La Presse Anarchiste

Lectures

Inutile
de par­ler lon­gue­ment de ce beau livre déjà désigné
à l’attention géné­rale par le Prix Renaudot.
Une tech­nique pas­sa­ble­ment, et même plus que passablement
« néo­réa­liste », fait que la lec­ture n’en
est pas facile. Mais à la dif­fé­rence de ce qui se passe
avec la plu­part des ouvrages de l’«école » (à
laquelle du reste je doute que Butor pré­tende exactement
appar­te­nir), on est récom­pen­sé de sa peine. Le sujet ?
Un homme, marié à Paris — il a même deux
enfants — mais que ses affaires appellent sou­vent à Rome, a
là-bas une liai­son. Déci­dé à vivre enfin
selon sa véri­té, il prend le train de Rome, dans
l’intention d’en rame­ner son amie à Paris, où il a
trou­vé pour elle une place. Et tout au long du tra­jet, de ce
par­cours qui n’en finit pas, il évoque, avec le sou­ve­nir de
voyages pas­sés et les images de son double pré­sent, la
connais­sance que cette amie lui a don­née de la réalité
romaine, si essen­tiel­le­ment mêlée à leur amour
que com­pre­nant peu à peu que le trans­fert de cet amour à
Paris serait un déra­ci­ne­ment, fina­le­ment il n’ira même
pas voir cette femme et retour­ne­ra à sa vie mensongère
et vraie. Telle la modi­fi­ca­tion qui se pro­duit en lui au cours
de ce voyage. Mais je me rends compte que ce résu­mé est
stu­pide. Ce qui importe, c’est la pré­sence du voyageur
(toute imbri­quée dans celle des choses et des autres
voya­geurs) et de tout ce à quoi il pense, et sur­tout, dans sa
pen­sée, le poids de Rome, sa présence
hal­lu­ci­na­toire. Y ai-je été si sen­sible parce que j’ai
la même pas­sion de la ville des villes ? Je ne crois pas : de mes
amis, qui ont le mal­heur de ne la point connaître, n’ont pas
moins aimé le livre. L’un d’eux allait même jusqu’à
le com­pa­rer à Proust. A mon avis, il exa­gère — mais
c’est quand même le cas de se rap­pe­ler le pro­verbe qui veut
que l’on ne prête qu’aux riches.

S.

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