Je ne partageais pas l’opinion
de quelques militants d’extrême gauche, qui pensaient que
l’on avait, en juin 1936, manqué (en France), faute de
décision, une révolution. Je considérais les
grèves victorieuses comme le signe du relèvement de la
classe ouvrière française, débilitée par
les saignées de la guerre et en train d’achever la
récupération de ses forces. Je soutenais qu’elle
avait encore besoin de quelques années pour arriver à
une nouvelle maturité, lorsque plus de vingt années se
seraient écoulées depuis les hécatombes. Pour la
même raison, j’avais une profonde confiance en le mouvement
ouvrier d’Espagne ; n’ayant pas fait la guerre, l’Espagne
populaire vivait sur un juste sentiment de force pléthorique.
Et l’euphorie fut soudainement
rompue par deux événements historiques connexes.
Le 18 juillet 1936 éclatait
la sédition militaire en Espagne… Dans l’URSS entière
cependant avaient lieu des arrestations – publiées – de
fonctionnaires communistes connus…
« Je crains, m’écrivait
(Trotsky), que ce ne soit le prélude d’un massacre. »…
Et, le 14 août, ce fut – en coup de tonnerre – l’annonce
du procès des seize, terminé le 25 – en onze jours ! – par l’exécution de Zinoviev, Kamenev, Ivan Smirnov et
tous leurs coaccusés…
Pourquoi ce massacre ? me
demandais-je dans « la Révolution prolétarienne »,
et je ne lui voyais d’autre explication que la volonté de
supprimer les équipes de rechange à la veille d’une
guerre considérée comme imminente. Staline… (pour une
fois bon prophète, mais à son infâme manière,
avait vu) dans la guerre civile d’Espagne le commencement de la
guerre européenne.
Victor Serge (« Mémoire d’un
révolutionnaire », pp. 359 – 360)