Malgré
tout ce qui put nous éloigner toujours davantage des positions
dernières adoptées par le grand critique mort il y
a bientôt un an (le 3 mai 1957, à Rome), nous
voulons dire : de sa navrante complaisance envers les illusions qu’il
ne cessa d’entretenir en lui-même quant aux réalités
dites abusivement soviétiques et qui firent de ce
successeur de Mounier à Esprit l’instrument
involontaire de tant de slogans staliniens (le cas le plus criant fut
l’article où il excusait l’intervention des chars
russes à Berlin en 53), nous avons toujours su que ces
erreurs, ces naïvetés (finalement coupables!) étaient
le fait, chez lui, d’une honnêteté qui, si bien
partie, avait fini par ne plus savoir que faire d’elle-même.
Et pourtant, lui qui était devenu catholique eût dû
mieux que d’autres savoir que nous ne pouvons être
jugés sur nos seules intentions… Cela dit, et qu’il
fallait bien dire, le rôle qu’il joua par la fondation
des Cahiers du Rhône, le courage dont il fit preuve pour
donner voix en Suisse aux poètes, aux écrivains
dressés contre Vichy, cela non plus, qui est glorieux, ne
doit point être oublié. Et c’est pourquoi l’on
est, malgré tout, heureux que l’éditeur Hauser et les
meilleurs compagnons de ce Béguin-là nous
donnent aujourd’hui en commun leurs témoignages,
leurs souvenirs sur le disparu, qui fut aussi un si grand critique
(son admirable livre l’Âme romantique et le Rêve,
entre autres, atteste sa profonde connaissance de cette
Allemagne qu’il devait par la suite, la confondant avec
l’abominable nazisme, haïr presque en bloc). A peu près
tout, dans le présent recueil vaut d’être lu,
en particulier les Notes de Marcel Raymond, la très
fine évocation, par Maurice Muller, de l’époque des
études à Paris en 1925, et, pages d’autant
plus remarquables qu’elles maintiennent la plus authentique
fidélité du cœur tout en définissant un
désaccord idéologique fondamental (au nom d’idées,
d’ailleurs, qui ne sont pas plus les nôtres qu’elles
ne furent jamais celles de Béguin), la remarquable
contribution du très et trop « gibelin » Aldo
Dami.
Fontol