent à la
bour­geoi­sie ;l’é­co­lo­gie peut être aus­si un sou­ci de
l’ex­trême-droite ou de la bour­geoi­sie libé­rale éclairée.
Le fémi­nisme de Flo­rence d’Har­court, de Françoise
Giroud ou du groupe psy­cha­na­lyse et poli­tique, ne sau­rait être
le même que celui des femmes qui sont en même temps que
domi­nées, exploitées.

Pré­sen­ter
des can­di­dats, c’est comme il était dit dans la Lan­terne
Noire
nº 1 (au sujet des groupes spécifiques)
« s’at­tri­buer la direc­tion poli­tique d’une catégorie
don­née », en en homo­gé­néi­sant les
inté­rêts. C’est du fron­tisme, c’est fina­le­ment du
léninisme.

CEUX DONC DE CES
MOUVEMENTS SPÉCIFIQUES QUI SONT RÉVOLUTIONNAIRES, LIENT
LEUR LUTTE À CELLE D’AUTRES OPPRIMÉS OU EXPLOITÉS,
ET SE DOIVENT D’AVOIR UN PROJET POLITIQUE QUI EN EXCLU LA BOURGEOISIE
SOUS TOUTES SES FORMES. [[Lier, pour nous, ne signi­fie pas
homo­gé­néi­ser, gom­mer les dif­fé­rences, les
oppo­si­tions ou les contra­dic­tions, mais prendre en considération
TOUT le pro­blème social, dont « les autres »
font aus­si par­ti.]] Ils ne peuvent plus guère être
« élec­to­ra­listes », et les mili­tants qui
les com­posent ne peuvent être des « spécialistes »
de tels ou tels sec­teurs ; ils militent généralement
aus­si ailleurs que dans le mou­ve­ment qui repré­sente pour eux
un aspect pré­cis de la domi­na­tion qu’ils subissent.

Mais lais­sons pour
l’ins­tant de côté la cri­tique poli­tique des
consul­ta­tions élec­to­rales, et voyons un peu la situation
réelle de l’é­co­no­mie en France, au moment où un
tapage élec­to­ral sans pré­cé­dent prétend
faire croire aux uns et craindre aux autres l’ar­ri­vée d’un
bou­le­ver­se­ment pro­fond de la société.

Le programme commun : diminuer le profit

Tous les programmes
des par­tis poli­tiques, de droite comme de gauche, se présentent
comme des solu­tions à la crise ; à
l’ex­trême-droite, c’est simple : c’est la faute aux
tra­vailleurs étran­gers qu’il suf­fit de mettre dehors pour
résor­ber le chô­mage et reprendre la croissance
éco­no­mique grâce à un argent qui res­te­rait en
France, au lieu de par­tir on ne sait où nour­rir des feignants
inca­pables de se déve­lop­per eux-mêmes.

Outre le caractère
par­fai­te­ment inac­cep­table d’un point de vue moral de ce racisme, nous
ver­rons que d’un simple point de vue éco­no­mique, celui de
l’é­co­no­mie capi­ta­liste bien sûr, la pré­sence des
tra­vailleurs étran­gers est au contraire un ins­tru­ment pour ne
pas plon­ger davan­tage dans la crise.

À Gauche, le
Pro­gramme Com­mun ; il se fonde sur l’i­dée que la crise
vient du manque de débou­chés du sec­teur de
consom­ma­tion, lui-même dû à la baisse du pouvoir
d’a­chat ;les inves­tis­se­ments dimi­nuent alors le chômage
aug­mente, les petites entre­prises ferment,… et la crise s’accentue.
La solu­tion ? Elle est simple : prendre l’argent là
où il est, c’est-à-dire dans les tiroirs-caisses des
riches, des mil­liar­daires : « ceux qui peuvent
payer » comme dit le P.C. Les natio­na­li­sa­tions quant à
elles devraient ser­vir plus à assai­nir les dépenses de
l’é­tat, et à équi­li­brer la balance commerciale.
Il y a bien sûr les diver­gences entre le P.C. et le P.S. [[Ces
diver­gences, sur les­quelles nous n’a­vons pas le temps de nous
appe­san­tir ici néces­si­te­raient une étude fouillée
des pos­si­bi­li­tés de ges­tion éta­ti­sées qu’offre
l’é­co­no­mie fran­çaise dans le contexte mon­dial. Le PC et
le PS, qui repré­sentent des « clientèles »
dif­fé­rentes tant au niveau des catégories
socio-pro­fes­sion­nelles que dans la classe domi­nante (voir Front
Liber­taire
no 75 – 76) offrent bien sûr des
options pos­sibles avec des moda­li­tés dif­fé­rentes, de
cette ges­tion pla­ni­fiée et éta­ti­sée]], mais
elles nous semblent plu­tôt secon­daires, et liées aux
« néces­si­tés de la désunion » ;
il s’a­git donc de dimi­nuer le pro­fit, pour aug­men­ter le niveau de
vie, ce qui entraî­ne­rait une relance de la consom­ma­tion, donc
une pos­si­bi­li­té d’in­ves­tis­se­ments, donc… la fin de la
crise…OUF.

Il nous faut faire
quelques remarques sur le pro­gramme com­mun et sur les solu­tions qu’il
pro­pose pour enrayer la crise, pour éle­ver le niveau de vie
des Fran­çais, et même pour « chan­ger cette
vie ».

La pre­mière,
c’est que la solu­tion à la crise se situe DANS le système
capi­ta­liste. Ce n’est rien d’autre que la vieille solution
key­né­sienne qui n’a bien enten­du pas l’am­bi­tion de sor­tir de
ce sys­tème. L’in­no­va­tion serait dans un glis­se­ment progressif
du capi­ta­lisme libé­ral, au capi­ta­lisme d’état.

La seconde
remarque, c’est le point de départ de l’a­na­lyse développée
par le pro­gramme com­mun, à savoir qu’il est vrai­ment possible
tout à la fois d’a­mé­lio­rer réel­le­ment le sort
des gens, tout en sau­vant le capi­ta­lisme ; et en dimi­nuant le
pro­fit, qui nous paraît faux.

Expli­quons-nous.

Nous n’a­vons rien
contre le fait de prendre l’argent là où il est [[Pas
seule­ment l’argent, d’ailleurs, mais tout ce dont tous peuvent avoir
besoin (mai­sons, terres, outils, etc.) puisque nous sommes pour
L’EXPROPRIATION]], c’est-à-dire chez les riches. L’ENNUI,
C’EST QUE RÉELLEMENT DEPUIS 10 ANS, LES PROFITS ONT DIMINUÉ.
Bien enten­du il ne s’a­git pas d’un effon­dre­ment spec­ta­cu­laire, ni
d’un phé­no­mène géné­ra­li­sable à
tous les sec­teurs ; il ne s’a­git, généralement,
pas des sec­teurs à tech­no­lo­gie hau­te­ment développée
ou de pointe, ou des multinationales.

Et pour­tant,
pre­nons le cas de quelques-unes de ces der­nières, comme Rhone
Pou­lenc par exemple, qui sont en régres­sion en France, alors
que glo­ba­le­ment, elles sont en expan­sion. Elles inves­tissent à
l’é­tran­ger, là où la main-d’œuvre est moins
chère et moins reven­di­ca­tive, accen­tuant par là même
le chô­mage en France. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une vraie
crise, ces trans­ferts obligent à de gros inves­tis­se­ments, et à
une rela­tive sta­bi­li­sa­tion du pro­fit, pour bien enten­du se maintenir
dans un pre­mier temps, puis se déve­lop­per ensuite.

Que pro­pose le
PCF ?

Natio­na­li­ser
par­fois, mais sur­tout INVESTIR EN FRANCE et éta­blir des
mesures pro­tec­tion­nistes pour pou­voir, ensuite, ACHETER FRANÇAIS
ET consom­mer français.

Outre le caractère
encore une fois mora­le­ment réprou­vable et même raciste
de l’ar­gu­men­ta­tion qui jette aux orties l’internationalisme
pro­lé­ta­rien, et échange le droit au tra­vail du bon
fran­çais moyen, blanc, raciste, et com­mu­niste, contre le droit
au chô­mage (non payé) de l’ou­vrier africain
sud-amé­ri­cain, ou asia­tique, cette mesure n’est même de
ce point de vue d’au­cune efficacité.

Car aux mesures
pro­tec­tion­nistes répondent tou­jours des mesures
pro­tec­tion­nistes qui seront immé­dia­te­ment prises par d’autres
états, et qui auront comme effet de déve­lop­per encore
davan­tage « les dif­fi­cul­tés mon­diales de
l’économie ».

Quant à
natio­na­li­ser, il ne peut s’a­gir que de la filière française,
et il est alors illu­soire de pen­ser que la ges­tion de celle-ci puisse
échap­per aux inté­rêts glo­baux de la firme.

Or ces sec­teurs, en
dif­fi­cul­té momen­ta­née de restruc­tu­ra­tion, sont en
France lar­ge­ment mino­ri­taires, au sein d’un sys­tème de
pro­duc­tion encore assez archaïque (l’un des plus archaïques
du monde indus­triel et développé).

Et ce secteur
archaïque majo­ri­taire, subit lui une crise plus impor­tante, qui
va jus­qu’à faire fer­mer cer­taines entre­prises, et en tous les
cas fait BAISSER RELATIVEMENT LE TAUX DE PROFIT.

La solu­tion qui
consis­te­rait à prendre une telle masse d’argent (pour résorber
le chô­mage et accroître la consom­ma­tion) est strictement
impos­sible dans le cadre d’un sys­tème non remis en cause par
le pro­gramme commun.

La consé­quence
serait cer­tai­ne­ment la fer­me­ture d’un grand nombre d’en­tre­prises sans
que cela puisse être encore com­pen­sé de manière
équi­va­lente par le déve­lop­pe­ment de ces sec­teurs de
pointe, ou des mul­ti­na­tio­nales, qui sont eux aus­si obli­gés de
contrô­ler leur pro­fit pour se déve­lop­per, comme nous
l’a­vons vu plus haut.

Au bout du compte,
c’est encore le pou­voir d’a­chat qui diminuerait.

Le plus probable
alors, c’est que le pro­gramme com­mun au pou­voir « compenserait »
quelques mesures déma­go­giques d’aug­men­ta­tion de salaire, et de
cer­tains avan­tages pour les caté­go­ries les plus basses, non
par une dimi­nu­tion du pro­fit là où il se trouve, mais
par un accrois­se­ment de la pro­duc­ti­vi­té là ou elle peut
avoir lieu, c’est-à-dire dans le monde du travail.

Il ne s’a­gi­ra alors
que d’une variante de la seule solu­tion pos­sible : FAIRE PORTER
LE POIDS CE LA CRISE AUX TRAVAILLEURS.

Quelle crise

Il nous paraît
utile de rap­pe­ler main­te­nant ce que nous affir­mions dans nos « points
com­muns » à savoir que « le socialisme
ne peut être conte­nu iné­luc­ta­ble­ment dans le capitalisme
à cause de (grâce à) ses contradictions
internes ». La crise n’est pas auto­ma­ti­que­ment un élément
de prise de conscience, une force de désta­bi­li­sa­tion du
régime, un élé­ment qui nous amène à
être encore plus révolutionnaires.

LA CRISE, ce n’est
pas la fin du capi­ta­lisme, car celui-ci s’en nour­rit pour se
restruc­tu­rer et redon­ner assise à sa domi­na­tion. La mystique
de la crise chez les mar­xistes et chez cer­tains anar­chistes, cache
mal l’im­puis­sance qu’ils ont à déve­lop­per une pratique
offen­sive contre l’op­pres­sion et montre bien par contre une attente
que l’en­ne­mi meurt de lui même.

En fait, cette
posi­tion clas­sique sous-entend une série de posi­tions dans le
genre : les masses abru­ties vont se réveiller, ou bien :
les révo­lu­tion­naires n’au­ront plus qu’a « révolutionner ».

À notre
avis, il faut se mettre dans la tête qu’il ne peut y avoir de
crise subite, car les blocs, de l’Est comme de l’Ouest (la Chine
aus­si), ont des éco­no­mies de plus en plus imbri­quées et
imi­ta­tives (la consom­ma­tion des uns étant échangée
contre la répres­sion des autres). Par contre, les pays dits
neutres sont autant de satel­lites en puis­sance dont les évolutions,
les pas­sages d’un camp à l’autre entraînent des
chan­ge­ments dans les blocs (hausse des matières premières,
ventes d’armes, par exemple).

Il n’y a donc pas à
l’heure actuelle de crise pro­fonde du capi­ta­lisme ; pas de cette
crise en tout cas, telle qu’on nous la pro­met depuis sa naissance
comme le signal du matin du grand soir.

L’al­ter­na­tive ne
peut pas être, dans un ave­nir proche, « socialisme
ou bar­ba­rie », et de toutes les manières, le
capi­ta­lisme que nous connais­sons est déjà la barbarie.

De toutes les
manières, et en reve­nant à la France, trois éléments
per­mettent à l’é­co­no­mie de ne pas som­brer dans le
marasme :


A. L’exploitation
des anciennes colo­nies africaines.

Toutes ces colonies
sont main­te­nant indé­pen­dantes, mais tous les régimes
sont fan­toches, et dépendent direc­te­ment des ambassades
fran­çaises qui orga­nisent le pillage des matières
pre­mières, à l’aide des coopé­rants militaires,
des flics et des profs [[Voir à ce sujet dans la lan­terne
noire
numé­ro 4 p 51 : « l’ac­ci­dent de
madame Claustre ».]].

Bien sou­vent, la
France se sert de ces ex-colo­nies comme réserve de
main-d’œuvre et four­ni­ture de pro­duits agri­coles (ana­nas, café,
concombres, etc.)

On peut mesurer
l’am­pleur du pro­fit par la super­fi­cie contrô­lée : 7
mil­lions 776 000 km², avec une popu­la­tion de 52 mil­lions de
per­sonnes. Il s’a­git des pays sui­vants : Came­roun, Côte
d’i­voire, Daho­mey ou Bénin, Gabon, Haute Vol­ta, Madagascar,
Mali, Mau­ri­ta­nie, Niger, Répu­blique Cen­tra­fri­caine, Sénégal,
Tchad, Togo, ex ter­ri­toire des Afars et Issas. Tous ces états
dépendent direc­te­ment du minis­tère de la défense
fran­çais et on peut juger du béné­fice de l’aide
fran­çaise à deux caractères :

— la Haute Vol­ta, le
Mali et le Tchad, figurent par­mi les pays les plus pauvres du monde 

— les dic­ta­tures avec
dis­pa­ri­tions des empri­son­nés, et autres fioritures :
Daho­mey, Gabon, Mada­gas­car, Mau­ri­ta­nie, Niger, RCA, Togo, Tchad. Les
autres pays sont un brin plus libéraux.

On peut ajouter
aus­si 113 000 km² et un mil­lion d’ha­bi­tants dans les
colo­nies, dégui­sées en par­tie, de la France :
Gua­de­loupe, Guyane, Mar­ti­nique et Nou­velle Calédonie.

On remar­que­ra aussi
la forte influence sur le Maroc, l’Al­gé­rie, et la Tunisie
sur­tout le pre­mier nom­mé avec ses 16 mil­lions d’ha­bi­tants et
ses 447 000 km².

Si on com­pare les
satel­lites de la France à ceux de l’URSS, on constate que la
Rus­sie ne contrôle que 1012 000 km² en Europe, avec
105 mil­lions d’ha­bi­tants (Alle­magne de l’Est, Bul­ga­rie, Hongrie,
Rou­ma­nie, Pologne, Tchécoslovaquie).

B. Cette politique
de domi­na­tion s’ex­plique par la puis­sance mili­taire française
et son rôle de mar­chand de canons : troisième
expor­ta­teur mon­dial, ce qui cor­res­pond à 7 % des exportations
du pays, et à 270 000 per­sonnes employées.

Appa­rem­ment, la
place de l’in­dus­trie d’ar­me­ment n’est pas tel­le­ment grande, mais il y
a deux impli­ca­tions impor­tantes, poli­tique et économique.

Éco­no­mi­que­ment,
il faut remar­quer que l’ar­me­ment touche les sec­teurs de pointe :
l’aé­ro­nau­tique qui tra­vaille majo­ri­tai­re­ment pour l’armée
et dont le reste du maté­riel peut aus­si ser­vir pour
l’ar­me­ment ; les télé­com­mu­ni­ca­tions et
l’élec­tro­nique ;l’in­dus­trie auto­mo­bile et maritime ;
des sec­teurs divers : Lip, embal­lage (des bombes), vêtements,
etc.

Poli­ti­que­ment, la
France vend à toutes les dic­ta­tures de droite (celles de
gauche sont four­nies par l’URSS) : Chi­li, Argen­tine, Brésil,
Zaïre, Afrique du Sud, Égypte, Lybie, Israël…

C. Depuis la
limi­ta­tion de l’en­trée de la main d’œuvre étrangère
(1972), les tra­vailleurs étran­gers (2 mil­lions, plus leur
famille soit 4 mil­lions au total) servent de col­ma­tage pour
l’é­vo­lu­tion du chô­mage. La ten­dance est de plus en plus
d’a­voir des tra­vailleurs spé­cia­li­sés français,
et non plus étran­gers. Du reste, les appels au tra­vail manuel
et la poli­tique de sélec­tion dans l’éducation
natio­nale, ont clai­re­ment pour mis­sion de four­nir de futurs manœuvres
français.

Exploi­ta­tion des
noirs, ventes d’armes aux fas­cistes, exploi­ta­tion des travailleurs
étran­gers dont on se débar­ras­se­ra progressivement,
telle est la base et le fon­de­ment du niveau de vie que nous avons. La
France est donc bien plus « nazie »
éco­no­mi­que­ment que l’Al­le­magne fédé­rale contre
laquelle luttent les groupes comme la RAF.

C’est un peu toutes
ces choses, avec d’autres bien sûr, que nous appe­lions les
vrais pro­blèmes, et que le pro­gramme com­mun n’a­borde pas.

D’un point de vue
réfor­miste, ce pro­gramme ne pro­pose même pas la
fer­me­ture des usines d’ar­me­ment et leur trans­for­ma­tion en lieu de
fabri­ca­tion d’ob­jets de longue durée… et paci­fiques. Il ne
pro­pose pas davan­tage le refus d’a­che­mi­ner tout maté­riel de
guerre, ni l’ap­pui aux groupes afri­cains qui luttent contre
l’ex­ploi­ta­tion dans leur pays ; pas davan­tage la sup­pres­sion des
indus­tries nucléaires.

…Alors ?

Sur le plan de la
vie quo­ti­dienne dans les entre­prises, peut-être y aurait-il des
choses nouvelles ?

Non plus.

Le P.-S. nous
pré­vient que dans les entre­prises natio­na­li­sées les
tra­vailleurs déci­de­ront de beau­coup de choses… sauf pour ce
qui concerne le plan (qui lui sera mis en place par des négociations
entre le PS, le PC, le patro­nat et les syn­di­cats) dont on sait qu’il
concer­ne­ra sur­tout les entre­prises nationalisées.

Nous savons très
bien que le sys­tème par­le­men­taire, c’est tour à tour la
gauche, qui pour se main­te­nir doit faire une poli­tique de droite, et
la droite, qui pour ne pas être chas­sée doit faire des
conces­sions à la gauche. De plus en plus, les thèmes
tra­di­tion­nels des uns sont repris et ampli­fiés par les autres.
Qui parle de « sécu­ri­té des citoyens »,
d’« ordre », d’« indépendance
natio­nale » ? la gauche autant que la droite. Qui
parle de « Liber­té » de « niveau
de vie » ? la droite autant que la gauche. Nous
allons vers un modèle qui comme lors des dernières
élec­tions en Alle­magne fédé­rale, ver­ra des
oppo­si­tions pure­ment fic­tives, dans les­quelles rien ne distinguera
les uns des autres, sinon le sigle, la tête des chefs, et la
cou­leur des affiches.

De plus en plus, il
n’y a qu’un modèle de ges­tion du capi­ta­lisme et tous sont
obli­gés de s’y soumettre.

Chan­ger la vie ?

Cer­tai­ne­ment peu
pro­bable dans le cadre du pro­gramme com­mun ; et pour­tant, s’il y
a crise, c’est beau­coup plus pro­bable comme satu­ra­tion des conditions
de vie artificielles.

C’est pour­quoi, une
vision glo­bale et cri­tique de la socié­té accompagnant
des débats sur « le futur », sur
l’u­to­pie, sur des pro­po­si­tions concrètes, est très
impor­tante ; elle devrait rendre alors plus vio­lentes les
réac­tions à l’ex­ploi­ta­tion, sans les lier à un
quel­conque électoralisme.

Encore faut-il que
cette vio­lence ne refuse pas l’a­na­lyse de sa propre efficacité
et se fonde sur des prin­cipes élémentaires :
rota­tion, révo­ca­tion, adé­qua­tion entre les moyens et
les fins, pos­si­bi­li­té de regrou­pe­ments affi­ni­taires, etc.

La Lan­terne Noire

La Presse Anarchiste