La Presse Anarchiste

Poèmes d’André Prudhommeaux

L’école du soir

Appren­ti de deux fois vingt ans,
Chez toi quelque réveil s’étonne
De tenir la main de l’automne,
Ayant pris les doigts du printemps ;

Toi qui suas tant de métiers
Sans res­sai­sir ta propre tâche
Et, si tar­di­ve­ment, t’attaches
A ne plus mou­rir tout entier,

Eco­lier de ta propre loi,
Essaye un peu comme on sifflote
Le refrain ou la simple note
Qui n’est, peut-être, que de toi ?

Vois, le jour baisse : il faut s’asseoir
(Quand la vie est plus que les livres)
Pour rap­prendre à créer et vivre,
Aux bancs de l’école du soir.

Cap­ti­vi­tés

J’ai sou­vent cre­vé mon horizon
Et fran­chi le seuil de l’arc-en-ciel
Avant de me prendre à ma prison
Ma pri­son de la cire et du miel ;

On ne sait qui vit — en cette étude
D’une liber­té bien étrangère —
Ni qui meurt, aux mains de l’habitude
Dont la poigne est tou­jours plus légère.

Est-ce qu’il fau­drait se refuser
A la pri­vau­té de cet accueil ?
Est-ce qu’il fau­drait s’en amuser
Tout bas, avec un cli­gne­ment d’œil ?

Oh, toi qui fais signe à la croisée,
Fille sans sagesse, ma sœur Âme,
Si donc la demeure est méprisée,
Quel est le départ qui te réclame ?

Pro­me­nons-nous

Dans le che­min où se caillent
Le silence avec l’odeur
Le plâ­tras gris des murailles
Pro­je­tait quelque tiédeur.

Le soleil par la barrière
Cli­gno­tait pour le passant
Comme un film d’autre avant-guerre
Dans un ciné­ma d’enfant.

Pour Miche­line et Suzanne
Un arbre au-des­sus du mur
Beau comme un pin de Cézanne
Se déro­bait dans l’azur.

Et sous la pan­carte blanche
Disant Défense d’entrer
Mes regards ont rencontré
Le geste ami d’une branche.

La main d’un ami

à Claude Le Maguet

Une main s’est offerte
Que l’on n’attendait plus
Et cette paume ouverte
Mit une feuille verte
Aux hivers absolus.
Les pactes sont conclus.

De l’espace inutile
Dont on connaît les bords
On peut aller tranquille
Au devant du reptile
Etouf­feur de nos sorts
Avec des pas plus forts.

C’est une main de frère :
La sève des humains
Y parle sans mystère.
Une feuille a su faire
De l’arbre du chemin
Tout un arbre de mains.

Attente

Depuis qua­rante ans que ta vie
Se retourne en un lit crevé
Tu as per­du jusqu’à l’envie
De te lever.

Tu te ren­cognes vers le mur
Où l’humble crasse est la plus noire
Pour cher­cher un repos plus sûr
De ta mémoire.

Tu rumines sans t’en nourrir
Ces pâtures de ta cervelle
Dont cha­cune est au souvenir
Vieille et nouvelle.

L’ombre où ton âme est occupée
Couche près de toi sa rancœur.
Toi sur cette mau­vaise épée
Presse ton cœur.

De conser­ver les yeux ouverts
Et l’esprit clos, c’est ton courage,
Qui pour l’automne et pour l’hiver
Est sans ouvrage.

Rien ne peut plus te secourir
Tu ne dis pas cher­chant remède
A la terre : Que le ciel t’aide ! —

Tu n’as plus besoin de mourir.

André Prud­hom­meaux

La Presse Anarchiste