Extraits
de « La personnalité dans la société
communiste chinoise » (publié en sept. 76)
« Mao
cherche à changer la personnalité sociale selon ses
vues et les besoins de la société, afin qu’elle
corresponde aux nécessités politiques et économiques
de la seule dictature d’un parti étatique. »
« La
personnalité religieuse »
« La
religion transforme les hommes en pécheurs. La religion rend
les masses rebelles, qui ont une haine immense contre les
gouvernants, dépendantes, esclaves en adoration devant le
gouvernement. »(…)
« Une
autre caractéristique de de la personnalité religieuse
est “l’effacement de soi”. Tout ce qui supprime le soi fait
partie de l’essentiel des valeurs éthiques de Mao Tse-Toung.
Cette sorte de morale se manifeste par une “personnalité
sans moi”. Ce n’est pas l’état sublime atteint par la
religiosité, c’est une cruelle suppression des désirs
acquise par la force. Mao Tse-Toung l’explique : « d’abord
ne pas craindre la souffrance, ensuite ne pas craindre la mort »
Pendant la Révolution Culturelle, le bulletin d’une faculté
rapporte ce qui suit : dans la soupe qu’on servait il y avait un
petit morceau de viande. Les étudiants étaient désireux
de le prendre mais il l’évitaient tous consciencieusement, en
remplissant leur bol. Un officier les observait jusqu’à ce
qu’un étudiant le prit sans le vouloir. L’étudiant
devint aussitôt pâle de frayeur, tandis que l’officier
l’observait. Cet étudiant devint inévitablement l’objet
de la critique, il fut boycotté et tomba malade. L’intention
du bulletin était de souligner le manque d’égard de
l’officier pour le peuple. Vu de la perspective actuelle, l’article
reflète l’époque. Mais comment aborder la question des
besoins matériels ? Certes, l’indulgence de l’Ouest est
criticable. Mais de même, la suppression du désir des
besoins matériels entraînant une anormalité
psychologique, considéré alors comme normale, est
également nuisible et criticable. »
La
formulation des rapports émotionnels est un besoin normal des
échanges humains. Dans la société chinoise
actuelle, ces rapports émotionnels sont tous supprimés
sauf un, entre le peuple et le chef, entre le peuple et l’État.
Cette tactique n’est pas de Mao Tsé-Toung car tout dictateur
en use. Plus un peuple est opprimé, plus il tombe dans
l’adoration et dépend de son grand leader. Mao Tsé-Toung
a très bien réussi à étrangler les
émotions du peuple. Une figure exemplaire, Lu Feng, dit :
« Mes parents ne m’ont donné que le cœur, la
lumière du Parti l’illumine », et « le
Président Mao m’appelle et j’avance », etc. Ces
modèles montrent que toutes les émotions sont inhibées
sauf envers le leader. » (…)
« Durant
le « règne » de Mao Tsé-Toung, on
a pu considérer la Chine comme une société
morale. La suppression du sexe semble être une réponse.
Mais a y bien regarder, les Chinois sont-ils spéciaux ?
Ont-ils besoin du sexe opposé ou sont-ils puritains ou
moralistes, comme disent les Occidentaux ? L’inhibition que la
Chine a montré envers la sexualité est aussi anormal
que la débauche de l’Ouest. Les tactiques et les partisans de
la dictature ont étranglé le besoin des échanges
émotionnel entre les sexes. Pour toute une génération,
le sexe est devenu un sentiment de crainte et de culpabilité.
Un groupe de jeunes avait été désigné
pour travailler dans un villa ge dans le Hainan. L’un d’eux vit par
hasard le corps nu d’une fille en allant au dortoir et il en fut
étrangement troublé. Après l’incident,
inconscient de ce qui lui arrivait, il eut des rapports sexuels avec
la fille. Elle tomba enceinte et épouvantée, elle se
confia à son superviseur et se mit à haïr le jeune
homme. Ces incidents sont très courants. L’éveil
sexuel de la maturité entraîne généralement
chez les jeunes un sentiment de culpabilité. Ceux qui ont une
forte volonté en sont mentalement troublé, et leur
conduite devient stupide ; ceux qui ont une disposition
nerveuse, deviennent esclaves de leur sentiment de culpabilité. »
« La
personne politique »
« La
Chine est célèbre pour sa vision traditionnelle du
héros ou de l’homme vertueux. L’introduction d’une dictature à
l’occidentale a engendré jusqu’à aujourd’hui la règle
du parti unique en Chine. La société chinoise s’appuie
sur le chef, qui contrôle les pensées et les actions de
la société entière, y compris les personnes. La
conséquence est que la société a vu l’apparition
d’un type de personnalité appelée politique. Le sens du
bien et du mal, et la moralité sont devenus politiques. »
(…)
« Le
journal “Jeunesse Chinoise” a rapporté un fait : un
jeune homme se plaignait de maux de tête persistants. Il alla
chez le secrétaire du Parti se faire examiner. Le secrétaire,
après l’avoir entendu, lui lança : comment un
jeune homme peut-il avoir mal à la tête, n’est-ce pas
une maladie capitaliste ? Donc, même la maladie est
devenue politique. Un autre jeune homme souffrait de psychose, à
la limite du suicide. Son frère trouva son journal et pensa
qu’il était empoisonné par les valeurs du capitalisme
occidental, et il essaya de l’aider en confiant le journal au
superviseur. Ce qui n’était pas prévu, c’est que le
frère malade fut critiqué, ce qui aggrava sa maladie.
Ces deux exemples illustrent les manifestations extérieures de
la vie politique, qui selon l’enseignement de Mao Tsé-Toung,
couvre toute chose. » (…)
« Un
chef d’équipe confia un jour à un ami intime que
pendant les “Quatre nettoyages” [[Nous n’avons pas retrouvé
la date de cette tactique, apparemment entre 1967 et 69.]] personne
ne savait s’il n’était pas en cause et personne ne se
confiait, au cas où l’autre s’avérerait coupable de
crime contre l’État. Chacun s’accusait de corruption, d’avoir
des pensées capitalistes, que ce soit vrai ou faux. Le chef
dirigeait alors une petite entreprise et il n’y avait rien à
prendre. Mais sous le coup de la frayeur, il inventa assez de
mensonges pour que les autres cessent de l’interroger. Et il dut
rendre tout ce qu’il avait affirmé avoir pris, ce qui fit une
somme considérable. Il ne pouvait la réunir et de
désespoir il se mit à vendre des parties de sa maison
pour réduire la dette. C’était la fin de l’hiver et sa
famille pleurait et protestait, tant et si bien qu’il s’arrêta.
Mais ce n’est pas sans trembler que les paysans évoquent
cette politique. »(…)
« Une
autre caractéristique de la personnalité politique est
l’esprit de lutte issu de la théorie de Mao sur la lutte de
classes. Le dictateur tend à créer une société
dans laquelle l’individu s’oppose à sa famille, à
lui-même, à son peuple. L’indépendance
individuelle est détruite et à sa place on offre la
confiance dans le dictateur. Dans la société communiste
chinoise, la personne qui va contre la famille, le moi, et les autres
gens est proclamé comme un modèle. Une telle mentalité
est moulée par un modèle politique par la terreur.
Autrement dit, chacun peut être victime de la lutte politique.
C’est seulement en adoptant cette même mentalité que les
gens s’habituent à ce cruel phénomène social,
dépassent leur frayeur et acquièrent de la sûreté.
Évidemment les gens qui vivent en Chine ne sont pas conscients
de leur état d’esprit. Ils se leurrent eux-mêmes
d’illusions héroïques sur la “droiture qui transcende
les rapports filiaux”. Le respect de la personne et une
personnalité individuele sont absents chez la plupart des
gens. Toute allusion à ces qualités entraînerait
le mépris des autres et de la société. »
Sau
Choi (à Hong Kong depuis 1973, important garde rouge pendant
la Révolution Culturele à Canton)
La
politique du P.C. chinois est clairement défini par deux
faits : l’arrestation des dissidents et la répression du
peuple.
Yang
Hsi-Kwang et Li-I-Che, auteurs de « Où va la
Chine ? » (arrêté depuis 1968) et « À
propos de la démocratie socialiste et du système
légal » (1974) sont en prison, encore que la
constitution — purement théorique — disent «
Les citoyens ont le droit de parole, de communication, d’association,
de manifestation et de grève. » (chapitre 3, art.
28)
Le 5
avril 1796, il y eut de violents affrontements entre la police puis
l’armée et le peuple, à l’occasion de la fête des
morts et de la célébration de l’anniversaire du décès
de Chou En-Lai (les couronnes avaient été enlevées
pas la police). Pendant les affrontements, des vers furent composés :
« La Chine n’est plus la Chine d’antant / et le peuple
n’est plus drapé de crasse ignorance / il est bien fini le
temps de la société féodale de Shih Huang-ti /
ce que nous voulons c’est le vrai marxisme-léninisme. »
Malgré
l’ambiguïté du terme marxisme-léninisme, on
constate clairement qu’il est opposé aux dirigeants actuels et
au système de la nouvelle classe en place.
Signalons
enfin que « Où va la Chine ? » est
publié dans « Révo Cul dans la Chine pop »,
10⁄18 et l’autre texte dans « Chinois, si vous saviez »,
Bourgois
De
l’adoration à la rébellion, souvenirs sur la réception
des gardes rouges par Mao Tsé-Toung en 1967.
« J’ai
participé à la réception du 11 XI (la 7e).
En y repensant, c’est plutôt drôle. Je suis myope et
j’avais perdu mes lunettes dans le train. Le lendemain à
Pékin, j’en ai commandé de nouvelles. Normalement ça
prend cinq jour mais 2 jours après, la matinée du 11,
notre unité fut désignée pour être reçue.
Dès que nous arrivâmes au lieu précisé, je
me suis précipité chez l’opticien pour lui dire qu’il
me fallait des lunettes pour voir Mao. L’opticien était très
sympathique : il me dit que c’était un honneur pour moi,
et qu’il allait s’en occuper aussitôt. Dès que je les
eux je ne les vérifiai même pas, payai et me précipitai
vers mon unité. » (…)
« Nous
vîmes deux files de motards de l’armée. Je ne me
rappelle s’il y avait 2 ou 4 camions remplis de soldats agitant le
petit livre rouge derrière les motards. Mao et Lin Piao
étaient en jeep juste derrière. La masse de gens
commença à s’agiter comme des vagues. Chacun criait à
tue-tête « Le Président Mao est arrivé »,
« Vive le Président Mao ». j’étais
au 9e ou 10e rang. Les gens devant moi
n’arrétaient pas de sauter. J’en fis autant en grimpant sur le
dos de la personne devant moi et je vis clairement Mao et Lin Piao.
La personne essayait de me repousser mais j’étais obnubilé.
Finalement,je descendis. Un jeune du Nord saisit mes mains et les
serra en pleurant « J ai vu le Président Mao, j’ai
vu le Président Mao. » J’étais abasourdi
parce que je ne le connaissais pas. Il était comme fou,
serrant mes mains et criant. J’étais également excité
mais ma réponse n’était pas aussi forte. »(…)
« Il
y avait un grand nombre de gens très excités en
particulier ceux de 12 ou 13 ans. Leur seul but, leur seule
satisfaction était de voir le soleil rouge : Mao
Tsé-Toung, à Pékin. Avant de venir à
Pékin, ils n’avaient jamais vu de grandes villes. Aller voir
Mao était comme aller voir le pape. »(…)
« Au
début du mouvement, Mao lança 16 lignes pour la
Révolution Culturelle. L’une d’elles était que les
chefs de la révolution devaient être choisis selon les
principes de la Commune de Paris, élus par le peuple et
contrôlés par le peuple.(…) mais lors de la nomination
du Comité Révolutionnaire de Kwangsi, ce principe ne
fut pas appliqué.(…) quelques camarades et moi nous
rappelâmes les 16 lignes (…) Les combats étaient
violents et beaucoup mouraient. Finalement, le Comité Central
fit une déclaration selon laquelle l’élection du Comité
de Kwangsi était une stratégie de Mao et que ceux qui
s’y opposaient étaient contre Mao. Nous étions devenus
des contre-révolutionnaires. »
« Le
changement de notre génération a été
établi par Mao lui-même. Il voulait que les jeunes
renversent Liou Chao Chi et leur donna les 4 libertés :
parler, agir, discuter et écrire de grands panneaux muraux.
Mao obtint ce qu’il voulait mais les jeunes ne lâchèrent
pas les armes qu’on leur avait donné. Lorsque nous arrivâmes
à une impasse sans trouver de réponses dans les écrits
de Mao, notre esprit de la démocratie de masse nous fit
écarter la voie maoïste afin de trouver une réponse
valable. Depuis lors, nous nous basons sur la démocratie et la
liberté pour interpréter les événements
et analyser la société actuelle. Nous avons compris ce
que voulait le peuple chinois et nous regrettons le destin du pays
sous la férule de Mao Tsé-Toung. »
(juillet-août 1977)