La Presse Anarchiste

Groupe de partage

« Il
convien­drait d’attirer l’attention sur la nécessité
d’organiser une base de sou­tien à l’action, une
infra­struc­ture éco­no­mique, une inten­dance, afin que le
mili­tant qui s’engage à long terme, ou qui sor­tant de prison
avec sou­vent perte de sa pro­fes­sion, ne soit pas trop handicapé
en repre­nant sa place dans la socié­té. De même
pré­voir les condi­tions d’aide aux familles. II ne s’agit
pas d’entretenir des acti­vistes, des pro­fes­sion­nels de l’action
non vio­lente, mais de ne pas empê­cher ou res­treindre l’action
pour des causes uni­que­ment matérielles. »

André
Ber­nard, « Jalons », ANV 4, avril 1966.

Les
dif­fé­rentes actions étu­diées dans les textes
pré­cé­dents font appa­raître la nécessité
de ras­sem­bler autour des cama­rades enga­gés un groupe de
soutien.

Ce
groupe répond à plu­sieurs besoins inhé­rents à
tout indi­vi­du entre­pre­nant une action non violente :


Besoin de rompre la soli­tude, de ne pas se sen­tir isolé ;
d’appartenir à un cou­rant de pen­sée, d’avoir autour
de soi une com­mu­nau­té solide.


Désir que le geste soit bien com­pris, bien interprété,
ne puisse don­ner lieu à des uti­li­sa­tions équi­voques et
que le reten­tis­se­ment obte­nu soit bien dans l’esprit qui anime
l’action.

Ces
consta­ta­tions bien évi­dentes appellent immédiatement
quelques réflexions et ins­pirent le désir d’élaborer
un cadre per­met­tant plus faci­le­ment la nais­sance et l’épanouissement
d’actions.

Il
semble conve­nu qu’à la base de toute action non vio­lente il
y a un enga­ge­ment indi­vi­duel pro­fon­dé­ment réflé­chi ; cette réflexion sup­pose que l’intéressé ait
pesé toutes les consé­quences de son acte et se soit
sen­ti de taille à les affronter.

Par­mi
les consé­quences les plus pré­vi­sibles : une forte
amende ou un empri­son­ne­ment de durée variable d’où
pré­ju­dice maté­riel grave que l’intéressé
peut avoir des dif­fi­cul­tés à sup­por­ter sur­tout s’il a
des res­pon­sa­bi­li­tés familiales.

L’objet
de ces pro­pos est de consi­dé­rer plus particulièrement
l’aspect maté­riel du sou­tien et ses corollaires.
Sous­crip­tion, caisse de soli­da­ri­té ont sou­vent été
uti­li­sées, mais ces formes ne spé­ci­fient en rien un
mou­ve­ment, elles consti­tuent l’aspect pre­mier du soutien :
aspect insuf­fi­sant en ce sens qu’il ne crée pas une
véri­table com­mu­nau­té dans l’engagement, et laisse
sub­sis­ter un fos­sé entre par­ti­ci­pants à l’action et
par­ti­ci­pants au soutien.

Une
autre solu­tion consiste en un apport finan­cier fixe, régulier,
pério­dique par ceux qui se sentent concer­nés par une
action dure mais ne veulent pas s’y livrer eux-mêmes. Ce mode
de sou­tien est plus sym­pa­thique, il semble mieux conve­nir car il
néces­site un enga­gement plus pré­cis et plus
com­plet. Plus com­plet, plus idéal encore est la possibilité
qu’offre une com­mu­nau­té comme l’Arche qui per­met à
cer­tains de ses com­pa­gnons de pou­voir se libé­rer de tout
pro­blème maté­riel pour par­ti­ci­per à une action
qu’elle a jugée valable, et où elle prend alors en
charge toutes les consé­quences maté­rielles de l’action.
Cela per­met de libé­rer un ou des indi­vi­dus pour animer,
coor­don­ner une action qui leur demande de s’y consa­crer à
plein temps, de même d’assurer la sub­sis­tance d’une famille
pen­dant un empri­son­ne­ment et de garan­tir leur réintégration
par la suite.

Le
réa­lisme oblige à consta­ter que ce qui est pos­sible en
milieu spi­ri­tua­liste chré­tien l’est plus dif­fi­ci­le­ment en
milieu anar­chiste. La vie com­mu­nau­taire (genre Arche) pose de très
nom­breux problè­mes et sans la subli­ma­tion déiste
elle est géné­ra­le­ment vouée à l’échec
à terme plus ou moins long sui­vant la qua­li­té des
par­ti­ci­pants. L’expérience semble prou­ver que pour des
anar­chistes très conscients de leur ego, elle apporte en
défi­ni­tive plus de contraintes que de libération.

Alors ? com­ment se rap­pro­cher des pos­si­bi­li­tés d’action qu’offre
la vie com­mu­nau­taire com­plète en évi­tant les
incon­vé­nients qui lui sont inhérents ?

Une
pos­si­bi­li­té appa­raît à tra­vers certaines
recherches ; on peut l’appeler sans être cer­tain que la
défi­ni­tion soit très cor­recte : le groupe de partage.

GROUPE : Assem­blage d’individus affi­ni­taires du fait qu’ils se sentent
concer­nés par les mêmes pro­blèmes et désireux
d’agir dans le même sens pour la recherche, la réflexion,
l’action.

DE
PARTAGE : Par sou­ci d’efficacité, dans le but de se sentir
plus soli­daires, plus dis­po­nibles et plus libres matériellement ;
les compo­sants du groupe décident de mettre en commun
leurs res­sources entiè­re­ment ou en partie.

Aspects
pratiques

On
peut conce­voir une gra­da­tion, une évo­lu­tion dans la création
et la vie de ce « groupe de par­tage » et ce, sur plusieurs
plans ; depuis le seul aspect finan­cier jusqu’au regroupement
géo­gra­phique et même pro­fes­sion­nel, un pre­mier stade
consis­te­rait à créer une caisse ali­men­tée par
des ver­se­ments réguliers.

La
déter­mi­na­tion du mon­tant des ver­se­ments pour­ra être
lais­sée à l’initiative de cha­cun ou déterminé
en pour­cen­tage de salaires ou de quo­tient fami­lial. Suivant
l’importance et le nombre des « volontai­res » cette
caisse per­met­trait de financer :


la publi­ca­tion ou la par­ti­ci­pa­tion à la publi­ca­tion de
cer­tains textes,


les frais inhé­rents à des ren­contres, séminaires,
etc., et la possibi­lité d’en rap­pro­cher la fréquence,


le dépla­ce­ment d’un membre du groupe pour par­ti­ci­per à
une ren­contre, congrès, pré­pa­ra­tion d’action de
mou­ve­ments proches,


le sou­tien, en tant que groupe, d’une action que nous approuvons,


le rem­pla­ce­ment de la rému­né­ra­tion pro­fes­sion­nelle d’un
cama­rade pour lui per­mettre de se consa­crer à plein temps à
une tâche, ce à titre tem­po­raire ou permanent.

Cette
énu­mé­ra­tion non limi­ta­tive, volon­tai­re­ment simpliste,
essaie de défi­nir une pro­gres­sion pos­sible à par­tir du
réel, c’est-à-dire l’état actuel de cohésion
et de matu­ri­té d’un groupe qui ne fait que de com­men­cer à
s’affirmer.

On
peut conce­voir à un stade plus avan­cé que la totalité
des ressour­ces soient mises en com­mun puis redistribuées
équi­ta­ble­ment sui­vant un sys­tème à définir
(l’équité n’étant pas l’égalité,
il est néces­saire d’apporter des cor­rec­tions tenant compte
des cir­cons­tances particu­lières à cha­cun avant de
pro­cé­der par exemple à un par­tage calculé
sui­vant un quo­tient indi­vi­duel), le pré­lè­ve­ment de
sou­tien se fai­sant alors glo­ba­le­ment et d’une manière
variable sui­vant les besoins du moment.

Enfin,
tou­jours dans le même esprit mais plus dif­fi­cile à
réa­li­ser, on peut envi­sa­ger un regrou­pe­ment géographique
dans la recherche de tra­vail et de rési­dence dans la même
ville, der­nier stade avant la vie com­mu­nau­taire com­plète que
nous lais­se­rons volon­tai­re­ment de côté. Non que nous
igno­rions que ce soit là une solu­tion qua­si idéale,
mais parce que nous pen­sons que l’outil par­fait que peut
repré­sen­ter une vie com­mu­nau­taire com­plète peut être
aus­si le par­fait ins­tru­ment de des­truc­tion du groupe si les
par­ti­ci­pants ne se sont pas astreints à une longue préparation
psy­cho­lo­gique et pra­tique. Pré­pa­ra­tion consis­tant, entre
autres, à la maî­trise des com­por­te­ments caractériels
et à l’élaboration d’un lan­gage com­mun tant sur le
plan des idées que du voca­bu­laire, éléments
essen­tiels, néces­saires et indis­pen­sables à la cohésion
d’un groupe.

Mais
dans l’esprit du « groupe de par­tage » s’offre déjà
toute une gamme de pos­si­bi­li­tés ouvertes vers l’action, il
nous appar­tient de nous inter­ro­ger puis, à tra­vers un débat
com­mun, de défi­nir et pré­ci­ser celles que nous voulons
uti­li­ser et à quel niveau.

Mar­cel
Viaud

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