La Presse Anarchiste

La poésie

Claude Le Maguet : « le Temps par­don­né », avec une pré­face de Charles Vil­drac (L’Artisan)

Voi­ci un livre de poèmes qui est éton­nam­ment hors du cou­rant de la poé­sie qui s’écrit aujourd’hui, hors de cette habi­tude qu’elle a prise de vou­loir se dis­si­mu­ler der­rière un her­mé­tisme qui, sou­vent, recèle plus d’indigence que de richesse. Claude Le Maguet a cou­ru le risque de choi­sir la sim­pli­ci­té. L’a‑t-il vrai­ment vou­lu ? Je pense plu­tôt que la sim­pli­ci­té est fon­ciè­re­ment sa nature. Cette sim­pli­ci­té natu­relle est une force et par­ti­cu­liè­re­ment ici. On ver­ra que la poé­sie peut s’en revê­tir sans qu’elle en soit amoindrie.

Pour­tant que l’on ne se méprenne pas ! Il ne s’agit pas d’une sim­pli­ci­té qui pour­rait se confondre avec une cer­taine naï­ve­té des sen­ti­ments, avec une déter­mi­na­tion à les rame­ner à des thèmes com­muns, à un mau­vais jam­misme. La sim­pli­ci­té de Le Maguet est dans la forme, dans l’expression, mais elle ne prive pas sa matière poé­tique ou son ins­pi­ra­tion de réso­nances ni d’être nour­rie d’éléments complexes.

Un don si rare tire assu­ré­ment sa rai­son d’être des qua­li­tés qui sont dans l’homme Le Maguet. Ce miracle existe donc encore : je veux dire ce rap­port presque total et par­fait entre le poète et l’homme, entre l’homme qui s’exprime et celui qui vit. Le dédou­ble­ment cher à toute une poé­tique est loin, Dieu mer­ci, d’imposer sa han­tise à Le Maguet. En la lisant, on a envie de connaître l’homme, car elle est une poé­sie de l’amitié, de la cor­dia­li­té, d’une pure­té qui n’a point tra­hi l’enfance, qui regarde vers elle encore, – une enfance pauvre et digne. J’ajouterai qu’elle n’est point non plus ce que l’on est conve­nu d’appeler, depuis les Roman­tiques, une poé­sie de l’« âme », du moins de celle qui se com­plaît aux confi­dences, qui n’aime à dire qu’elle-même, qu’à exté­rio­ri­ser sa dif­fé­rence. Bien au contraire, la poé­sie de Le Maguet est fra­ter­nelle jusque dans le regret dou­lou­reux de se savoir sépa­rée des siens, d’une com­mu­nau­té. On y découvre le poète d’une condi­tion cita­dine, d’un Paris, sur­tout, ouvrier, un Paris dont la pri­va­tion enno­blit la condi­tion ancienne et per­due. À l’intérieur de cette nos­tal­gie se des­sine comme une sorte de chant, popu­laire, un peu fron­deur. On y res­pire l’odeur des bou­lan­ge­ries, un par­fum arti­sa­nal, une fra­ter­ni­té du monde ouvrier qui n’est point pen­sée par des fronts que la réflexion poli­tique barre, mais vou­lue par une ferme déter­mi­na­tion, par un goût impé­rieux d’une jus­tice sou­riante et non point exclu­si­ve­ment reven­di­ca­trice. Mais n’allons pas croire que sous cette bien­veillance il n’y a point de colère, de façon de souf­frir de la peine des hommes. Et je pense que, pour le prou­ver, il n’y a pas de poème plus per­sua­sif que celui que Le Maguet a consa­cré à son père :

Pauvres humains sous les astres,
Le Des­tin mène son jeu…

Ajou­tons que le livre de Claude Le Maguet a paru à Manosque, édi­té et illus­tré par Lucien Jacques. Et je dirai que cet hom­mage de l’optime Arti­san de Pro­vence, – de pro­vince, apporte ici, comme en réplique au titre de l’ouvrage, « Le temps par­don­né » un élé­ment de mer­veilleuse conciliation.

[/​Georges Bor­geaud/​]

La Presse Anarchiste