La Presse Anarchiste

Notules

Obéis­sant à une pré­oc­cu­pa­tion – du moins faut-il l’espérer – pure­ment docu­men­taire, « Preuves » (n° 44) nous a sor­ti quelques « poèmes » de Jean Arp. C’est bien la pre­mière fois que j’ai pen­sé avec nos­tal­gie aux sculp­tures abs­traites du per­son­nage (dans le pri­vé, d’ailleurs, fort sym­pa­thique) : pen­dant qu’il sculpte, au moins n’écrit-il pas de vers. De vers comme ceux-ci : « les ton­neaux dans les dents creuses de la mai­son se réveillent /​ et rient plus fort /​ que des momies de cul-de-jatte géantes ». – La voi­là bien, la dés­in­té­gra­tion, mais cette fois sans le génie de Rimbaud.

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Les « Cahiers des Amis de Han Ryner », dont la louable fidé­li­té au « prince des conteurs » serait mieux per­sua­sive si le culte qu’on y rend à cet esprit assu­ré­ment remar­quable, ne sem­blait pas par­fois un peu exclu­sif, et même plus qu’un peu dater, ont, dans leur n°34, publié de leur maître, qui signait encore Hen­ri Ner, une confé­rence, ou plu­tôt un dis­cours de dis­tri­bu­tion de prix, consa­cré à Rémy Bel­leau, et, qui m’a fait me dire que j’étais, au fond, injuste envers le grand homme de nos cama­rades. Ce dis­cours a beau remon­ter à 1894 (il fut pro­non­cé au Col­lège de Nogent-le-Rotrou, ville natale du poète des « Pierres pré­cieuses »), il ne date pas le moins du monde. Déci­dé­ment, ce qui n’est pas « pen­sée », « idéo­lo­gie », mais bien créa­tion, poé­sie vraie, demeure tou­jours actuel. Or, il y a dans ce petit dis­cours tant d’authentique connais­sance de notre XVIe siècle, de gen­tillesse de juge­ment, d’amour spon­ta­né des belles œuvres, de dis­cer­ne­ment aus­si quant à la place, émi­nente et modeste, qu’il convient d’assigner à celui que Ron­sard admi­rait tant, qu’on se prend pour Hen­ry Ner d’une estime et d’une sym­pa­thie sou­dain toutes fraîches, et d’autant plus grandes qu’à le lire on a, le temps de quelques pages, cette joie, si rare aujourd’hui, d’assister à un grand bon­heur. En l’espèce ce grand bon­heur qu’aura bel et bien été, ès lan­gage fran­çais, l’épanouissement de la Pléiade.

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Pierre Bou­jut (« La Tour de Feu », sep­tembre), dans un très bel article pas­sant en revue un cer­tain nombre de recueils poé­tiques récem­ment parus, sou­lève une inter­ro­ga­tion bien proche des nôtres : « Une époque de bilans peut-elle être une époque de créa­tion ? » demande-t-il. Et le titre de son article, « Les poètes malades de la poé­sie », défi­nit mer­veilleu­se­ment la situa­tion où tant de poètes, et des meilleurs, se sont, à la longue, lais­sé coin­cer. – P. Bou­jut a en outre le mérite de signa­ler à ceux qui, comme moi, l’ignoraient encore tota­le­ment, l’œuvre d’Edith Soder­gran (« Voi­ci pour moi, écrit-il, le pre­mier dis­ciple de Nietzsche qui… me récon­ci­lie avec lui ») dont quelques cita­tions, même tra­duites (par Pierre Naert, – j’ignore d’ailleurs de quelle langue –, édi­tions Debresse, – titre du livre : « Poèmes du pays qui n’est pas »), donnent une idée admi­rable. – Enfin, je ne sau­rais trop dire à quel point j’ai été heu­reux que P. Bou­jut, dans le der­nier livre paru de Mar­cel Mar­ti­net, « Eux et moi », au sujet duquel il m’a fal­lu expri­mer d’assez graves réserves, ait trou­vé ces très beaux vers que je n’avais pas su y voir : J’ai été la route et l’auberge
J’ai été le pain et le vin…
Un à un je les reconnais
Un par un je m’y reconnais
Tous ont un visage de bonheur…
Qu’un seul manque et je cesse d’être.
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