Dans notre numéro 8,
Morvan, évoquant une conversation que nous avions eue en
septembre [19]54, écrivait : « Je vous disais l’envie
que j’avais de réunir des textes des grands frères,
de ceux qui ont vu Madrid “sourire avec du plomb dans les
entrailles” (Antonio Machado), et puis à leur côté
les voix des autres, ceux de ma génération, ceux pour
qui l’Espagne fut le premier écho de la guerre… Je vous
disais cher Samson et vous m’avez répondu (vous pensiez à
“Témoins” certainement) : “Un numéro sur
l’Espagne, ça date.” – Sur quoi, dans une note, j’avais
aussitôt précisé : “Je n’ai pas pu dire cela.
La preuve : si je l’avais dit, et dit comme ça, Morvan, je
l’espère bien, m’aurait cassé la figure. Ce qui
“date”… ce n’est pas évidemment, hélas, la
tragédie plus que jamais douloureuse de l’Espagne, mais les
idéologies, même les nôtres, pour lesquelles on
s’est battu. Si, dans l’entretien que Morvan rapporte, j’ai pu
dire… qu’un cahier de revue destiné à réaffirmer
les “dogmes”… ne parlerait plus au présent, ce n’était
pas, Morvan doit s’en douter, pour prêcher la cause de je ne
sais quel détachement, de l’oubli, d’une basse
infidélité…Pieusement ressasser un catéchisme,
fût-il libertaire, ce n’est pas servir la liberté, la
liberté libertaire moins que tout autre. Et c’est sans doute
à ce danger-là que j’ai pensé en émettant,
il se peut bien, une réserve quant à l’idée
d’un numéro sur l’Espagne. Cher Morvan, ce n’est pas cela,
je le vois maintenant, que vous aviez en tête et au cœur. Moi
aussi, direz-vous, j’aurais pu m’en douter. Bien sûr. Un
cahier tel que vous le proposez ? D’enthousiasme – et le plus
vite possible. »
Ce plus vite possible aura pris
du temps. Faut-il le regrettez ? Guère, il me semble, ami
Morvan, puisque votre cahier sur l’Espagne se trouve ainsi paraître
pour le vingtième anniversaire du refus magnifique opposé
par un si grand peuple à l’emprise de la tyrannie.
J. P. S.