Placard pour un chemin des écoliers
Dédicace
Enfants d’Espagne, – Rouges, oh combien, à embuer pour toujours l’éclat de l’acier qui vous déchiquette ; – À Vous.
Lorsque j’avais votre âge, le marché aux fruits et aux fleurs, l’école buissonnière ne se tenaient pas encore sous l’averse des bombes. Les bourreaux, les candides et les fanatiques se tuaient bien, s’estropiaient bien quelque part entre eux à des frontières de leur choix, mais leur marée meurtrière était une marée qu’un détour permettait d’éviter : elle épargnait notre prairie, notre grenier, nos huttes. C’est dire que les valeurs morales et sentimentales chères aux familles monocordes n’excédaient pas le croissant de nos galoches. Il fallait avant toute chose assurer l’existence de nos difficiles personnes, entretenir les rouages de l’arc-en-ciel, administrer les parcelles de nos biens si mouvants. Tel objet informe, à la rue, outlaw négligeable, sur nos conseils tenait en échec le Touring Club de France !
Les temps ont changé. De la chair pantelante d’enfants s’entasse dans les tombereaux fétides commis jusqu’ici aux opérations d’équarrissage et de voirie. La fosse commune a été rajeunie. Elle est vaste comme un dortoir, profonde comme un puits. Incomparables bouchers ! Honte ! Honte ! Honte !
Enfants d’Espagne, j’ai formé ce placard alors que les yeux matinals de certains d’entre vous n’avaient encore rien appris des usages de la mort qui se coulait en eux. Avec ma dernière réserve d’espoir.
Mars 1937
René Char
(« Dehors la nuit est gouvernée » (précédé de) « Placard pour un chemin des écoliers », par René Char. GLM, éditeur.)
– à Lorca –
Errait une nuit de Noël sur l’Hudson, il y a déjà longtemps
Depuis la mort l’a pris
Et lâchement son ombre volée
Il y avait tant de couleurs au bout de ses doigts
Il y avait tant de poissons surpris dans ses yeux
Il y avait tant de soleil et d’eau glacée au bord de sa langue
Tant d’amour désespéré
Assassiné.
23 décembre 1953
Jean Jacques Morvan
Romance des siècles
(711‑1956)
De trahir ma racine indomptable
Et de sortir de mon tronc d’insurgé
Je garderai vivant sur mon cœur
Mieux qu’un sacré-cœur
O Espagne
Ton splendide bouquet de poings ravagés.
Paul Valet