Il appartient à M. Henri Guillemin, pour peu qu’il se mêle de la biographie d’un poète, de faire des trouvailles qui jusqu’à lui avaient échappé à des générations d’admirateurs et d’érudits. C’est lui, par exemple, qui nous apprend que, sous le couvert de charités, de frais postaux et autres menues dépenses, Victor Hugo tenait une comptabilité érotique d’une précision à faire pâlir d’envie M. Kinsey – de sorte que, sous des notations aussi innocentes que « pourboire au voiturier » ou « étrennes au facteur », M. Henri Guillemin peut déchiffrer les plus infimes (et intimes) détails des amours ancillaires de « Booz en Ruth ».
Il a ainsi jeté pendant vingt ans une lumière éclatante sur des questions littéraires de toute première importance, toujours traitées avec la hauteur morale, le suspense et le luxe de détails qui conviennent, telles que de savoir jusqu’où furent poussées les assiduités coupables de Jean-Jacques auprès de Madame d’Houdetot, si Lamartine résolut le théorème de Madame Chasle – si Sainte-Beuve knock-outa techniquement Adèle Hugo ou etc., etc.
Aujourd’hui (toujours à l’affût de ce qui peut enrichir notre compréhension des grandes âmes), M. Guillemin nous révèle en outre que Vigny, si dédaigneux cependant de la politique et des pouvoirs, aurait entretenu des relations suspectes avec la police de Louis-Napoléon Bonaparte et l’aurait même renseignée sur les opinions de tels ou tels voisins du Maine-Giraud. À qui se fier désormais ?
À qui ? Pas à M. Henri Guillemin en tout cas.
Car (ainsi que le précise fort utilement M. Bertrand de La Salle dans une lettre à « Monde » du 21 décembre), les notes politiques déchiffrées récemment – elles étaient rédigées en grec et presque illisibles – ont été trouvées dans les papiers de Vigny et non pas aux archives de la police. Ainsi, non seulement Vigny n’a dénoncé personne, mais il avait pris soin de mettre sa documentation en lieu sûr, sous une forme incompréhensible pour un… indiscret moins lettré que M. Guillemin.
[/Jean Cello/]