Deux livres, quelques revues et des considérations du groupe
Corale vont nous servir pour ce commentaire.
Les deux livres sont « Travailler deux heures par jour »
d’Adret au Seuil, et « La fin du travail » de
Chassagne et Montracher chez Stock. Le deuxième étant
nettement plus profond, nous allons le voir.
Adret — pseudonyme d’un collettif — présente des
interviews qui remettent en cause l’organisation du travail et la vie
qui en découle, comme le 3⁄8 qui provoque une nervosité
maladive, une vie sexuelle réduite, avec le cadre quotidien du
travail : les chefs méprisants et le respect profond de
l’ordre établi « moi j’ai vu dans des
manifestations à Saint-Nazaire, des banderoles syndicales
« Messieurs les Ministres, débloquez des crédits
pour Corvette et Concorde », autrement dit, donnez des
subventions à nos patrons pour qu’ils continuent à nous
exploiter… Je suis allé discuter avec les gars de Lip —
c’est pas pour les critiquer, ils ont fait du bon boulot — mais ils
se battaient pour la garantie de l’emploi : résultat ils
n’ont pas critiqué la fabrication d’armements, ni la
hiérarchie des revenus, les paies sont restées
hiérarchisées pendant le conflit. »
Le plus grave est que tous les interview charrient une sacrée
nostalgie du passé : avant les 3⁄8 on savait travailler
(p. 30), avant à « Paris-chèques »
il y avait du plaisir à travailler (p. 5), avant et par
moment la secrétaire est fière ne son utilité
(p. 68), avant le serrurier sentait « une joie de
vivre » (p. 79). Donc mis à part le docker qui
échappe aux larmes versées sur le bon capitalisme
d’antant et la fille de « Paris Chèque »
qui gueule contre son travail actuel, il n’y a aucune remise en cause
au travail. Cela peut s’expliquer parce qu’il s’agit de militant de
la CFDT et parce que le livre ne présente aucune discussion
entre les participants — les manuels — tandis que l’intellectuel,
lui, présente son étude.
L’auteur affirme partir d’une analyse « socialiste
libertaire » (p. 11, 152), et il y a des aspects
sympathiques. Mais ce qui est curieux, c’est qu’il prend la société
telle qu’elle est, sans envisager de changements. Il en ressort
certains points que nous isolons ainsi : la destruction pour
maintenir les prix élevés, l’usure en usine des
produits pour assurer les futures ventes ; un salaire moyen
mensuel pour un couple, avec deux enfants de 6 500 NF (en
supposant la masse salariale également répartie entre
les salariés), alors qu’en fait, il doit péniblement
atteindre les 5 000 ; et l’inégalité dans la
mort : sur 100 000 cadres supérieurs de 50 ans, 500
mourront alors que la même proportion de manœuvres donne
1 300.décès.
Et l’auteur propose une série de mesures comme produire de
bonne chose en réduisant les horaires et en employant donc
plus de gens, « revendications acceptables par le
système » (p. 180).
Mais à part qu’il n’a pas d’analyse réelle de
l’économie française — ses liens avec les matières
premières volées dans les ex-colonies ; la vente
des armements, etc. — « rationaliser » le
capitalisme en soi est absurde, car ce qui parait « absurde »
est le fondement, le moteur du système. La violence de
l’inégalité devant la mort est défendue par la
morale : plus on est intelligent, plus on commande, on aura
toujours besoin de chefs, de patrons, faut pas toucher au droit de
propriété, et aussi par les forces de répression
et l’armée (soldats brisant les grèves des éboueurs
et des aiguilleurs du ciel). Donc en cas de « rationalisation »
du système capitaliste, on peut supposer que la police aura la
gâchette facile, comme au temps de l’Italie de Mussolini, de
l’Allemagne de Hitler ou de l’Argentine de la coupe du monde de
football.
— O —
Le livre de Alexis Chassagne et et Gaston Montracher ne laisse pas
de place au doute avec la couverture montrant l’entrée d’un
camp de concentration avec la formule « Arbeit macht
frei », « Le travail rend libre ».
L’idéal aurait été de placer une autre photo,
publiée par Amnesty International de l’entrée d’un camp
de travail soviétique, avec une formule semblable.
Ce livre pourrait être un bon livre de textes d’enseignement
libertaire, car il réunit des textes de tous les horizons
(situs, militants, enquêtes, témoignages littéraires,
autobiographiques) de tous pays (USA, France, Japon, Hongrie,
Portugal) en les classant depuis la dénonciation limitée
jusqu’à la nécessaire destruction du travail.
Là aussi on trouve des chiffes sur l’inégalité
devant la mort aux USA, moyenne de vie d’un blanc cadre sup. 68 ans,
ouvrier blanc 60 ans, ouvriers noirs 50 – 56 ans (p. 86). On
trouve des chiffres sur l’absentéisme qui est en France chaque
an trois fois plus élevé que les journées
perdues en mai-juin 1968. En Italie de 5 % en 1966 il est de
15 % en 73 ; en Allemagne de 4 % en 57, il dépasse
7 % en 71. Aux USA, i1 a triplé dans l’automobile en
trois ans avec des pointes à 15 %.(p. 208)
Quant à la mobilité de la main d’œuvre (reflet de
l’insatisfaction), elle atteint aussi des proportions énormes.
C’est le « turn over » aux USA. Il aurait été
pas mal de comparer avec le « tekoutchestvo »
en URSS qui touche des millions de travailleurs également.
La partie sur le marginalisme et le refus du travail me semble un peu
flou, parce qu’en fait on dépasse difficilement la simple
critique.
— O —
Voyons des réflexions du groupe Corale, auteur de
« Capitalisme, Syndicalisme même combat »
chez Spartacus : « Quand on discutait du
syndicalisme, on s’est aperçu qu’il y avait pas mal de choses
qui relevaient de la sacralisation du travail on s’est aperçu
qu’elle n’était plus imposée moralement, mais qu’elle
est soutenue par la sacralisation de la consommation. On peut se
dégager du syndicalisme. On ne peut pas échapper au
travail. » Le refus du boulot est qualifié de
« suicidaire » et il est dit « Ce
qu’on fait, c’est aménager le décalage entre notre vie
et notre utopie, nos désirs. Continuellement, on est en train
de rendre cette frange entre les 2 trucs vachement plus vivable,
d’essayer de faire son trou, de vivre de la façon la moins
conne possible… À un moment donné, c’est dangereux,
il y a tout ton côté spontanéiste qui se barre
petit à petit et c’est ça qui fait le plus chier. »
Quant à ceux qui réussissent dans le marginalisme, ou
bien les rentiers, les retraités pour divers raisons, ils
restent profondément dans le système capitaliste,
puisqu’ils consomment (spectacles,voyages) ou font consommer
(fabrication de colliers, fariboles, fromages — biologiques
—,etc.).
Depuis le « Droit à la Paresse » de
Lafargue, d’il y a un siècle jusqu’à maintenant bien
des choses se sont passées : Lafargue demandait le droit
des travailleurs à consommer, aujourd’hui c’est une
obligation. Le système d’oppression est donc plus souple qu’il
en a l’air. Mais la critique du travail devient de plus en plus
claire. « Open road » de l’hiver 77⁄78 commente
la brochure de Zerzan, traduite en français par « Échange » ,
« La Révolte contre le travail » qui
souligne l’importance de l’absentéisme, du sabotage et des
grèves sauvages aux USA. La revue « Zero Work »
(travail Zéro) est aussi commentée, mais son mot
d’ordre semble se limiter à « Plus d’argent et
moins de travail », ce qui est insuffisant pour changer
l’exploitation.
« La guerre sociale » nO 1
présente des considérations intéressante mais
théoriques contre le travail, pour finir par un extrait de
« Salaire aux Pièces »’ du Hongrois
Haraszti sur la perruque. Mais justement, la perruque, comme le vol
dans les super-marchés, n’est-elle pas prévue dans les
frais des entreprises ?
C’est la permanence de la perruque, du sabotage, de l’absentéisme,
de la mobilité des travailleurs qui démontrent que la
combativité des travailleurs est toujours présente et
qu’une nouvelle société ne peut que commencer par
changer totalement la nature du travail et sa fonction, pour avoir
une importance véritable aux yeux ces travailleurs.
M.
Z.
On nous signale à propos du livre « Travailler deux
heures par jour » que : — le collectif « Adret »
est fictif car un des auteurs refuse d’en faire partie ; —
qu’il y a eu coupure dans un des témoignage ; — qu’un
des participants fait de grandes réserves sur l’analyse
présentée ; — qu’il s’agit d’une récupération
bourgeoise — sans analyse de classe — de vieilles idées
anarchistes.