Les premières assemblées
Sur
400.000 Athéniens, 40.000 étaient citoyens et avaient
accès à l’Assemblée (Ecclesia), mais il n’y eut
jamais plus de 6.000 présents. Restaient en fait hors de la
démocratie : 34.000 citoyens, 90.000 femmes et enfants, 70.000
étrangers (Métèques) et 200.000 esclaves.
À
Rome seules les familles patriciennes étaient représentées
au Sénat et le peuple n’arracha une représentation
séparée qu’au prix d’une lutte revendicative séculaire
(retraite sur l’Aventin, etc.); mais alors une nouvelle division en
classes sociales était apparue…
De
même les républiques urbaines médiévales
furent gouvernées par des assemblées patriciennes
contre lesquelles les travailleurs se soulevaient parfois (surtout au
XIVe siècle avec Jacques d’Artevelde à Gand,
Michel Lando à Florence, etc.)
Les
premières véritable démocraties d’Europe citées
comme seules « démocraties directes » furent les
cantons suisses dont tous les habitants (sauf les femmes il est vrai)
se réunirent eux-mêmes en Assemblée : Le
Landsgemeinde.
L’ancien régime
Ailleurs
la société féodale continuait la tradition des
tribus guerrières nomades germaniques où l’assemblée
des hommes libres élisaient le chef. Les autres hommes
(esclaves, serfs…) n’ayant évidemment pas voix au chapitre.
Ainsi furent successivement élus par l’assemblée du
« peuple » c’est-à-dire des vassaux, les fondateurs
des dynasties françaises : Clovis, Pépin le Bref, Hugues
Capet, Philippe de Valois. Une fois installée chaque famille
régnante s’arrangeait pour instaurer en fait l’hérédité,
mais ne pouvait se passer de la consultation théorique des
vassaux. Le monarque conservait en outre à ses côtés
une « Curia Regis » (Cour du Roi) d’où naquit le
Parlement ; en France, simple tribunal supérieur ayant à
enregistrer les ordonnances royales. Les parlementaires : Nobles ou
grands bourgeois ennoblis ne représentaient aucunement le
peuple et au contraire étaient jalousement attachés à
leurs privilèges. Ils s’opposèrent néanmoins
parfois au pouvoir royal surtout au moment de la Fronde (1648) et à
la veille de la Révolution française, prétendant
jouer chaque fois un rôle semblable à celui du
Parlement anglais dont l’origine était toute autre.
Beaucoup
plus représentatifs étaient les États
Provinciaux et, à partir du XIVe siècle, les
États Généraux, composés de députés
des trois Ordres : Clergé, Noblesse, Tiers État.
La
guerre de 100 ans faillit à plusieurs reprises faire des États
Généraux un véritable pouvoir permanent et
indépendant car, l’impôt n’étant pas encore créé,
le pouvoir royal serait mort faute de ressource. Au moins deux
tentatives de limiter étroitement la monarchie furent près
de réussir définitivement : celle d’Étienne
Marcel et de la grande Ordonnance de 1357, celle de l’Ordonnance
cabochienne et de la prise de la Bastille de 1413.
Les
États Généraux avaient été réunis
une douzaine de fois au XIVe siècle, autant au XVe,
ils le furent seulement 5 fois au XVIe. Leur majorité
catholique devenait nettement antiroyaliste et régicide en
face d’un roi protestant ! Puis, ils ne furent plus convoqués
qu’en 1614 et. en 1789, pour se transformer d’eux-mêmes en
Assemblée Nationale Constituante.
La mère des parlements
Alors
qu’en France la monarchie put au long des siècles affermir son
autorité en s’appuyant tantôt sur les ordres
privilégiés, tantôt sur la bourgeoisie, il n’en
fut pas de même en Angleterre, où, Noblesse et
Bourgeoisie surent opposer un front uni aux empiètements
monarchiques. À la faveur de guerres ruineuses menées
en France par Jean sans Terre les barons anglais obtenaient en 1215
la grande Charte « Magna Carta » qui instaurait le « Conseil
commun du Royaume » sans l’approbation de qui aucun impôt
ne pouvait être levé. La noblesse anglaise dut lutter
encore 50 ans avant que la monarchie ne reconnaisse définitivement
les réformes (Statuts d’Oxford de 1258). En 1265, s’étant
adjoint les représentants de la bourgeoisie, le premier
Parlement se réunit, qui se composera dorénavant de
deux chambres : celle des Lords (noblesse – Clergé) et celle des
Communes (bourgeoisie).
Quatre
siècle plus tard. une ultime épreuve de force oppose la
monarchie, qui veut instaurer l’absolutisme, et le parlement. Ce
dernier en sortira vainqueur à la suite des révolutions
de 1648 et 1688 et de la promulgation de l’Habeas Corpus 1679 et de
la Déclaration des Droits de 1689.
Au
XVIIIe siècle, la dynastie de Hannovre se
désintéressant des affaires anglaises, on voit
apparaître le deuxième organe du régime
parlementaire : le Cabinet, c’est-à-dire un conseil de
ministres délibérant sans le chef de l’État et
peu à peu responsable devant le Parlement seul.
Au
XIXe siècle, le régime continue à se
démocratiser sous la pression de l’opinion publique, des
manifestations de masse parfois violentes, des campagnes de presse et
des meetings. Par contrecoup de la révolution parisienne de
1830, une première loi de réforme en 1832 annonce une
extension du droit de vote – alors réservé à
une minorité – vers le suffrage universel définitivement
acquis en 1928 par la lutte des suffragettes. Entre temps (1911) la
chambre des Lords avait perdu tout pouvoir.
Au
terme d’une évolution séculaire l’Angleterre a ainsi vu
se créer un régime considéré comme le
modèle du parlementarisme. Système constitutionnel
fondé sur deux organes décoratifs : le chef de l’État
et la Chambre Haute, et. deux organes de gouvernement : la Chambre
Basse et le Cabinet. Mais en fait système reposant entièrement
sur l’existence de partis politiques au nombre de deux, aptes en tout
temps à se relayer au pouvoir, et, sur la permanence d’un
régime électoral unique (suffrage d’arrondissement
majoritaire à un tour) permettant de déterminer une
majorité dès l’élection pour toute la
législature. Ces partis furent successivement au
XVIIe:cavaliers et têtes rondes, au XIXe :
conservateurs et libéraux, au XXe : conservateurs et
travaillistes. Le système s’est perfectionné au point
que lorsque l’un est au pouvoir l’autre s’apprête à.
L’être : au Premier Ministre répond le Chef de
l’Opposition et le Cabinet est doublé par le Cabinet fantôme
du parti adverse dont chacun connaît les membres. Aujourd’hui
le parti conservateur est le porte-parole de la bourgeoisie
capitaliste traditionnelle tandis que le parti socialiste est celui
de la bourgeoisie moderne et du haut personnel de l’État et
des syndicats. Le premier jouit de l’appui sans réserve de la
grande finance, et l’autre des caisses syndicales (6.000.000 de
cotisants). L’un se fait surtout passer pour l’avocat des classes
moyennes pléthoriques et l’autre pour celui des travailleurs.
Le
théoricien travailliste Laski a énoncé que « la
grande caractéristique de la période précédente
a été la capacité générale de
chaque parti d’accepter sans grande difficulté la législation
de son prédécesseur parce qu’elle ne troublait pas les
fondations de l’État. »
Avec
les nationalisations en série et les dénationalisations
nous sommes peut-être entrés dans une autre période.
Quoiqu’il
en soit on s’est attaché dans de nombreux pays, principalement
de Scandinavie et du Bénélux à reproduire le
système britannique, en essayant même de le parachever.
Ainsi le Danemark vient de supprimer carrément la Chambre
Haute. Seul le régime bipartite n’a pu être obtenu avec
autant de perfection et la multiplicité des partis entraîne
un jeu déjà plus compliqué de coalitions. En
France ce fut une toute autre affaire.
La copie française
L’histoire
du Parlement français est l’histoire de tentatives
innombrables pour copier le système anglais. Depuis
Montesquieu et son « Esprit des Lois ». où il
démarque l’Anglais Locke, Voltaire et ses « Lettres
philosophiques » où il fait l’apologie de l’Angleterre,
les théoriciens conservent les yeux braqués vers
l’autre côté de la Manche.
Rousseau
annonce plus les grandes questions révolutionnaires et sent
parfois l’importance de la duperie parlementaire. Aussi dit-il : « Les
députés du peuple ne sont donc, ni ne peuvent être
ses représentants, ils ne sont que ses commissaires : ils ne
peuvent rien conclure définitivement » (Contrat social –
III, 15) ou « du moment qu’un peuple se donne des représentants
il abdique sa liberté ».
La
Révolution allait confirmer ces craintes. Les députés
des États Généraux avaient été
élus à un suffrage compliqué (indirect et par
ordres) mais du moins universel. Une fois qu’ils se furent proclamés
constituants, et qu’ils eurent aboli les ordres privilégiés
ils mirent au point (Constitution de 1791) un système non
moins indirect et surtout où seuls les riches votaient
(suffrage censitaire). Ainsi fut désignée la
Législative. Son règne fut court car un facteur
extra-parlementaire perturba le système. Le peuple parisien
par les journées révolutionnaires du 20 juin et du 10
août 1792 l’effaça, installant la Commune de Paris à
la place de la monarchie constitutionnelle et ploutocratique. La
Convention élue sur ces entrefaites restera la seule
expérience de Suffrage Universel jusqu’en 1848. Le peuple de
Paris va s’user contre elle. Par les journées des 31 mai et 2
juin 1793 il provoque la chute des Girondins. Par celles des 4 et 5
septembre 1793 il parvient à stimuler un peu les Montagnards.
Mais ceux-ci avec Robespierre comprennent où est le danger :
Ils retournent le Terreur contre les « Sans-Culotte ». Les
« Enragés » sont aussitôt arrêtés
(J. Roux, Varlet en septembre 1793). Puis ce sera un jeu de décapiter
la Commune et les Sections et de liquider les Hébertistes
(mars 1794). La Convention gagne sur toute la ligne, elle n’a plus en
thermidor (juillet 1794) qu’à se débarrasser de
Robespierre et des autres révolutionnaires qui ont fait le lit
de la bourgeoisie. Désormais le Parlement est tout puissant et
ne se laissera plus dicter son action par le peuple. Les derniers
sursauts populaires des 12 germinal et 1 prairial (avril-mai 1795 ),
lui font quand même tellement peur qu’il envoie l’armée
réprimer et désarmer les travailleurs des Faubourgs.
Désormais
les bases du système. sont solides : une bourgeoisie nantie et
victorieuse servie par un personnel parlementaire expérimenté,
les conventionnels. Ces derniers à travers tous les
tâtonnements superficiels du régime (Directoire,
Consulat, Empire, Restauration, Monarchie de juillet, etc.) resteront
en place tant qu’ils vivront et se perpétueront par ces
fameuses dynasties bourgeoises qui gouvernent encore en France.
—
À travers toutes les constitutions et chartes (Ans III, VIII,
X, XII, 1814, 1815, 1830, 1848, 1852, 1870, 1875, 1946) prennent
définitivement tournure les institutions actuelles sous
différentes dénominations successives.
—
Un exécutif initialement collégial (Directeurs,
Consuls) rapidement réduit un chef de l’État (Ier
Consul, Empereur, Roi, Président, Empereur, Président)
—Un
législatif composé.
a)
d’une Chambre basse (Conseil des 500, Corps législatif
dédoublé du Tribunat, puis seul, Chambre des
représentants, des députés, Assemblée
législative, Corps législatif, Chambre des députés)
élue de plus en plus « démocratiquement » et
drainant tout le pouvoir.
b)
d’une Chambre haute : (Conseil des anciens, Sénat,
Chambre des Pairs, Sénat, Conseil de la République)
élue ou désignée de façon à être
plus réactionnaire et à freiner toutes les mesures de
réforme.
c)
d’une Chambre administrative : Le Conseil d’État,
institution tellement solide qu’on ne prend presque plus la peine de
la citer dans les textes constitutionnels et qu’elle fonctionna même
sous l’occupation nazie.
Au
cours du XIXe siècle se dégage empiriquement
un gouvernement de Cabinet responsable devant le Parlement. Un
premier ministre tend à apparaître, prenant le nom de
Président du Conseil : même pas mentionné
dans la constitution de 1875, il n’aura d’existence légale que
dans celle de 1946.
Au
XXe siècle, les partis structurés,
maîtres des élections, prennent la place des simples
« groupes parlementaires » fluctuants auxquels
s’inscrivaient chaque année les députés après
l’élection. L’existence constitutionnelle des groupes
parlementaires date aussi de 1946, celle des partis n’a pas encore vu
le jour.
La
multiplicité des partis est soigneusement entretenue par
l’inexistence d’un système électoral fixe. Chaque
assemblée décidant par une nouvelle loi électorale
du mode de scrutin de la suivante, visant ainsi à prévenir
tout changement d’équilibre des majorités.
Le
régime parlementaire est ainsi devenu le pouvoir politique de
la majorité.
C’est
le principe de la volonté de la majorité qui oblige le
Cabinet à être « responsable » c’est-à-dire
à se démettre quand la majorité le veut. Or
cette majorité est assez mouvante. Léon Blum dans « La.
Réforme gouvernementale » a pu conclure « Le régime
parlementaire c’est le régime des partis ».
On
voit que, copie batarde du modèle britannique, le système
français a aboutit à un résultat quelque peu
différent. C’est de là que sont partis les auteurs des
Constitutions européenne d’après 1919 (Allemagne,
Pologne, Tchécoslovaquie, Pays Baltes, Grèce , etc.)
adoptant la variante française du régime parlementaire
(anglais) mais une variante systématisée, dogmatisée,
« rationalisée » comme dit le constitutionaliste
Mirkine-Guetzevitch qui en fut l’apôtre. La « rationalisation »
portant sur la façon de déterminer la « confiance »
envers le gouvernement sur l’initiative et l’adoption des lois et
leur « navette » entre les deux Chambres. La Constitution
républicaine espagnole de 1931 était la dernière
œuvre en Europe de ce droit constitutionnel nouveau.
Depuis
1945 d’autres constitutions, notamment celles des pays décolonisés,
continuent cette filiation juridique. Et la Constitution de la IVe
République (1946) n’est à son tour qu’une variante
française de la rationalisation germanique ou lettone ou
lituanienne. Que de belles œuvres si pures de toute contingence
sociale et immortelles dans les manuels de Droit !
Autres régimes
Tel
est le régime parlementaire au sens strict : un Parlement
gouvernant par l’entremise d’un Cabinet responsable devant un
chef du gouvernement (Premier ministre, Président du
Conseil, Chancelier, etc.) distinct du chef de l’État
(Président de la République ou Monarque).
Cependant
d’autres régimes existent dotés de Parlement non moins
souverains mais sans gouvernement responsable devant lui. Les
juristes ne leur donnent que par extension le titre de régimes
parlementaires.
Ainsi
le système Présidentiel des États-Unis
est fondé sur la plus vieille constitution écrite
encore en vigueur dans le monde. Un Président, chef à
la fois de l’État et du gouvernement, élu par le
peuple, désigne les ministres responsables devant lui seul et
non devant le parlement (le Congrès). Les deux pouvoirs,
législatif et exécutif, sont égaux et
indépendants. Ce système, fondé sur un exécutif
monocratique et la séparation rigoureuse des pouvoirs, a
exercé un grand rayonnement. On ne doit pas négliger
qu’il joue lui aussi en fait sur l’alternance de deux partis se
chassant régulièrement du pouvoir : chacun dès la
victoire, remplaçant immédiatement tout le personnel
administratif – jusqu’au portier du ministère – par son
propre personnel (« Spoil-Système » – Système
des dépouilles). Aucun n’étant par définition à
gauche ou à droite de l’autre : tout dépend des
« machines » locales poussant le candidat.
Ce
régime stable jusqu’à présent aux États-Unis
a, dans les pays où il fut transposé, donné des
résultats tous différents en frayant la voie au
Caudillisme (en Amérique latine où il est la règle
générale) au Bonapartisme (IIe République
en France.) et à l’Hitlérisne (Allemagne de Weimar).
C’est ce régime « plébiscitaire » que le
Gaullisme a toujours appelé.
Autre
possibilité : le système d’un exécutif collégial
associé au gouvernement d’Assemblée. C’est celui de la
Suisse qui n’a ni Chef d’État ni Cabinet mais un Conseil
Fédéral de 7 membres élus pour la législative
et en fait réélus, chacun étant à la tête
d’un département ministériel, et exerçant la
présidence à tour de rôle. Ce système
vient d’être adopté par l’Uruguay, la plus paisible des
républiques latino-américaines.
Les artifices parlementaires classiques
Toutes
les formes de régime représentatif visent un même
but : amortir, assourdir, détourner, émasculer,
canaliser, la volonté populaire. Les artifices les plus
grossiers sont abandonnés (suffrage restreint
censitaire…). Mais d’autres subsistent plus sournois.
Principalement le suffrage indirect, c’est-à-dire l’élection
à plusieurs degrés : citoyen élisant des délégués
à une assemblée qui en élisent une autre et
ainsi de suite. C’est le système par exemple de l’élection
des sénateurs par les délégués des
conseils municipaux – D’abord il permet de mieux filtrer l’opinion
en la faisant décanter par des élites (au sens propre
de collectivité. Élue) successives de plus en plus
restreintes et en place dans l’appareil administratif. Ainsi de nos
jours, les sénateurs communistes sont encore rarissimes du
fait qu’ils relèvent du seul parti d’opposition, alors que les
radicaux nourris dans le sérail ont un effectif pléthorique
(cinq fois plus nombreux que les staliniens!) – Ensuite le dosage
des différentes délégations locales permet de
gonfler l’importance des petites municipalités rurales aux
dépens des grosses agglomérations ouvrières, et
des départements figés aux dépens de ceux qui
s’industrialisent. Ce principe appliqué en France à
l’élection des sénateurs avait été
poussé. à son paroxysme dans la vieille Angleterre avec
les « bourgs pourris ».
Le
Bicaméralisme répond à la même
préoccupation : à côté d’une Assemblée
que l’on craint trop sujette à refléter l’opinion,
installer une seconde Assemblée, dite de réflexion, que
l’on s’efforcera de garnir de personnages plus conservateurs par
toutes sortes de conditions de recrutement :
—
Suffrage indirect autant que possible avec représentation
rurale disproportionnée
—
Âge plus élevé voire chefs de famille
—
Désignation d’office « sur titre » : comme les Lords
anglais et une partie des sénateurs des débuts de la
IIIe République ou de l’Italie actuelle, etc., etc.
Cette
Chambre « haute » pourra peser de toute l’inertie de son
honorabilité pour freiner le mécanisme parlementaire.
Les
justifications les plus courantes du Bicaméralisme seront
aussi le Fédéralisme et la représentation des
Intérêts économiques.
Le
Fédéralisme c’est le prétexte invoqué
pour créer une Chambre où toutes les parties du
Territoire grandes ou petites, seront également représentées.
Ainsi chacun des États-Unis, quelle que soit son importance,
désigne deux sénateurs. En France, le plus drôle
est que tous les régimes – à part celui de 1791 qui
instaura une profonde et vivante décentralisation
malheureusement éphémère – ayant tendu de
toutes leurs forces à réduire à néant la
vie locale et à concentrer le pouvoir à Paris, on
invoque quand même la « représentation des
collectivités locales » pour maintenir les sénateurs.
Il est vrai que l’on se réfère à un fédéralisme
non moins inexistant pour créer une Assemblée d’une
Union française tout aussi fantasamagorique.
La
représentation économique a une autre histoire.
Le 14 mars 1920 les syndicats allemands en décrétant la
grève générale brisent le putsch de Kapp. Pour
les remercier la République de Weimar institue, le 4 mai, un
Conseil Économique à la place du Conseil Économique
d’Empire prévu par la Constitution de 1918 mais jamais créé.
Représentants des syndicats et du parti pourront y entamer la
solide collaboration qui les liera conjointement à l’État.
En
1936 en France le gouvernement de Front Populaire transforme le
Conseil National Économique créé en 1925 auprès
du gouvernement et en fait un organe presque parlementaire. La
Constitution de 1946 consacre définitivement son rôle
législatif : les délégués des syndicats
prétendus « représentatifs » y feront en
toute légalité l’apprentissage du pouvoir et de la
gestion loyale de l’économie capitaliste.
La classe des politiciens professionnels
La
conséquence la plus importante du régime parlementaire
est la création d’un personnel politique permanent et
spécialisé. Ce personnel, à une certaine époque,
a pu être constitué essentiellement d’individus
fortunés, directement liés au monde des affaires
(avocats…), il fait de plus en plus place en son sein à de
nouveaux venus. Ceux-ci ne peuvent parvenir que par leur appartenance
à un parti organisé nationalement pour la conquête
du pouvoir et disposant déjà de nombreux postes
administratifs et fonctions électives dans tout l’appareil
étatiste ou paraétatiste. L’électeur n’a pas le
choix entre des hommes et des opinions mais entre différentes
hiérarchies plus ou moins occultes desservant des intérêts
précis et correspondant plus ou moins à des
appellations conventionnelles, C’est ainsi que nous avons en France
actuellement :
—
les candidats du Capital, de la droite aux radicaux, sans que les
divisions réelles en groupes bancaires correspondent aux
dénominations des partis.
—
les candidats d’une fraction du haut personnel d’État et des
syndicats liés au régime, allant de certains radicaux
aux socialistes, organisés suivant les différentes
franc-maçonneries qui les lient d’autre part aux représentants
du capital.
—
enfin les candidats d’une autre fraction du personnel étatiste
et syndical hiérarchisée par le parti communiste
À
quelque tendance qu’ils appartiennent et quelle que soit leur origine
sociale première ils forment tous un même milieu social
ayant au fond. des réactions, des ambitions similaires et par
suite des intérêts communs. C’est une classe de
gestionnaires de l’État. La plupart abandonnent définitivement
tout travail productif et, simplement toute autre profession. Ils
font carrière. Qu’importe s’ils sont battus à des
élections, le parti ou le groupement les recase ailleurs dans
un des fromages qu’il s’est taillé dans l’État, le
Parlement, les Conseils généraux, municipaux, les.
Comités d’Entreprise et les multiples institutions syndicales
ou partisanes nourrissant leurs « permanents ». Exemples
récents : André Philip ou Ramadier n’ont-ils pu se faire
réélire députés dans des départements
où la clientèle socialiste est en baisse ? La S.F.I.O.
bombarde le premier au Conseil économique, et le second au
Pool Charbon Acier. Exemples aussi des députés
communistes parachutés dans les Comités d’Entreprise
des grandes sociétés nationalisées.
Ce
que prévoyaient les penseurs anarchistes est démontré
maintenant dans tous les pays : Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir
de député ouvrier ; mais simplement des hommes qui ont
cessé d’être ouvriers et de servir la classe ouvrière
pour devenir des bourgeois et des serviteurs des différents
appareils du régime capitaliste. Ceux qui ont encore
l’illusion de mettre l’État au service du prolétariat
ne font, au plus, que l’apprentissage de la bureaucratie avec la
bénédiction de la bourgeoisie. Le régime
parlementaire finit par assimiler tous ceux qui sont venus faire de
l’opposition en son sein. Il a besoin de renouveler son personnel,
son vocabulaire, de renforcer son emprise sur le peuple, son pouvoir
de mystification.
Du parlementarisme au fascisme
Les
mouvements fascistes, théoriquement antiparlementaires,
n’échappent pas à la règle. Beaucoup d’entre eux
sont avalés par le régime qu’ils voulaient renverser.
Dès qu’ils sont élus au Parlement, leur hostilité
vis-à-vis de ce qu’ils appellent le « système »
commence à décroître, et, plus ils ont de députés
plus ils deviennent accomodants, puis ils participent aux majorités
puis aux gouvernements. Ainsi en fut-il en .France successivement ces
dernières années des partis gaulliste (R.P.F.) et
poujadiste (U.D.C.A.). Les députés de ces partis, à
l’origine farouchement hostiles au système parlementaire, se
sont laissé gagner individuellement, puis par groupe, puis
tous ensemble par l’attrait partager le pouvoir et de profiter de ses
bienfaits. Encore peut-on dire qu’ils se soient progressivement
dénaturés, et qu’en devenant parlementaires et
gouvernementaux ils aient cessé d’être fascistes. En
d’autres occasions on vit, au. lieu de fascistes se ralliant au.
Parlement bourgeois, ce dernier se rallier au. Fascisme.
Que
ce soit en Italie, en Allemagne ou en France les chefs d’état
fascistes ont été portés légalement au
pouvoir par les parlements démocratiques. Certains comme
Mussolini, Horty ou Peron ont continué longtemps à
gouverner avec le Parlement.
Les
régimes fascistes ont parfois même voulu créer
leur Parlement, comme les Cortès franquistes ou le Conseil
National de Pétain. Il y eut au. moins un dictateur renversé
par l’organe de son régime : Mussolini par le Grand Conseil
Fasciste.
S’il
est bien évident que le totalitarisme fasciste suppose
l’aboutissement au régime du parti unique, il n’en reste pas
moins que de nombreuses variantes ou transitions sont possibles
menant insensiblement de la démocratie bourgeoise à la
dictature. Et l’on peut se demander où en est la France :
démocratique chez elle, fasciste en Algérie.
Enfin
le jeu des alliances internationales est tel que dans la dernière
« guerre du droit et de la liberté » on a va en
pleine Europe occupée par les troupes allemandes, un pays
comme le Danemark procéder à ses élections
parlementaires les plus régulières (où le parti
nazi ne recueillait qu’un pourcentage infime des voix). À la
même époque la Finlande, alliée de l’Allemagne,
restait une démocratie bourgeoise avec comme premier ministre
le chef du parti socialiste, tandis que du côté des
grandes démocraties anglo-saxonnes combattaient plusieurs
dictatures latino-américaines (sans compter Chang Zai Chek et
Staline).
Régimes parlementaires marxistes
Il
est curieux de constater comment le régime bolcheviste, tout
en s’accommodant au mieux de la liquidation soudaine (janvier 1918)
de l’Assemblée constituante (démocratie représentative)
comme de celle plus lente des soviets (démocratie directe
prolétarienne), a visé à copier peu à peu
le régime parlementaire le plus traditionnel.
Par
les deux constitutions léninistes de 1918 et 1924, le terme de
soviet perdait tout son sens de « Conseil des ouvriers, des
paysans et des soldats » pour devenir synonyme de toute
assemblée : du Conseil municipal au Parlement. Finalement on
est venu à présenter la révolution comme
consistant à installer un « vrai » Parlement, un.
régime parlementaire « juste », comme si les
institutions de la démocratie bourgeoise pouvaient simplement
fonctionner honnêtement au service du peuple. Cette prétention
à réaliser le rêve des bourgeois du XIXe
est bien caractéristique des bureaucrates staliniens du XXe.
La
troisième constitution de 1936, la constitution « stalinienne »
de l’U.R.S.S. organise deux Assemblées composant le Soviet
Suprême, un Présidium collégial et un Conseil des
Ministres. Chacun sait que ce parlementarisme « le plus
démocratique du monde » est de pure forme. La
constitution elle-même, en son article 126, caractérisant
le parti communiste comme le « noyau dirigeant de toutes les
organisations de travailleurs, aussi bien des organisations sociales
que des organisations d’État » on est implicitement
prévenu que la véritable organisation du pouvoir est
celle du Parti et non de l’Éttat. Il n’est pas besoin
d’épiloguer sur la façon dont ce parti a éliminé
les autres partis et formations et comment en son sein même il
a détruit toute possibilité de débat pour yoir à
quelle distance nous sommes du régime parlementaire, malgré
la figuration maintenant traditionnelle des « sans-Parti ».
Même
calque scrupuleux de la démocratie bourgeoise dans les
démocraties « populaires» ; seule différence :
après la fusion forcée des ex-partis socialistes avec
les partis staliniens on a gardé l’apparence de partis
bourgeois.
Ainsi
siègent aux côtés du P.C. chinois, la Ligue
Démocratique, le Kuo in Tang révolutionnaire et
d’autres formations destinées à créer
l’impression d’un « Front Populaire », d’un « Front
National », d’un « Front Patriotique ».
En
Allemagne de l’Est l’opération « survie » des partis
politiques a été menée de main de maître.
À côté des squelettes précieusement
conservés des partis chrétien-démocrate et
libéral-démocrate deux autres ont surgi : Parti paysan
et National-démocrate fondés par deux anciens membres
du P.C. démissionnés de leur fonction à cet
effet. Ces quatre fantômes de partis visent à rallier au
régime chacun une catégorie déterminée de
la population croyants, bourgeois, ruraux et anciens militaires
surtout nazis et chacun est représenté à la
Chambre du Peuple et au gouvernement.
En
Yougoslavie la pression stalinienne ne parvint pas à susciter
de tels « revenants », les dirigeants du P.C. yougoslave
estimant superflus cette mascarade.
La
révolution hongroise de 1956 a clairement montré
comment ces partis de « compagnons de route » du stalinisme
s’évanouissaient au moindre choc, vidés de toute
substance, tandis que réapparaissaient spontanément les
partis anciens et que s’en créaient de nouveaux, reflet des
tendances jeunes.
En
Pologne l’évolution actuelle est à surveiller puisque
le Sejm (Chambre des députés) élu pour
plébisciter Gomulka l’a été de façon à :
éviter
toute représentation prolétarienne authentique issue
des Conseils ouvriers,
ménager
l’entrée d’une opposition virtuelle réduite mais
visible : catholiques et parti paysan.
Enfin
c’est la première fois depuis les années qui suivirent
la mort de Lénine — hormis peut-être la Hongrie avant
Octobre 1956 — que dans un Parti communiste au pouvoir des
tendances (au moins trois) peuvent s’affronter ouvertement.
Mais
nous ne sommes plus là dans le domaine du parlementarisme mais
de la « Démocratie intérieure » ou de la
« Démocratie ouvrière ».
République parlementaire ou république
des conseils ?
La
longue histoire du Parlement n’est certes pas achevée et elle
nous promet de nouveaux développements. Le gouvernement
représentatif, qui était la revendication
révolutionnaire des bourgeois du XVIIIe siècle,
a gagné le monde entier. Les despotes se comptent sur les
doigts de la main : Ibn Séoud, Haïle Selassié.…
Par contre les régimes les plus divers se sont accommodés
du Parlement ou l’ont accommodé à leur façon :
aussi bien le fascisme que le stalinisme peuvent s’orner d’une
Chambre des Députés, quel que soit son nom. Il y a
presque toujours un personnel dirigeant à faire figurer ou à
consulter et l’on n’a plus besoin de beaucoup d’imagination pour le
faire élire par le peuple, tant les méthodes
électorales se sont perfectionnées. La Russie
stalinienne est célèbre par ses élections où
les candidats gouvernementaux rassemblent plus de 98% des suffrages,
en Algérie, sous la « présence française »,
depuis le gouverneur socialiste Naegelen on obtenait régulièrement
des résultats aussi merveilleux
Quel
que soit le régime ce n’est qu’exceptionnellement que les
vrais débats politiques sont portés au Parlement. Car
les parlements ne sont qu’une façade morte, un décor en
carton-pâte où de faux tournois d’éloquence
expriment des positions et des décisions élaborées
ailleurs. Où ? dans le Parti ou les partis, dans leurs Comités
centraux, Conseils nationaux, Commissions exécutives, Bureaux
politiques et dans toutes les coulisses, antichambres et coursives du
Pouvoir où se retrouvent les porte-parole des groupes
d’intérêts capitalistes ou bureaucratiques.
La
réalité parlementaire a quitté les appareils
d’État pour les appareils de parti ; ces derniers étant
entraînés les uns après les autres dans une même
évolution interne vers la sclérose et la dictature du
Secrétariat, la démocratie ne s’en est pas accrue, au
contraire.
Si
restreint soit-il le cercle de la discussion révèle
chaque fois les mêmes tend.ances plus ou moins vives, déclarées
ou conscientes, effacées, extirpées ou reniées.
Que ce soit dans les partis fasciste ou nazi, staliniens ou
gomulkistes, les mouvements franquiste ou nassérien, dans le
Destour tunisien ou le Congrès indien, dans les Parlements les
plus vieux ou les plus jeunes, marxiste ou bourgeois, le même
éventail d’opinions apparaît entre une droite et une
gauche : l’une traditionaliste défendant les plus anciennes
classes capitalistes survivantes, où l’on trouve les « mous »,
les jouisseurs, les corrompus, les fatigués, les lassés
ne s’intéressant guère aux expériences
socialistes et aux travailleurs ; et puis l’autre, celle des « durs »,
des dogmatiques, des doctrinaires, des « incorruptible »,
des ascètes, qui invoquent sans cesse le peuple et veulent
pousser l’intervention de l’État dans tous les domaines au nom
de la classe ouvrière et du socialisme.
Quelquefois
une troisième tendance peut se faire jour : celle de laisser la
parole à ces travailleurs au nom de qui parle la gauche. Mais
cette tendance là, elle, n’est pas sérieuse.
Tout est bon pour lui refuser une place. Témoin l’exemple
récent de Gomulka faisant évincer les représentants
des Conseils Ouvriers ou de la jeunesse d’octobre (Gozdzik,
Lasota…) et conservant avec une majorité de députés
staliniens et social-démocrates chevronnés une
opposition bourgeoise et cléricale. Quant au peuple il reste
toujours hors du débat.
Sous
toutes ses formes et variantes le régime parlementaire aboutit
au même résultat : confier à une petite minorité
le soin de décider au nom des masses. Une fois tous les cinq
ans environ le peuple est appelé à la cérémonie
solennelle moyennant quoi il n’a plus qu’à obéir.
La
supercherie du parlement bourgeois se répète dans le
parlement marxiste.
Le
Parlement est l’organe décoratif, jadis délibératif,
de la classe dirigeante. Il ne peut opérer que des réflexions
sur lui-même et rester étranger à l’expérience
permanente des travailleurs.
Vouloir
transformer les parlements existants en organes révolutionnaires
est aussi vain que de jeter les plans du parlement idéal,
parfait chef d’œuvre de la démocratie.
Commuent
sortir de ce cercle ? La réponse a été donnée
dans de nombreux pays : c’est celle des travailleurs eux-mêmes
s’organisant en Conseils, Soviets Collectivités agraires et
industrielles. C’est celle de la révolution prolétarienne :
Paris (1871), Russie (1905, 1917), Mexique (1911…), Finlande,
Allemagne Hongrie, Ukraine (1918, 1919), Kronstadt (1921), Asturies
(1934), Espagne (1936), Pologne, Hongrie (1956). Chaque fois il se
trouve un parlement pour organiser la répression la plus
sévère ; soit un parlement bourgeois comme aux Asturies
en 1934, soit un parlement marxiste comme à Kronstadt en 1921,
soit un parlement marxiste-bourgeois comme à Barcelone en
1937.
La
seule démocratie qui ne puisse se retourner contre les
travailleurs c’est celle qui s’établit au sein de la classe
ouvrière et non hors d’elle et au-dessus d’elle. L’attitude
conséquente des travailleurs face au Parlement est celle,
négative, de la non-participation. Toute action constructive
doit passer par d autres voies, tabler sur d’autres moyens.
Tout
Parlement, tout gouvernement représentatif, reste
nécessairement une imposture et une trahison car il repose sur
un personnel politique acquérant des conceptions
bureaucratiques et identifiant sa volonté à celle de
l’État. Dans la classe ouvrière toute tendance
révolutionnaire peut fournir une contribution positive. Hors
d’elle, tout parti politique ne peut qu’aggraver la domination de la
bourgeoisie ou installer la sienne propre.
J.
Presly