La
belle revue de Lucien Jacques, les Cahiers de l’artisan,
publiait récemment (numéro 42) le Calendrier des
bergers de Nicolas Le Rouge, vénérable échantillon
d’antique poésie populaire, qui sans prétendre certes
à la qualité de chef‑d’œuvre — le tout est plus
versifié que poétique —, n’en a pas moins beaucoup
de charme fruste et naïf, admirablement servi par la belle
présentation réalisée en commun par Jacques et
son ami le maître imprimeur Rico. Ce vieux calendrier est,
comme il se doit, tout chrétien, chaque texte consacré
à l’un des douze mois y évoquant les grands
anniversaires de la religion, en même temps qu’il est suivi
d’une moralité présentant, de six ans en six ans, les
étapes successives de la vie humaine. Un peu par jeu, un peu
aussi parce que l’on peut estimer que ce qui manque le plus à
la poésie d’aujourd’hui est de savoir se soumettre à
un « sujet », je me suis amusé à essayer
d’écrire un « calendrier de ce temps-ci », lequel,
bien entendu, ne pouvait avoir ni l’inspiration catholique de celui
de Nicolas Le Rouge, ni, hélas ! son ingénuité.
Simple exercice, donc, mais dont l’excuse est peut-être de
tenter d’être un modeste hommage à cette chose trop
négligée de nos jours dans tous les arts : l’humble
métier. — On trouvera ci-dessous deux des Mois ainsi
composés. Un petit détail : en dépit des progrès
réalisés, dit-on, depuis le temps de Nicolas, quant à
la longévité humaine, j’ai, en queue de chaque texte,
procédé par étapes non point de six, mais de
cinq années. Cela n’a d’ailleurs pas la moindre
importance.
Avril
Au dimanche le plus chrétien,
Je suis Avril, dont le délire
Ne pleure qu’au Vendredi Saint.
Avec moi la saison nouvelle
Et l’Homme nouveau, de concert,
Proclament la Bonne Nouvelle :
« La mort est vaincue, et l’hiver. »
Même les enfants de ce monde
Pour qui Son retour n’eut pas lieu
Dans ma suave clarté blonde
Jureraient voir éclore un dieu.
Atteignant déjà ses vingt ans,
L’homme, vêtu de sa jeunesse,
Marche à la conquête du temps
Comme l’amant de sa maîtresse.
Mais le siècle a changé tout ça :
Les servitudes militaires
Font du plus bel âge sur terre
Pierre que Sisyphe poussa.
Juillet
Fondatrice de vos hasards,
Pour un homme traîtresse à l’Homme,
De moi fit offrande à César.
Cruel, mon soleil règne en maître
Impérieux sur la moisson ;
Mais sa flamme même fait naître
Dans les cœurs une autre chanson :
Car c’est, rejetant les béquilles
Maudites de l’autorité,
Un quatorze qu’à la Bastille
Vous crûtes en la liberté !
Quand il ânonne : cinq fois sept
Trente-cinq, le moutard en classe
Ne sait pas encor ce que c’est,
Au sablier du temps qui passe,
Qu’un chiffre ainsi de rien du tout…
Mais toi-même t’en rends-tu compte,
Déjà, que la vie est un conte
A finir par le mauvais bout ?
Jean Paul Samson