La Presse Anarchiste

Périodiques

Le n° 15 de « Con­tacts » (sep­tem­bre) a, comme l’on sait, été quelque peu retardé par un con­tre­coup bien inat­ten­du de l’obscure affaire des fuites. Guy Vina­trel, son directeur, dont on con­naît le peu de ten­dresse pour les stal­in­iens, fut arrêté parce que ceux-ci sem­blent bien avoir mis la main sur des doc­u­ments intéres­sant la défense nationale ! Bien évidem­ment, Vina­trel fut aus­sitôt relâché ; mais com­bi­en l’on com­prend, moins peut-être la théorie que lui-même s’est for­mée de l’« inci­dent » que la protes­ta­tion vigoureuse de nom­breux con­frères, entre autres celle du « Bureau du Syn­di­cat des Jour­nal­istes pro­fes­sion­nels du Mou­ve­ment Social », repro­duite par « Con­tacts » dans son numéro de novem­bre, et à laque­lle tous ceux qui ont à cœur la lib­erté de la presse ne peu­vent que s’associer.

Puisque je par­le de Guy Vina­trel, c’est le moment de sig­naler aux ama­teurs de beaux érein­te­ments la note que vient de con­sacr­er (« Con­tacts », novem­bre) à Roger Stéphane, à pro­pos de son livre « Fin d’une jeunesse ». Après cela, si nous viv­ions en des temps nor­maux, l’auteur, exem­plaire exem­plaire du com­mu­niste de salon… etc., y regarderait à deux fois avant de re-«frotter » en pub­lic « son moi trem­blotant » (Vina­trel dix­it) aux êtres et aux prob­lèmes de l’époque. Mais cette dernière est si veule que nous pou­vons compter qu’il s’en fiche pas mal… Dom­mage, – et com­ment ne pas l’en plaindre ?

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N’ayant pas, depuis fort longtemps, vu « Le Disque Vert », c’est dans le n°28 du « Bul­letin de l’Association des Amis de Romain Rol­land » que j’ai pris con­nais­sance, repro­duit d’après la pre­mière de ces deux pub­li­ca­tions (qui l’avait fait paraître dans son numéro spé­cial con­sacré à Rol­land), le texte sur­prenant, et si intéres­sant, dans lequel François Mau­ri­ac, sous le titre d’« Impres­sions de jeunesse », évoque sa lec­ture d’« Au-dessus de la mêlée » pen­dant la pre­mière guerre mon­di­ale. « Le sil­lon­niste que j’avais été à dix-huit ans était un garçon influ­encé par Jean-Christophe », écrit Mau­ri­ac. C’est inat­ten­du, mais alors on s’étonne moins des actuelles pris­es de posi­tion du grand écrivain catholique – mais chré­tien. Albert de Mun, dont Mau­ri­ac était alors le secré­taire bénév­ole, n’avait eu, au nom de Rol­land, qu’une excla­ma­tion méprisante. Et Mau­ri­ac de not­er (c’est moi qui souligne) : « J’approuvais le mépris, “con­tre lequel une part de moi-même protes­tait.” » Sera-t-il per­mis d’ajouter que l’on com­prend mieux aus­si que notre académi­cien puisse con­juguer aujourd’hui (pour notre plus grand plaisir de lecteurs) sa col­lab­o­ra­tion au « Figaro » et celle qu’il accorde à « l’Express » ? C’est du moins ce qu’on ne peut guère s’empêcher de penser en lisant, dans le même texte dont je par­le ici, cette autre phrase, aus­si sincère, assuré­ment, que décon­cer­tante : « … il n’est pas dou­teux qu’il (Rol­land) ait été pour moi un maître secret (Bar­rès étant mon maître offi­ciel, si j’ose dire…)» Mais ne con­fon­dons pas : vivre en par­tie dou­ble n’est pas for­cé­ment dou­ble jeu.

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De l’influence de la pein­ture sur les let­tres : comme on a – fort heureuse­ment – décou­vert un cer­tain nom­bre de pein­tres « naïfs », dits aus­si pein­tres du dimanche, c’est sous ce dernier voca­ble que « la Nou­velle NRF » vient d’ouvrir (numéro d’octobre) une nou­velle rubrique, pour des textes dus à des écrivains non pro­fes­sion­nels. Il y aurait lieu de s’en réjouir, – surtout si les textes à venir sont plus juteux que celui de ce coup d’essai. Mais quand on lit le « cha­peau », une peur vous prend : « La pro­priété des ter­mes, la retenue des métaphores, la vraisem­blance des événe­ments, la richesse des expéri­ences, la pré­ci­sion du style et les divers­es autres qual­ités de l’écriture font à l’ordinaire les œuvres plates. » Boufre ! Et d’ajouter : « Tout est dit, et plus rien ne mérite de l’être. » Par souci… académique de non-académisme, les sur­in­tel­lectuels qui ont mani­gancé cette présen­ta­tion con­fondraient-ils, forme par­ti­c­ulière­ment insi­dieuse du sno­bisme, le pop­u­laire et le gal­i­ma­tias ? Un con­seil : qu’ils relisent donc Pas­cal. Tout y est dit, pour­tant – et même les silences…

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La même « Nou­velle NRF » nous annonce une « Couronne de Ch.-A. Cin­gria ». J’ai honte à l’avouer, et j’en demande bien par­don à mon ami Borgeaud, –, mais c’est lui qui doit avoir rai­son, puisque Paul­han et Valéry Lar­baud n’ont jamais caché eux non plus leur admi­ra­tion pour celui qui est mort le même jour que Colette –, je n’ai jamais com­pris pourquoi l’on a porté aux nues la poly­gra­phie de cet être char­mant – et déce­vant. Dans « Preuves » (n°44), Edmond Humeau, en procla­mant son goût pour les écrits de Cin­gria, a même éprou­vé le besoin de dire de lui qu’il fut « un per­son­nage autrement pit­toresque qu’un Léau­taud ». Léau­taud a naturelle­ment con­tre lui d’être intel­li­gent, il faut bien le recon­naître. Mais qu’il me soit per­mis – cela définit telle­ment bien ce pau­vre Cin­gria – de racon­ter le petit fait suiv­ant. Il avait écrit pour un édi­teur de Suisse alle­mande l’introduction à un ouvrage sur le sculp­teur O.-Ch. Bän­ninger (mari de Ger­maine Richi­er), et l’on m’en envoya les épreuves à lire (le livre devait paraître aus­si en français). Or, voulant par­ler de l’atmosphère de sym­pa­thie qui émane de la per­son­ne de Bän­ninger, Cin­gria écrivait n’avoir « jamais con­nu homme d’une calo­rie com­pa­ra­ble » ; timide­ment, j’osai lui faire deman­der s’il tenait absol­u­ment à sa… calo­rie ? Eh bien, Cin­gria y tenait, il y tenait même beaucoup.

Et le mot parut noir sur blanc. – C’est tout. – Ce n’était pour­tant pas un écrivain du dimanche pra­ti­quant comme telle la, paraît-il, si louable impro­priété des termes…

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Parce que pour des raisons toutes per­son­nelles, liées à l’image d’une mai­son que Borgeaud con­naît bien, lui aus­si, j’en ai par­ti­c­ulière­ment goûté : le charme, je ne veux pas me priv­er du plaisir de tran­scrire ici même ces quelques lignes de lui, pris­es à la page qu’il vient de don­ner (« Nou­velle NRF » de novem­bre) sur une demeure qui lui est chère, page inti­t­ulée « Fer­mer une mai­son ». La veille du départ, un soudain remords de n’avoir peut-être pas fait assez atten­tion aux hum­bles mer­veilles qui l’entouraient, le saisit : « …ce pavot lunaire et mal­in­gre qui a poussé sur le seuil de l’entrée, l’ai-je assez assuré que j’ai remar­qué son effort ? Cet amandi­er… est-ce que je ne vais pas le vex­er, demain, quand je tir­erai le volet… Et le puits… ? Oui, je crains, ce long repos à quoi j’oblige les choses… » Pren­dre, comme dirait Ponge, « le par­ti des choses », on se reproche tou­jours, quand on aime d’amour un cer­tain lieu, d’y avoir, mal­gré tout, manqué.

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« Pen­sée et Action » de Hem Day (juil­let-sep­tem­bre 1954) me ramène sans le vouloir à la ques­tion de l’art d’inspiration pop­u­laire. C’est une réédi­tion, typographique­ment fort soignée, du « Contr’un » de La Boëtie. Fameuse idée, et dont on ne peut que se réjouir. Mais com­ment taire l’affliction que l’on éprou­ve à voir ce beau texte, bien imprimé, bien présen­té, subir le voisi­nage des illus­tra­tions qui l’accompagnent ? Je n’en dirais certes rien si j’écoutais mon désir de ne pas faire de peine à de bons cama­rades. Mais il faut bien que quelqu’un ose écrire qu’aussi longtemps que dans les milieux « lib­er­taires » on aimera cet « art »-là, il y aura chez eux quelque chose qui ne tourne pas rond.

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Dans « La Tour de Feu » (n° 43, sep­tem­bre 1954), un excel­lent texte de Robert Pas­sas, « À con­tre-vil­lage ». Notes sur un vil­lage maro­cain où vit l’au­teur. « … Pen­dant que me par­lait le père (d’un ami maro­cain, – ce père est aveu­gle), patri­arche plongé dans sa nuit, m’était rev­enue cette réflex­ion d’un com­pa­tri­ote, un jeune con : « Ce serait rude­ment bien le Maroc s’il n’y avait pas les Arabes. » Ou bien, Pas­sas ayant dit à son ami El Has­sen : « Ton mal­heur, c’est l’ignorance. Tu as le poids de mille ans de prières. » – « Tu as bien, toi, répond El Has­sen, vingt siè­cles de chris­tian­isme. » El Has­sen dit aus­si : « Tu es un drôle de peu­ple… Tu dis partout la lib­erté, tu la cries, tu crèverais même pour elle, c’est sûr. Et tu ne songes pas que, des 400 mil­lions de Musul­mans jetés à tra­vers le monde, seuls, tu m’entends, seuls les quelque 20 mil­lions qui sont sous ta coupe n’ont pas de lib­erté nationale. Et tu t’étonnes, après ça, que moi Arabe, je cherche autre chose !…» Puis après un silence, l’ami arabe dit encore : « Je subis, je n’accepte pas. » Tant que El Has­sen devra subir, l’amitié fran­co-arabe, dont on nous par­le tant et qui pour­rait être si belle, ne sera que thèmes à dis­cours. Il n’y a d’amis que libres.

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À pro­pos de cette même brûlante ques­tion de l’Afrique du Nord, André Prunier, dans « le Monde lib­er­taire » (décem­bre), pub­lie un arti­cle en tout point remar­quable. « Cha­cun chez soi ? », demande-t-il dès le titre. La ques­tion n’a, dit-il, de sens que pour le « chez soi » indi­vidu­el. Les solu­tions mas­sives, c’est-à-dire poli­tiques, ne peu­vent que con­duire aux ostracismes en chaîne et à la ségré­ga­tion raciale. « Nous n’avons pas, écrit Prunier, à vers­er de l’huile sur ce feu-là. »

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