La Presse Anarchiste

La préparation à la guerre sans la résistance du peuple. Pourquoi ?

[(

Ce
texte de Ramus est tiré de la Bro­chure mensuelle,
n°154, Paris, octobre 1935. Il com­mence par une des­crip­tion de la
pré­pa­ra­tion à la guerre qui se fait dans tous les pays
et de la mon­tée de l’hitlérisme. Nous avons supprimé
cer­tains pas­sages qui sont deve­nus inactuels.

)]

*
* * *

[…]

Le
dan­ger de guerre devient de plus en plus mena­çant. Cela nous
pose la ques­tion : Quelles sont les mesures qui pour­raient éviter
que la guerre éclate en empê­chant la pré­pa­ra­tion
à la guerre ? Où sont les grandes orga­ni­sa­tions qui
s’opposent à la course aux arme­ments de tous côtés ?
Où est ce grand mou­ve­ment de la paix qui s’oppose à
la guerre et à sa pré­pa­ra­tion (sans laquelle toute
guerre est impossible)?

Le
mou­ve­ment paci­fiste de notre époque se com­pose des tendances
suivantes :

1.
Les paci­fistes de gou­ver­ne­ment, les hommes d’État et
poli­ti­ciens qui pré­tendent tra­vailler pour la paix.

2.
Les paci­fistes bour­geois de la démo­cra­tie et du libéralisme.

3.
Les par­tis poli­tiques dits ouvriers, socia­listes, bol­che­vistes, etc.

4.
Les mou­ve­ments syn­di­caux qui suivent les précédents.

5.
La « Ligue mon­diale pour la sup­pres­sion de la guerre »,
fon­dée par Hen­ri Delmont.

6.
La Ligue inter­na­tio­nale des femmes pour la paix et la liberté.

7.
La Ligue inter­na­tio­nale pour le rap­pro­che­ment des peuples.

8.
L’association inter­na­tio­nale antimilitariste.

9.
L’Internationale des résis­tants à la guerre.

Cette
liste ne pré­tend pas être com­plète, mais elle est
assez large et il convient d’examiner l’activité actuelle
de toutes ces organisations.

Celles
nom­mées aux para­graphes 1. et 2. s’appuient sur­tout sur la
« Socié­té des nations » et le « Pacte
Kel­logg ». Leur œuvre pour la paix est iden­tique à
l’action paci­fiste de l’Eglise ; elles militent et sont adhérentes
de l’idée de paix aus­si long­temps que la guerre n’a pas
écla­té. Le cas échéant, elles s’associent
au par­ti guer­rier sous le pré­texte d’une « nécessité
insur­mon­table ». D’ailleurs, ces gens sont en grande partie
inté­res­sés eux-mêmes à la vic­toire de leur
gou­ver­ne­ment, ayant des posi­tions au gou­ver­ne­ment et, secrètement,
la plu­part d’entre eux sont action­naires de l’industrie
inter­na­tio­nale d’armements.

[…]

Voyons
main­te­nant les par­tis poli­tiques dits ouvriers. Leurs chefs
sont dans les divers par­le­ments. En leur qua­li­té de
par­le­men­taires, ils ont juré à l’État de le
secou­rir dans tout dan­ger, c’est-à-dire qu’ils sont
obli­gés, en cas de guerre, de prendre par­ti pour l’État,
de faire com­prendre au peuple par des phrases natio­nales et
patrio­tiques la néces­si­té de la défense du pays.

D’ailleurs,
socia­listes et bol­che­vistes savent très bien qu’eux aussi
auront besoin d’une armée au moment où ils auront
pris le pou­voir, sur­tout pour abattre le mécontentement
popu­laire. Le bol­che­visme russe en donne un exemple frap­pant et
clas­sique. Son mili­ta­risme gigan­tesque a été organisé
d’abord pour asser­vir le peuple russe, pour l’exploiter et le
tenir dans l’oppression. Il en résulte une organisation
armée prête à la guerre, quoique les dictateurs
bol­che­viques connaissent fort bien les moyens de l’antimilitarisme
pour désar­mer tous les gou­ver­ne­ments bour­geois et ainsi
rendre impos­sible toute guerre. Mais le mar­xisme veut être
aus­si un Etat avec grand pou­voir ; c’est pour­quoi son action n’a
pas le carac­tère des­truc­tif de l’anarchisme ; il ne sait
qu’imiter le mili­ta­risme bour­geois en menant le mal­heu­reux peuple
russe à la ruine par la guerre, de la même façon
qu’Hitler le fait avec le peuple allemand.

Il
appar­tient à la tra­gi-comé­die de notre temps de voir
que deux Etats qui se disent « socia­listes » forment
actuel­le­ment le front de guerre le plus achar­né. Entre le
natio­nal-socia­lisme et le bol­che­visme, il n’y a qu’une différence
de mots ; en véri­té, ce sont deux rivaux qui luttent
pour la supré­ma­tie natio­nale. Le tra­gique, c’est que les
peuples des deux côtés croient com­battre pour leurs
propres inté­rêts. Dans les cou­lisses, les deux groupes
diri­geants appar­tiennent au même Trust inter­na­tio­nal des
armements…

En
ce qui concerne le mou­ve­ment syn­di­cal dans le com­bat pour la
paix, il n’a pas de valeur, car ce mou­ve­ment se contente des
com­bats jour­na­liers pour les salaires (si encore il le fait…) et
pour une amé­lio­ra­tion minime dans le système
capi­ta­liste et mono­po­liste. Le com­bat contre la guerre, il le laisse
aux par­tis poli­tiques, comme actuel­le­ment en Angle­terre, ou comme
autre­fois en Ita­lie, en Alle­magne et en Autriche.

La
Ligue inter­na­tio­nale syn­di­cale (Amster­dam) a bien pris en 1922 de
très bonnes réso­lu­tions pour une action directe et la
grève géné­rale contre la guerre, mais elles sont
res­tées pla­to­niques. Pour avoir une valeur pra­tique, on aurait
dû se tour­ner contre l’industrie des arme­ments afin de rendre
impos­sible la pré­pa­ra­tion à la guerre. On ne tar­da pas
à oublier les anciennes réso­lu­tions antimilitaristes
car, ce que l’on n’exerce pas, on ne le retient pas…

Le
mou­ve­ment syn­di­cal mène un com­bat éco­no­mique si
dif­fi­cile pour pou­voir gar­der au moins un niveau de salaires moyen
que son action sociale a été refou­lée par les
dif­fi­cul­tés de l’existence éco­no­mique, et que le
ren­ver­se­ment du sys­tème lui est deve­nu impossible.

[…]

En
ce qui concerne le Mou­ve­ment inter­na­tio­nal de la réconciliation,
nous regret­tons que cette orga­ni­sa­tion de paix qui base son
tra­vail sur un fond éthique chré­tien n’ose pas suivre
l’effet jusqu’à la cause et s’attaquer à l’État.

C’est
pour­quoi la pro­pa­gande de cette orga­ni­sa­tion ne peut être
effi­cace pour la paix. Elle res­semble à toutes les Églises,
qui toutes « veulent la paix » et s’affichent contre
toute guerre, mais qui ne disent jamais aux croyants de refu­ser le
ser­vice mili­taire, ni de faire objec­tion, au nom de la parole du
Christ, aux obli­ga­tions meur­trières que ce ser­vice admet.

Il
n’y a que l’Association inter­na­tio­nale anti­mi­li­ta­riste et
l’Inter­nationale des résis­tants à la guerre
qui fassent la pro­pa­gande de l’action directe contre les
gou­ver­ne­ments, l’industrie des arme­ments et le mili­ta­risme en tout
 — ces trois maux sont com­bat­tus encore effi­ca­ce­ment par
l’Internationale anar­chiste. Les prin­cipes propagés
par ces orga­ni­sa­tions pour­raient empê­cher toute guerre.

Mal­heu­reu­se­ment,
ce sont jus­te­ment ces orga­ni­sa­tions pour le com­bat pour la paix
qui sont faibles puisqu’elles n’ont jamais eu l’aide des autres
mou­ve­ments « paci­fistes ». Les idées de l’action
directe et du sabo­tage de la pré­pa­ra­tion à la guerre,
de la pro­duc­tion d’armements, n’ont pas encore pu atteindre les
masses.

C’est
sur­tout l’empêchement de la guerre qui est d’une
impor­tance pri­mor­diale. Une action après que la guerre a
écla­té vient trop tard. Ce que l’on n’a pas fait
contre la pré­pa­ra­tion à la guerre, on ne pour­ra pas le
rat­tra­per après.

Si
l’État a pu déclen­cher une guerre, la résistance
arri­ve­ra trop tard ; non qu’il ne s’agisse plus à ce moment
de faire des actions anti­mi­li­ta­ristes, mais ce seront des actions aux
moindres chances de réussite.

*
* * *

L’auto­ri­té,
l’État et le com­bat contre la guerre

Com­ment
se fait-il qu’actuellement toutes les orga­ni­sa­tions de paix soient
sans aucune influence sur le peuple, au moment où leur
acti­vi­té serait de la plus haute importance ?

La
réponse à cette ques­tion peut faire voir les fautes
com­mises dans le pas­sé pour les évi­ter à présent
et pour sau­ver pour l’avenir ce qui est encore à sauver.

Cette
ques­tion pré­oc­cupe Run­ham Brown, le secré­taire de
l’Internationale des résis­tants à la guerre, dans un
article inti­tu­lé « Com­ment faut-il résis­ter à
la guerre ? » publié dans l’hebdomadaire belge le
Rouge et le Noir
(6 mars 1935). Il y expose les considérations
émi­nentes suivantes :

«
 La puis­sance de résis­tance contre la guerre se trouve dans
l’idée.
Le dan­ger de la guerre est la croyance en des
idées fausses. La puis­sance de pou­voir empê­cher la
guerre est dans la croyance en une idée juste. Cette idée
ne doit pas seule­ment être prê­chée par des mots ;
elle doit être exer­cée dans la vie, dans la pratique.
Cin­quante pour cent de tous les sol­dats du monde préféreraient
refu­ser le ser­vice mili­taire s’ils osaient…

« Le
mot de « révo­lu­tion » fait peur à la plupart
des gens. Ils voient en pen­sant à ce mot des bar­ri­cades dans
les rues, des ouvriers armés de cannes, de pierres et d’armes
essayant de tenir contre les mitrailleuses et tom­bant à la fin
 — c’est-à-dire une inuti­li­té san­glante, qui
n’aboutit à rien… Mais la révo­lu­tion pour laquelle
le réfrac­taire à la guerre com­bat ne se fait pas
d’une telle manière.
Quand même elle ne sera faite
que par la rébel­lion, c’est-à-dire par le refus
per­son­nel et par la résis­tance pas­sive contre l’autorité. »

Dans
ces mots se trouve le point essen­tiel du pro­blème entier, dont
la solu­tion va nous mon­trer com­ment il se fait que nous voyons une
pré­pa­ra­tion gigan­tesque à la guerre sans la résistance
des peuples. Pour la pre­mière fois, un paci­fiste reconnaît
que le refus de la dis­ci­pline et la résis­tance pas­sive contre
l’autorité de l’État sont la ques­tion essentielle
pour le com­bat contre la guerre. C’est un fait nou­veau dans le
mou­ve­ment paci­fiste : jusqu’à main­te­nant il n’y avait que
l’anarchisme qui avait consta­té et prou­vé cela.
Jamais aupa­ra­vant le paci­fisme n’a vou­lu recon­naître que la
lutte contre la guerre n’est qu’une gri­mace sans la lutte contre
le prin­cipe d’autorité.

Presque
tous les paci­fistes ont la fausse opi­nion qu’on pour­rait combattre
la guerre sans atta­quer l’État, et ils s’adressent aux
gou­ver­ne­ments pour qu’ils abo­lissent le mili­ta­risme en
mécon­nais­sant le fait que l’État représente
l’autorité et le mili­ta­risme, que la guerre n’est qu’une
ques­tion de conser­va­tion de soi-même.

Il
faut dès main­te­nant bien com­prendre : C’est cette erreur
des paci­fistes envers le prin­cipe d’État qui est la
déplo­rable cause du fait que les gou­ver­ne­ments peuvent
pré­pa­rer la guerre sans se heur­ter à la résistance
du peuple.

Les
paci­fistes ont mécon­nu l’État et le principe
d’autorité. Ils n’ont pas com­pris que la guerre n’est
pas un carac­tère iso­lé de l’État mais un moyen
dont dis­pose l’État pour gar­der sa sou­ve­rai­ne­té dans
tous les autres domaines de la vie.

Run­ham
Brown a bien rai­son de dire que 50 % de tous les sol­dats n’osent
pas refu­ser le ser­vice ; moi, je peux dire à juste titre aussi
que 90 % de tous les paci­fistes n’osent pas s’opposer à
l’autorité de l’État. Com­ment le deman­der aux
masses popu­laires ? Les paci­fistes n’ont rien fait pour libérer
l’esprit du peuple de sa foi en l’État. On ne peut pas
com­battre une chose qu’on consi­dère d’autre part comme une
déesse supé­rieure qui doit appor­ter le salut…

La
plu­part des paci­fistes recon­naissent l’État comme une sainte
néces­si­té pour la sau­ve­garde indi­vi­duelle dans la vie,
tan­dis que l’État n’est pas du tout une nécessité
pour le main­tien de l’ordre dans la socié­té ; l’État
n’est pas du tout une sau­ve­garde de la vie et du bien de
l’individu, bien au contraire. Mais on ne peut pas reconnaître
la néces­si­té de l’État en temps de « paix »
et vou­loir refu­ser à ce même prin­cipe qu’on croit bon
le secours au moment où ce prin­cipe est atta­qué et en
dan­ger… Ce n’est pas logique et cela ne peut pas être
com­pris par les masses. Les paci­fistes eux-mêmes renoncent
sou­vent à leur paci­fisme en recon­nais­sant les rai­sons de
l’État et la néces­si­té d’une « défense
du pays ». C’est logique, car on ne peut pas nier que celui
qui recon­naît la néces­si­té de l’État
pour la socié­té doive recon­naître aus­si que
l’État est la sau­ve­garde de la défense de la Nation,
de la Patrie dans le sens des gou­ver­nants. C’est pour­quoi, par
cette erreur fon­da­men­tale, le navire de l’idée de paix
chavire.

Il
n’y a que l’anarchisme qui puisse nier avec logique tout
natio­na­lisme et la défense de la nation en niant l’autorité
et l’État en soi. Les déci­sions dans les conflits des
gou­ver­ne­ments ne l’inté­ressent qu’indirectement, et
les anar­chistes réservent leurs forces pour com­battre les
causes de la guerre, sans les gas­piller au ser­vice de l’un ou de
l’autre gouvernement.

Les
paci­fistes qui ne nient pas et ne com­battent pas le principe
d’autorité en soi comme l’auteur de tous les maux se tuent
eux-mêmes. Ils n’apprennent pas aux masses à voir le
mal dans l’autorité. Com­ment alors ces masses
peuvent-elles-en cas de guerre refu­ser la dis­ci­pline et faire une
résis­tance passive ?

C’est
aus­si dans ce fait que repose la vic­toire du fas­cisme partout.
Pen­dant des dizaines d’années, le mar­xisme a inculqué
aux ouvriers la néces­si­té de l’État, la
néces­si­té de prendre le pou­voir, et même de la
dic­ta­ture et de la supé­rio­ri­té de la centralisation,
poli­tique, éco­no­mique et spi­ri­tuelle. Le fas­cisme en a tiré
les consé­quences. Les peuples se plient devant la vio­lence des
dic­ta­teurs fas­cistes parce qu’ils n’ont rien appris d’autre des
chefs de leurs partis.

Et
pour cette même rai­son il n’y a pas de grande et forte
orga­ni­sa­tion des masses qui com­bat­trait la pré­pa­ra­tion à
la guerre des gou­ver­ne­ments divers, qui s’élèverait
acti­ve­ment contre leur auto­ri­té. Le manque d’un grand
mou­ve­ment anar­chiste sou­te­nu par le paci­fisme prend sa terrible
revanche.

[…]

*
* * * *

Avec
Tol­stoï et d’autres je nie la « col­la­bo­ra­tion pacifique
de plu­sieurs gou­ver­ne­ments démo­cra­tiques» ; Tolstoï
aus­si nous a mon­tré du point de vue chré­tien que la
base de tout Etat est la vio­lence. Même la socio­lo­gie des
uni­ver­si­tés a dû le recon­naître (Gum­plo­wocz,
Rut­zen­ho­fer, Oppen­hei­mer et d’autres) [[Et
pour citer un socio­logue plus connu, Max Weber : « L’Etat ne se
laisse défi­nir socio­lo­gi­que­ment que par le moyen spé­ci­fique
qui lui est propre, ain­si qu’à tout autre groupement
poli­tique, à savoir la vio­lence phy­sique. » (Le savant
et le poli­tique.)
]]. Nous voyons ain­si que
tous les gou­ver­ne­ments pré­parent leurs sujets à la
guerre ; seule­ment, les uns le font pour la guerre, les autres pour la
paix… Tous les gou­ver­ne­ments trompent leurs sujets de la même
façon en disant que la guerre est menée pour la défense
du pays, de la vie de son peuple, etc.

Il
est vrai que l’objection de conscience au ser­vice mili­taire veut
dire un sacri­fice, même sou­vent la mort. Mais mar­cher à
la guerre, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est aus­si la
muti­la­tion, la mort… Pour­quoi ne pas se sacri­fier plu­tôt pour
l’idée de la Paix ?

Je
ne veux inci­ter per­sonne à faire une action à laquelle
il n’est pas pous­sé lui-même par sa conscience, mais
on ne peut pas nier que quelques mil­liers d’objecteurs seule­ment ne
peuvent être exé­cu­tés sans que le peuple se
révolte. Et même la mort, n’est-elle pas meilleure et
plus hono­rable pour la paix que pour le prin­cipe néfaste et
affreux de la guerre ?

Et
puis, l’objection peut se mani­fes­ter non seule­ment par le refus
direct, mais aus­si dans l’armée même, aus­si longtemps
qu’elle pour­suit son prin­cipe anti­mi­li­ta­riste et anti­guer­rier. Les
Grecs étaient le plus à craindre lorsqu’ils se
trou­vaient dans le che­val de Troie…

Mais
la seule action consé­quente du paci­fiste est le refus
indi­vi­duel, soit-il ouvert ou caché. C’est aus­si le seul qui
puisse se mani­fes­ter sans la grande masse ; ce n’est pas important
que nous ne puis­sions empê­cher la guerre — il suf­fit pour les
paci­fistes de n’avoir rien à se repro­cher, d’avoir fait
tout ce qu’ils pou­vaient pour ne pas faire par­tie eux-mêmes
de la guerre. En ce qui concerne ceux qui sont enthousiasmés
et qui se plient, on pour­rait dis­cu­ter s’ils ne tombent pas sous la
loi de la sélec­tion en ouvrant la voie à un
déve­lop­pe­ment plus pacifique.

Est-ce
que l’objection est vrai­ment un affai­blis­se­ment de la force de
résis­tance par­mi les peuples démo­cra­tiques et plus
« liber­taires » « dans cette par­tie du monde qui n’est
pas encore folle » ? Le pro­fes­seur Ein­stein [[Dont
Ramus a expo­sé plus haut la théo­rie du « pacifisme
rela­tif ».]] devrait nous
prou­ver que la guerre qui écla­te­ra sera des deux côtés
autre chose que la démence et la folie. Nous croyons qu’il
vaut mieux conti­nuer à dire avec Ber­trand Rus­sell : « Aucun
des maux qu’on veut évi­ter par la guerre n’est pire que la
guerre elle-même. »

En
ce qui concerne la pro­po­si­tion du pro­fes­seur Ein­stein de mettre à
la place de l’objection à la guerre le rap­pro­che­ment des
gou­ver­ne­ments et des pays qui veulent un pro­grès pacifique
contre un État ou plu­sieurs qui veulent la guerre et vont à
l’attaque, c’est notam­ment le point de vue des gouvernements
réunis dans la SDN. Mais ce point de vue est faux, car la
guerre est une loi de sur­vie pour l’État à des
inter­valles régu­liers, ce qui est prou­vé depuis
long­temps par la socio­lo­gie. Dans toute l’histoire, nous ne
trou­vons pas un seul État qui aurait pu tenir sans guerres.
Chaque gou­ver­ne­ment veut le « pro­grès pacifique »
aus­si long­temps qu’il est avan­ta­geux ; une guerre lui promettant
plus, c’est l’État qui la fait.

Cette
opi­nion naïve du « pro­grès paci­fique » parmi
les gou­ver­ne­ments est réfu­tée aus­si par le fait qu’il
n’y a pas un seul gou­ver­ne­ment qui désarmerait
volontairement.

Même
les États « désar­més » comme l’Allemagne,
la Hon­grie, etc., ont tou­jours gar­dé un petit reste
d’armements qui ont été accor­dés par les
trai­tés. Et au lieu de désar­mer entiè­re­ment pour
ôter tout pré­texte aux autres gou­ver­ne­ments d’une
néces­si­té d’armement, ils se sont efforcés
d’obtenir « éga­li­té des droits ». Ils
rendent ain­si un double ser­vice : d’un côté à
l’industrie des arme­ments de leur propre pays, en même temps
qu’à celle des autres pays — au fond, c’est une haute
tra­hi­son du peuple, du pays, de la paix…

Ain­si
nous devons dire : l’objection et la résis­tance à la
guerre forment un prin­cipe qui vaut envers tous les gouvernements.

La
vie du peuple, le pays d’un peuple ne peuvent pas être
sau­ve­gar­dés par la guerre, et à l’État qui
demande la vie du peuple il doit être répon­du par le
refus et la résis­tance à la guerre. Mais qui pourra
res­ter fidèle à ce principe ?

Seul
l’homme qui com­prend qu’une ins­ti­tu­tion — l’État —
qui orga­nise le crime le plus redou­table, la guerre, ne pour­ra jamais
garan­tir une socié­té paci­fique, juste et digne.

Il
n’y a donc que l’anarchiste qui soit le paci­fiste conséquent.

Dans
la poli­tique et la socié­té, c’est tou­jours l’État
qui met la paix en dan­ger, parce que les inté­rêts de
l’État forment des pré­textes à des conflits si
grands qu’ils mènent for­cé­ment la guerre.

Toutes
les guerres des temps modernes ont des causes com­munes : le désir
de puis­sance de l’autorité et le désir d’exploitation
des mono­poles.
L’État ne peut garan­tir que jusqu’à
un cer­tain point limi­té la paix dans la vie sociale. Aussitôt
que les pro­fits et la puis­sance de l’État sont en jeu, il
n’y a plus qu’un seul prin­cipe qui règne : la vio­lence, la
supé­rio­ri­té du plus fort.

Le
main­tien de cet Etat mono­po­liste capi­ta­liste n’est pos­sible que par
la créa­tion d’institutions mili­taires. Le mili­ta­risme n’est
pas seule­ment une force impro­duc­tive, mais c’est aus­si un facteur
éco­no­mique pour le capi­ta­lisme, car le mili­ta­risme a besoin de
pro­duits et pou­voir les four­nir donne lieu à une participation
impor­tante au sys­tème mono­po­liste, à ses possibilités
d’enrichissement. Enle­ver au capi­ta­lisme ces débouchés
équi­vaut à mettre en dan­ger le système
capi­ta­liste, ce qu’il ne peut pas sup­por­ter à la longue.

L’autorité,
le mono­po­lisme, le mili­ta­risme,
ce sont les bases de l’État.
L’anarchiste recon­naît ces bases dans toute société
fon­dée sur la vio­lence et c’est pour­quoi son paci­fisme ne
peut jamais se déci­der pour une guerre qui serait en faveur de
tel ou tel gou­ver­ne­ment. Pour un anar­chiste, l’occupation de son
pays par une autre nation vaut mieux que la bes­tia­li­té d’une
guerre ; aucun gou­ver­ne­ment enne­mi ne peut être aussi
oppres­seur, aus­si meur­trier que le champ de bataille, la guerre…

C’est
pour­quoi seul l’anarchiste peut refu­ser la guerre en toutes
cir­cons­tances ; celui qui recon­naît l’État comme base
de la socié­té doit recon­naître aus­si la guerre
qui n’est que la lutte d’un Etat pour se main­te­nir sous sa forme
natio­nale et politique.

Aus­si
long­temps que le paci­fisme ne vou­dra pas com­prendre cette vérité,
il res­te­ra vain­cu. Seul le paci­fisme qui ne com­prend qu’une
ins­ti­tu­tion dont la vie his­to­rique com­porte la guerre en soi et ne
peut jamais sous aucune forme garan­tir la paix, seul ce pacifisme
pour­ra enflam­mer les peuples pour qu’ils se refusent à toute
« guerre nécessaire ».

Seul
un peuple qui ne croit plus en l’État, qui ne lui obéit
plus, pour­ra résis­ter à la guerre en ren­dant impossible
sa préparation.

La Presse Anarchiste