La Presse Anarchiste

La préparation à la guerre sans la résistance du peuple. Pourquoi ?

[(

Ce
texte de Ramus est tiré de la Brochure men­su­elle,
n°154, Paris, octo­bre 1935. Il com­mence par une descrip­tion de la
pré­pa­ra­tion à la guerre qui se fait dans tous les pays
et de la mon­tée de l’hitlérisme. Nous avons supprimé
cer­tains pas­sages qui sont devenus inactuels.

)]

*
* * *

[…]

Le
dan­ger de guerre devient de plus en plus menaçant. Cela nous
pose la ques­tion : Quelles sont les mesures qui pour­raient éviter
que la guerre éclate en empêchant la pré­pa­ra­tion
à la guerre ? Où sont les grandes organ­i­sa­tions qui
s’opposent à la course aux arme­ments de tous côtés ?
Où est ce grand mou­ve­ment de la paix qui s’oppose à
la guerre et à sa pré­pa­ra­tion (sans laque­lle toute
guerre est impossible)?

Le
mou­ve­ment paci­fiste de notre époque se com­pose des tendances
suivantes :

1.
Les paci­fistes de gou­verne­ment, les hommes d’État et
politi­ciens qui pré­ten­dent tra­vailler pour la paix.

2.
Les paci­fistes bour­geois de la démoc­ra­tie et du libéralisme.

3.
Les par­tis poli­tiques dits ouvri­ers, social­istes, bolchevistes, etc.

4.
Les mou­ve­ments syn­di­caux qui suiv­ent les précédents.

5.
La « Ligue mon­di­ale pour la sup­pres­sion de la guerre »,
fondée par Hen­ri Delmont.

6.
La Ligue inter­na­tionale des femmes pour la paix et la liberté.

7.
La Ligue inter­na­tionale pour le rap­proche­ment des peuples.

8.
L’association inter­na­tionale antimilitariste.

9.
L’Internationale des résis­tants à la guerre.

Cette
liste ne pré­tend pas être com­plète, mais elle est
assez large et il con­vient d’examiner l’activité actuelle
de toutes ces organisations.

Celles
nom­mées aux para­graphes 1. et 2. s’appuient surtout sur la
« Société des nations » et le « Pacte
Kel­logg ». Leur œuvre pour la paix est iden­tique à
l’action paci­fiste de l’Eglise ; elles mili­tent et sont adhérentes
de l’idée de paix aus­si longtemps que la guerre n’a pas
éclaté. Le cas échéant, elles s’associent
au par­ti guer­ri­er sous le pré­texte d’une « nécessité
insur­montable ». D’ailleurs, ces gens sont en grande partie
intéressés eux-mêmes à la vic­toire de leur
gou­verne­ment, ayant des posi­tions au gou­verne­ment et, secrètement,
la plu­part d’entre eux sont action­naires de l’industrie
inter­na­tionale d’armements.

[…]

Voyons
main­tenant les par­tis poli­tiques dits ouvri­ers. Leurs chefs
sont dans les divers par­lements. En leur qual­ité de
par­lemen­taires, ils ont juré à l’État de le
sec­ourir dans tout dan­ger, c’est-à-dire qu’ils sont
oblig­és, en cas de guerre, de pren­dre par­ti pour l’État,
de faire com­pren­dre au peu­ple par des phras­es nationales et
patri­o­tiques la néces­sité de la défense du pays.

D’ailleurs,
social­istes et bolchevistes savent très bien qu’eux aussi
auront besoin d’une armée au moment où ils auront
pris le pou­voir, surtout pour abat­tre le mécontentement
pop­u­laire. Le bolchevisme russe en donne un exem­ple frap­pant et
clas­sique. Son mil­i­tarisme gigan­tesque a été organisé
d’abord pour asservir le peu­ple russe, pour l’exploiter et le
tenir dans l’oppression. Il en résulte une organisation
armée prête à la guerre, quoique les dictateurs
bolcheviques con­nais­sent fort bien les moyens de l’antimilitarisme
pour désarmer tous les gou­verne­ments bour­geois et ainsi
ren­dre impos­si­ble toute guerre. Mais le marx­isme veut être
aus­si un Etat avec grand pou­voir ; c’est pourquoi son action n’a
pas le car­ac­tère destruc­tif de l’anarchisme ; il ne sait
qu’imiter le mil­i­tarisme bour­geois en menant le mal­heureux peuple
russe à la ruine par la guerre, de la même façon
qu’Hitler le fait avec le peu­ple allemand.

Il
appar­tient à la tra­gi-comédie de notre temps de voir
que deux Etats qui se dis­ent « social­istes » forment
actuelle­ment le front de guerre le plus acharné. Entre le
nation­al-social­isme et le bolchevisme, il n’y a qu’une différence
de mots ; en vérité, ce sont deux rivaux qui luttent
pour la supré­matie nationale. Le trag­ique, c’est que les
peu­ples des deux côtés croient com­bat­tre pour leurs
pro­pres intérêts. Dans les couliss­es, les deux groupes
dirigeants appar­ti­en­nent au même Trust inter­na­tion­al des
armements…

En
ce qui con­cerne le mou­ve­ment syn­di­cal dans le com­bat pour la
paix, il n’a pas de valeur, car ce mou­ve­ment se con­tente des
com­bats jour­naliers pour les salaires (si encore il le fait…) et
pour une amélio­ra­tion min­ime dans le système
cap­i­tal­iste et monop­o­liste. Le com­bat con­tre la guerre, il le laisse
aux par­tis poli­tiques, comme actuelle­ment en Angleterre, ou comme
autre­fois en Ital­ie, en Alle­magne et en Autriche.

La
Ligue inter­na­tionale syn­di­cale (Ams­ter­dam) a bien pris en 1922 de
très bonnes réso­lu­tions pour une action directe et la
grève générale con­tre la guerre, mais elles sont
restées pla­toniques. Pour avoir une valeur pra­tique, on aurait
dû se tourn­er con­tre l’industrie des arme­ments afin de rendre
impos­si­ble la pré­pa­ra­tion à la guerre. On ne tar­da pas
à oubli­er les anci­ennes réso­lu­tions antimilitaristes
car, ce que l’on n’exerce pas, on ne le retient pas…

Le
mou­ve­ment syn­di­cal mène un com­bat économique si
dif­fi­cile pour pou­voir garder au moins un niveau de salaires moyen
que son action sociale a été refoulée par les
dif­fi­cultés de l’existence économique, et que le
ren­verse­ment du sys­tème lui est devenu impossible.

[…]

En
ce qui con­cerne le Mou­ve­ment inter­na­tion­al de la réconciliation,
nous regret­tons que cette organ­i­sa­tion de paix qui base son
tra­vail sur un fond éthique chré­tien n’ose pas suivre
l’effet jusqu’à la cause et s’attaquer à l’État.

C’est
pourquoi la pro­pa­gande de cette organ­i­sa­tion ne peut être
effi­cace pour la paix. Elle ressem­ble à toutes les Églises,
qui toutes « veu­lent la paix » et s’affichent contre
toute guerre, mais qui ne dis­ent jamais aux croy­ants de refuser le
ser­vice mil­i­taire, ni de faire objec­tion, au nom de la parole du
Christ, aux oblig­a­tions meur­trières que ce ser­vice admet.

Il
n’y a que l’Association inter­na­tionale anti­mil­i­tariste et
l’Inter­nationale des résis­tants à la guerre
qui fassent la pro­pa­gande de l’action directe con­tre les
gou­verne­ments, l’industrie des arme­ments et le mil­i­tarisme en tout
— ces trois maux sont com­bat­tus encore effi­cace­ment par
l’Internationale anar­chiste. Les principes propagés
par ces organ­i­sa­tions pour­raient empêch­er toute guerre.

Mal­heureuse­ment,
ce sont juste­ment ces organ­i­sa­tions pour le com­bat pour la paix
qui sont faibles puisqu’elles n’ont jamais eu l’aide des autres
mou­ve­ments « paci­fistes ». Les idées de l’action
directe et du sab­o­tage de la pré­pa­ra­tion à la guerre,
de la pro­duc­tion d’armements, n’ont pas encore pu attein­dre les
masses.

C’est
surtout l’empêchement de la guerre qui est d’une
impor­tance pri­mor­diale. Une action après que la guerre a
éclaté vient trop tard. Ce que l’on n’a pas fait
con­tre la pré­pa­ra­tion à la guerre, on ne pour­ra pas le
rat­trap­er après.

Si
l’État a pu déclencher une guerre, la résistance
arrivera trop tard ; non qu’il ne s’agisse plus à ce moment
de faire des actions anti­mil­i­taristes, mais ce seront des actions aux
moin­dres chances de réussite.

*
* * *

L’autorité,
l’État et le com­bat con­tre la guerre

Com­ment
se fait-il qu’actuellement toutes les organ­i­sa­tions de paix soient
sans aucune influ­ence sur le peu­ple, au moment où leur
activ­ité serait de la plus haute importance ?

La
réponse à cette ques­tion peut faire voir les fautes
com­mis­es dans le passé pour les éviter à présent
et pour sauver pour l’avenir ce qui est encore à sauver.

Cette
ques­tion préoc­cupe Run­ham Brown, le secré­taire de
l’Internationale des résis­tants à la guerre, dans un
arti­cle inti­t­ulé « Com­ment faut-il résis­ter à
la guerre ? » pub­lié dans l’hebdomadaire belge le
Rouge et le Noir
(6 mars 1935). Il y expose les considérations
émi­nentes suivantes :

«
 La puis­sance de résis­tance con­tre la guerre se trou­ve dans
l’idée.
Le dan­ger de la guerre est la croy­ance en des
idées fauss­es. La puis­sance de pou­voir empêch­er la
guerre est dans la croy­ance en une idée juste. Cette idée
ne doit pas seule­ment être prêchée par des mots ;
elle doit être exer­cée dans la vie, dans la pratique.
Cinquante pour cent de tous les sol­dats du monde préféreraient
refuser le ser­vice mil­i­taire s’ils osaient…

« Le
mot de « révo­lu­tion » fait peur à la plupart
des gens. Ils voient en pen­sant à ce mot des bar­ri­cades dans
les rues, des ouvri­ers armés de cannes, de pier­res et d’armes
essayant de tenir con­tre les mitrailleuses et tombant à la fin
— c’est-à-dire une inutil­ité sanglante, qui
n’aboutit à rien… Mais la révo­lu­tion pour laquelle
le réfrac­taire à la guerre com­bat ne se fait pas
d’une telle manière.
Quand même elle ne sera faite
que par la rébel­lion, c’est-à-dire par le refus
per­son­nel et par la résis­tance pas­sive con­tre l’autorité. »

Dans
ces mots se trou­ve le point essen­tiel du prob­lème entier, dont
la solu­tion va nous mon­tr­er com­ment il se fait que nous voyons une
pré­pa­ra­tion gigan­tesque à la guerre sans la résistance
des peu­ples. Pour la pre­mière fois, un paci­fiste reconnaît
que le refus de la dis­ci­pline et la résis­tance pas­sive contre
l’autorité de l’État sont la ques­tion essentielle
pour le com­bat con­tre la guerre. C’est un fait nou­veau dans le
mou­ve­ment paci­fiste : jusqu’à main­tenant il n’y avait que
l’anarchisme qui avait con­staté et prou­vé cela.
Jamais aupar­a­vant le paci­fisme n’a voulu recon­naître que la
lutte con­tre la guerre n’est qu’une gri­mace sans la lutte con­tre
le principe d’autorité.

Presque
tous les paci­fistes ont la fausse opin­ion qu’on pour­rait combattre
la guerre sans atta­quer l’État, et ils s’adressent aux
gou­verne­ments pour qu’ils abolis­sent le mil­i­tarisme en
mécon­nais­sant le fait que l’État représente
l’autorité et le mil­i­tarisme, que la guerre n’est qu’une
ques­tion de con­ser­va­tion de soi-même.

Il
faut dès main­tenant bien com­pren­dre : C’est cette erreur
des paci­fistes envers le principe d’État qui est la
déplorable cause du fait que les gou­verne­ments peuvent
pré­par­er la guerre sans se heurter à la résistance
du peuple.

Les
paci­fistes ont mécon­nu l’État et le principe
d’autorité. Ils n’ont pas com­pris que la guerre n’est
pas un car­ac­tère isolé de l’État mais un moyen
dont dis­pose l’État pour garder sa sou­veraineté dans
tous les autres domaines de la vie.

Run­ham
Brown a bien rai­son de dire que 50 % de tous les sol­dats n’osent
pas refuser le ser­vice ; moi, je peux dire à juste titre aussi
que 90 % de tous les paci­fistes n’osent pas s’opposer à
l’autorité de l’État. Com­ment le deman­der aux
mass­es pop­u­laires ? Les paci­fistes n’ont rien fait pour libérer
l’esprit du peu­ple de sa foi en l’État. On ne peut pas
com­bat­tre une chose qu’on con­sid­ère d’autre part comme une
déesse supérieure qui doit apporter le salut…

La
plu­part des paci­fistes recon­nais­sent l’État comme une sainte
néces­sité pour la sauve­g­arde indi­vidu­elle dans la vie,
tan­dis que l’État n’est pas du tout une nécessité
pour le main­tien de l’ordre dans la société ; l’État
n’est pas du tout une sauve­g­arde de la vie et du bien de
l’individu, bien au con­traire. Mais on ne peut pas reconnaître
la néces­sité de l’État en temps de « paix »
et vouloir refuser à ce même principe qu’on croit bon
le sec­ours au moment où ce principe est attaqué et en
dan­ger… Ce n’est pas logique et cela ne peut pas être
com­pris par les mass­es. Les paci­fistes eux-mêmes renoncent
sou­vent à leur paci­fisme en recon­nais­sant les raisons de
l’État et la néces­sité d’une « défense
du pays ». C’est logique, car on ne peut pas nier que celui
qui recon­naît la néces­sité de l’État
pour la société doive recon­naître aus­si que
l’État est la sauve­g­arde de la défense de la Nation,
de la Patrie dans le sens des gou­ver­nants. C’est pourquoi, par
cette erreur fon­da­men­tale, le navire de l’idée de paix
chavire.

Il
n’y a que l’anarchisme qui puisse nier avec logique tout
nation­al­isme et la défense de la nation en niant l’autorité
et l’État en soi. Les déci­sions dans les con­flits des
gou­verne­ments ne l’inté­ressent qu’indirectement, et
les anar­chistes réser­vent leurs forces pour com­bat­tre les
caus­es de la guerre, sans les gaspiller au ser­vice de l’un ou de
l’autre gouvernement.

Les
paci­fistes qui ne nient pas et ne com­bat­tent pas le principe
d’autorité en soi comme l’auteur de tous les maux se tuent
eux-mêmes. Ils n’apprennent pas aux mass­es à voir le
mal dans l’autorité. Com­ment alors ces masses
peu­vent-elles-en cas de guerre refuser la dis­ci­pline et faire une
résis­tance passive ?

C’est
aus­si dans ce fait que repose la vic­toire du fas­cisme partout.
Pen­dant des dizaines d’années, le marx­isme a inculqué
aux ouvri­ers la néces­sité de l’État, la
néces­sité de pren­dre le pou­voir, et même de la
dic­tature et de la supéri­or­ité de la centralisation,
poli­tique, économique et spir­ituelle. Le fas­cisme en a tiré
les con­séquences. Les peu­ples se plient devant la vio­lence des
dic­ta­teurs fas­cistes parce qu’ils n’ont rien appris d’autre des
chefs de leurs partis.

Et
pour cette même rai­son il n’y a pas de grande et forte
organ­i­sa­tion des mass­es qui com­bat­trait la pré­pa­ra­tion à
la guerre des gou­verne­ments divers, qui s’élèverait
active­ment con­tre leur autorité. Le manque d’un grand
mou­ve­ment anar­chiste soutenu par le paci­fisme prend sa terrible
revanche.

[…]

*
* * * *

Avec
Tol­stoï et d’autres je nie la « col­lab­o­ra­tion pacifique
de plusieurs gou­verne­ments démoc­ra­tiques» ; Tolstoï
aus­si nous a mon­tré du point de vue chré­tien que la
base de tout Etat est la vio­lence. Même la soci­olo­gie des
uni­ver­sités a dû le recon­naître (Gumplowocz,
Rutzen­hofer, Oppen­heimer et d’autres) [[Et
pour citer un soci­o­logue plus con­nu, Max Weber : « L’Etat ne se
laisse définir soci­ologique­ment que par le moyen spé­ci­fique
qui lui est pro­pre, ain­si qu’à tout autre groupement
poli­tique, à savoir la vio­lence physique. » (Le savant
et le poli­tique.)
]]. Nous voyons ain­si que
tous les gou­verne­ments pré­par­ent leurs sujets à la
guerre ; seule­ment, les uns le font pour la guerre, les autres pour la
paix… Tous les gou­verne­ments trompent leurs sujets de la même
façon en dis­ant que la guerre est menée pour la défense
du pays, de la vie de son peu­ple, etc.

Il
est vrai que l’objection de con­science au ser­vice mil­i­taire veut
dire un sac­ri­fice, même sou­vent la mort. Mais marcher à
la guerre, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est aus­si la
muti­la­tion, la mort… Pourquoi ne pas se sac­ri­fi­er plutôt pour
l’idée de la Paix ?

Je
ne veux inciter per­son­ne à faire une action à laquelle
il n’est pas poussé lui-même par sa con­science, mais
on ne peut pas nier que quelques mil­liers d’objecteurs seule­ment ne
peu­vent être exé­cutés sans que le peu­ple se
révolte. Et même la mort, n’est-elle pas meilleure et
plus hon­or­able pour la paix que pour le principe néfaste et
affreux de la guerre ?

Et
puis, l’objection peut se man­i­fester non seule­ment par le refus
direct, mais aus­si dans l’armée même, aus­si longtemps
qu’elle pour­suit son principe anti­mil­i­tariste et antiguer­ri­er. Les
Grecs étaient le plus à crain­dre lorsqu’ils se
trou­vaient dans le cheval de Troie…

Mais
la seule action con­séquente du paci­fiste est le refus
indi­vidu­el, soit-il ouvert ou caché. C’est aus­si le seul qui
puisse se man­i­fester sans la grande masse ; ce n’est pas important
que nous ne puis­sions empêch­er la guerre — il suf­fit pour les
paci­fistes de n’avoir rien à se reprocher, d’avoir fait
tout ce qu’ils pou­vaient pour ne pas faire par­tie eux-mêmes
de la guerre. En ce qui con­cerne ceux qui sont enthousiasmés
et qui se plient, on pour­rait dis­cuter s’ils ne tombent pas sous la
loi de la sélec­tion en ouvrant la voie à un
développe­ment plus pacifique.

Est-ce
que l’objection est vrai­ment un affaib­lisse­ment de la force de
résis­tance par­mi les peu­ples démoc­ra­tiques et plus
« lib­er­taires » « dans cette par­tie du monde qui n’est
pas encore folle » ? Le pro­fesseur Ein­stein [[Dont
Ramus a exposé plus haut la théorie du « pacifisme
relatif ».]] devrait nous
prou­ver que la guerre qui éclat­era sera des deux côtés
autre chose que la démence et la folie. Nous croyons qu’il
vaut mieux con­tin­uer à dire avec Bertrand Rus­sell : « Aucun
des maux qu’on veut éviter par la guerre n’est pire que la
guerre elle-même. »

En
ce qui con­cerne la propo­si­tion du pro­fesseur Ein­stein de met­tre à
la place de l’objection à la guerre le rap­proche­ment des
gou­verne­ments et des pays qui veu­lent un pro­grès pacifique
con­tre un État ou plusieurs qui veu­lent la guerre et vont à
l’attaque, c’est notam­ment le point de vue des gouvernements
réu­nis dans la SDN. Mais ce point de vue est faux, car la
guerre est une loi de survie pour l’État à des
inter­valles réguliers, ce qui est prou­vé depuis
longtemps par la soci­olo­gie. Dans toute l’histoire, nous ne
trou­vons pas un seul État qui aurait pu tenir sans guerres.
Chaque gou­verne­ment veut le « pro­grès pacifique »
aus­si longtemps qu’il est avan­tageux ; une guerre lui promettant
plus, c’est l’État qui la fait.

Cette
opin­ion naïve du « pro­grès paci­fique » parmi
les gou­verne­ments est réfutée aus­si par le fait qu’il
n’y a pas un seul gou­verne­ment qui désarmerait
volontairement.

Même
les États « désar­més » comme l’Allemagne,
la Hon­grie, etc., ont tou­jours gardé un petit reste
d’armements qui ont été accordés par les
traités. Et au lieu de désarmer entière­ment pour
ôter tout pré­texte aux autres gou­verne­ments d’une
néces­sité d’armement, ils se sont efforcés
d’obtenir « égal­ité des droits ». Ils
ren­dent ain­si un dou­ble ser­vice : d’un côté à
l’industrie des arme­ments de leur pro­pre pays, en même temps
qu’à celle des autres pays — au fond, c’est une haute
trahi­son du peu­ple, du pays, de la paix…

Ain­si
nous devons dire : l’objection et la résis­tance à la
guerre for­ment un principe qui vaut envers tous les gouvernements.

La
vie du peu­ple, le pays d’un peu­ple ne peu­vent pas être
sauve­g­ardés par la guerre, et à l’État qui
demande la vie du peu­ple il doit être répon­du par le
refus et la résis­tance à la guerre. Mais qui pourra
rester fidèle à ce principe ?

Seul
l’homme qui com­prend qu’une insti­tu­tion — l’État —
qui organ­ise le crime le plus red­outable, la guerre, ne pour­ra jamais
garan­tir une société paci­fique, juste et digne.

Il
n’y a donc que l’anarchiste qui soit le paci­fiste conséquent.

Dans
la poli­tique et la société, c’est tou­jours l’État
qui met la paix en dan­ger, parce que les intérêts de
l’État for­ment des pré­textes à des con­flits si
grands qu’ils mènent for­cé­ment la guerre.

Toutes
les guer­res des temps mod­ernes ont des caus­es com­munes : le désir
de puis­sance de l’autorité et le désir d’exploitation
des monopoles.
L’État ne peut garan­tir que jusqu’à
un cer­tain point lim­ité la paix dans la vie sociale. Aussitôt
que les prof­its et la puis­sance de l’État sont en jeu, il
n’y a plus qu’un seul principe qui règne : la vio­lence, la
supéri­or­ité du plus fort.

Le
main­tien de cet Etat monop­o­liste cap­i­tal­iste n’est pos­si­ble que par
la créa­tion d’institutions mil­i­taires. Le mil­i­tarisme n’est
pas seule­ment une force impro­duc­tive, mais c’est aus­si un facteur
économique pour le cap­i­tal­isme, car le mil­i­tarisme a besoin de
pro­duits et pou­voir les fournir donne lieu à une participation
impor­tante au sys­tème monop­o­liste, à ses possibilités
d’enrichissement. Enlever au cap­i­tal­isme ces débouchés
équiv­aut à met­tre en dan­ger le système
cap­i­tal­iste, ce qu’il ne peut pas sup­port­er à la longue.

L’autorité,
le monop­o­lisme, le mil­i­tarisme,
ce sont les bases de l’État.
L’anarchiste recon­naît ces bases dans toute société
fondée sur la vio­lence et c’est pourquoi son paci­fisme ne
peut jamais se décider pour une guerre qui serait en faveur de
tel ou tel gou­verne­ment. Pour un anar­chiste, l’occupation de son
pays par une autre nation vaut mieux que la bes­tial­ité d’une
guerre ; aucun gou­verne­ment enne­mi ne peut être aussi
oppresseur, aus­si meur­tri­er que le champ de bataille, la guerre…

C’est
pourquoi seul l’anarchiste peut refuser la guerre en toutes
cir­con­stances ; celui qui recon­naît l’État comme base
de la société doit recon­naître aus­si la guerre
qui n’est que la lutte d’un Etat pour se main­tenir sous sa forme
nationale et politique.

Aus­si
longtemps que le paci­fisme ne voudra pas com­pren­dre cette vérité,
il restera vain­cu. Seul le paci­fisme qui ne com­prend qu’une
insti­tu­tion dont la vie his­torique com­porte la guerre en soi et ne
peut jamais sous aucune forme garan­tir la paix, seul ce pacifisme
pour­ra enflam­mer les peu­ples pour qu’ils se refusent à toute
« guerre nécessaire ».

Seul
un peu­ple qui ne croit plus en l’État, qui ne lui obéit
plus, pour­ra résis­ter à la guerre en ren­dant impossible
sa préparation.


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