Le double
Je te reçois ami aux gestes adorants ;
A travers ta face lumineuse et sereine
J’entrevois le dieu et me sens vaine.
Ta bouche me salue et c’est salut divin
Qui arrose cet humble moi de vin ;
Un doigt me touche je tremble et je tombe :
Comment porter le poids de la Colombe ?
Ton pas avance ta main me presse
Ma vie en dépend, presque elle cesse
Pour éclater neuve, grande fanfare,
Ô arrêt glorieux du jeu des arrhes !
Je t’invite à venir mon jeune époux
Nous goûterons l’instant — j’ai hâte — doux.
Et sans que rien ne change à la goutte de miel
Je te tromperai avec ton double du ciel.
Perséphone
Mais je dormais seulement
mais je berçais les moutons blancs
du rêve et les terreurs
mais je suais le miel noir
de l’hôtellerie de Perséphone :
Elle beauté inespérée sans yeux
brillante de glabre intensité
unique refuge confortable
réduit inviolé vide délicat
rempli touffu et ampleur
infiniment dépouillée.
Perséphone
mère nôtre
amour cruel et serein.
Blague ou interlude
seul sous les portiques,
un déménagement :
il attend.
Le gâteau chez le pâtissier
saupoudré de pollen blanc :
il attend.
Le chapeau neuf aux violettes
de Parme dans la vitrine
de Madame Franc :
il attend.
La poule prudente levant
sa patte rose au vent :
printemps.
C’est tout
que porte à nous le doux matin sonore.
Laissons enfin s’éteindre sur les cils —
la lisière enfantine au drôle de rêve —
le vent des urnes plein de sel
de ruse crue et de charbon qui souffle
sans fin des îles éternellement
contraires, froids soleils et lis en givre :
Tout est de vivre.
Aline Valangin
Les trois premiers des poèmes d’Aline Valangin figurent dans le recueil publié sous le même titre en tirage restreint aux Écrivains réunis, Armand Henneuse éditeur, Lyon, 1956. Le quatrième est inédit.