La Presse Anarchiste

Poèmes de Claude Le Maguet

Le sang des matins

Fati­gué du labeur, tout le sang à la tête
Des crimes annon­cés à la une en manchette
Et dont le pourpre était pro­messe aux tribunaux,
Je m’en reve­nais lourd du plomb de cent journaux,
Par le matin noc­turne. Ah ! je revois encore
Les bœufs qu’on emme­nait mou­rir avant l’aurore,
Eton­nés des mai­sons, intri­gués de leurs pas
Qui ne s’entendaient plus sur le pavé de bois.
En doute de leur sort, ils che­mi­naient sans plainte
Dans le noir de la ville, étrange labyrinthe,
Ces par­tants pour la mort avec le même ennui
Que si vers les labours on les avait conduits.
Mais la rue une rue enfin sans noctambules,
Sans chiens ni bruits rôdeurs, libre de véhicules,
N’était plus que la voie aus­tère du malheur…
Tou­jours les condam­nés sont rivés à mon cœur,
Et je son­geais pas­sant près du Père-Lachaise
Aux vain­cus mis au Mur puis en tas dans la glaise…
C’était l’heure où Dei­bler, en habit des grands jours,
S’apprêtait à ver­ser le rouge au vieux faubourg.
On n’en peut plus d’être homme… Ah ! que sait-on du monde ?
Allons plu­tôt dor­mir, plon­ger en eau profonde.

Chan­son pour la pente

Ménil­mon­tant, la belle côte
A grim­per quand on a vingt ans !
De mon âge il fau­drait qu’on m’ôte,
Aubé­pine de mon printemps.

Rien que pour le bruit d’une enclume,
Soit remon­té tout le passé !
Petite zone sans bitume,
Voi­ci le che­min rebroussé.

Robe de chambre et barbe blanche,
Le vieux sage je crois revoir,
Qui décou­pait en fraîches tranches
La bonne miche du savoir.

Toi qui chan­tais à rouge gorge,
Ô ber­gère anar du faubourg,
Des cou­plets pas­sés à la forge,
Que dirais-tu de ce retour ?

Claude Le Maguet

La Presse Anarchiste