La Presse Anarchiste

Poèmes pour l’amie

Quand je te quitte, il me semble que mon cœur se fend, se partage…
D’au­cuns diront que c’est d’un enfant, cela. Mais que m’importe !
Ah ! que je plains ceux qui sou­rient lors qu’il est ques­tion de la fidélité
à un amour dont évé­ne­ments ou cir­cons­tances ne peuvent ébran­ler la solidité
ou enta­mer la force. Ah ! que je plains ceux qui ne savent pas se don­ner, tout soi,
qui redoutent tou­jours que le sen­ti­ment l’emporte sur le cal­cul et ne les entraîne
trop loin, là où ils ne pour­raient plus se reprendre ! 

Quand je te quitte, c’est comme si mon cœur se rom­pait, se brisait,
On dirait qu’il ne bat plus qu’à demi, qu’il ne pal­pite plus que par intervalles,
que la vie s’est en par­tie reti­rée de mon être, faute de sang.
Et des jours durant, cette impres­sion per­siste. Le fil est rompu
et tant que je ne t’au­rai pas retrou­vée, il ne se renoue­ra pas.
Il semble que toute mon exis­tence est sus­pen­due à ce fil…
Que me chaut qu’on dise que c’est d’un enfant : c’est ain­si que je sens.

Tes lettres, certes, ne comblent pas le vide de ton absence,
mais elles sont comme les arches du pont qui relie nos rencontres ;
lors­qu’elles se font attendre, je suis comme le voya­geur éga­ré dans la brume
et qui ne sait plus retrou­ver la pas­se­relle qui doit le conduire
de l’autre côté de la rive,
là où le rêve prend corps et le poème devient réalité.

Cha­cune de tes lettres est comme une arche du pont qui relie nos rencontres
et plus nos ren­contres s’es­pacent, plus le pont s’al­longe, plus les arches
se mul­ti­plient. Et lorsque tes lettres tardent
le brouillard devient plus épais devant mes yeux.
On dira que c’est d’un enfant, cela. Mais ce qu’on peut dire me laisse indifférent,
tel­le­ment indif­fé­rent. Car ce qui est vrai,
c’est que, lorsque je te quitte
c’est comme si mon cœur se déchirait..

E. Armand, 2 février 1944.

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