La Presse Anarchiste

Les systèmes parlementaires, théorie et pratique

Les premières assemblées

Sur
400.000 Athéniens, 40.000 étaient citoyens et avaient
accès à l’Assem­blée (Eccle­sia), mais il n’y eut
jamais plus de 6.000 présents. Restaient en fait hors de la
démoc­ra­tie : 34.000 citoyens, 90.000 femmes et enfants, 70.000
étrangers (Métèques) et 200.000 esclaves.

À
Rome seules les familles patrici­ennes étaient représentées
au Sénat et le peu­ple n’ar­racha une représentation
séparée qu’au prix d’une lutte reven­dica­tive séculaire
(retraite sur l’Aventin, etc.); mais alors une nou­velle divi­sion en
class­es sociales était apparue…

De
même les républiques urbaines médiévales
furent gou­vernées par des assem­blées patriciennes
con­tre lesquelles les tra­vailleurs se soule­vaient par­fois (surtout au
XIVe siè­cle avec Jacques d’Artevelde à Gand,
Michel Lan­do à Flo­rence, etc.)

Les
pre­mières véri­ta­ble démoc­ra­ties d’Eu­rope citées
comme seules « démoc­ra­ties directes » furent les
can­tons suiss­es dont tous les habi­tants (sauf les femmes il est vrai)
se réu­nirent eux-mêmes en Assem­blée : Le
Landsgemeinde.

L’ancien régime

Ailleurs
la société féo­dale con­tin­u­ait la tra­di­tion des
tribus guer­rières nomades ger­maniques où l’assemblée
des hommes libres éli­saient le chef. Les autres hommes
(esclaves, serfs…) n’ayant évidem­ment pas voix au chapitre.
Ain­si furent suc­ces­sive­ment élus par l’assem­blée du
« peu­ple » c’est-à-dire des vas­saux, les fondateurs
des dynas­ties français­es : Clo­vis, Pépin le Bref, Hugues
Capet, Philippe de Val­ois. Une fois instal­lée chaque famille
rég­nante s’arrangeait pour instau­r­er en fait l’hérédité,
mais ne pou­vait se pass­er de la con­sul­ta­tion théorique des
vas­saux. Le monar­que con­ser­vait en out­re à ses côtés
une « Curia Reg­is » (Cour du Roi) d’où naquit le
Par­lement ; en France, sim­ple tri­bunal supérieur ayant à
enreg­istr­er les ordon­nances royales. Les par­lemen­taires : Nobles ou
grands bour­geois ennoblis ne représen­taient aucune­ment le
peu­ple et au con­traire étaient jalouse­ment attachés à
leurs priv­ilèges. Ils s’op­posèrent néanmoins
par­fois au pou­voir roy­al surtout au moment de la Fronde (1648) et à
la veille de la Révo­lu­tion française, prétendant
jouer chaque fois un rôle sem­blable à celui du
Par­lement anglais dont l’o­rig­ine était toute autre.

Beau­coup
plus représen­tat­ifs étaient les États
Provin­ci­aux et, à par­tir du XIVe siè­cle, les
États Généraux, com­posés de députés
des trois Ordres : Clergé, Noblesse, Tiers État.

La
guerre de 100 ans fail­lit à plusieurs repris­es faire des États
Généraux un véri­ta­ble pou­voir per­ma­nent et
indépen­dant car, l’im­pôt n’é­tant pas encore créé,
le pou­voir roy­al serait mort faute de ressource. Au moins deux
ten­ta­tives de lim­iter étroite­ment la monar­chie furent près
de réus­sir défini­tive­ment : celle d’Étienne
Mar­cel et de la grande Ordon­nance de 1357, celle de l’Ordonnance
cabochi­enne et de la prise de la Bastille de 1413.

Les
États Généraux avaient été réunis
une douzaine de fois au XIVe siè­cle, autant au XVe,
ils le furent seule­ment 5 fois au XVIe. Leur majorité
catholique deve­nait net­te­ment antiroy­al­iste et régi­cide en
face d’un roi protes­tant ! Puis, ils ne furent plus convoqués
qu’en 1614 et. en 1789, pour se trans­former d’eux-mêmes en
Assem­blée Nationale Constituante.

La mère des parlements

Alors
qu’en France la monar­chie put au long des siè­cles affer­mir son
autorité en s’ap­puyant tan­tôt sur les ordres
priv­ilégiés, tan­tôt sur la bour­geoisie, il n’en
fut pas de même en Angleterre, où, Noblesse et
Bour­geoisie surent oppos­er un front uni aux empiètements
monar­chiques. À la faveur de guer­res ruineuses menées
en France par Jean sans Terre les barons anglais obte­naient en 1215
la grande Charte « Magna Car­ta » qui instau­rait le « Conseil
com­mun du Roy­aume » sans l’ap­pro­ba­tion de qui aucun impôt
ne pou­vait être levé. La noblesse anglaise dut lutter
encore 50 ans avant que la monar­chie ne recon­naisse définitivement
les réformes (Statuts d’Ox­ford de 1258). En 1265, s’étant
adjoint les représen­tants de la bour­geoisie, le premier
Par­lement se réu­nit, qui se com­posera doré­na­vant de
deux cham­bres : celle des Lords (noblesse–Clergé) et celle des
Com­munes (bour­geoisie).

Qua­tre
siè­cle plus tard. une ultime épreuve de force oppose la
monar­chie, qui veut instau­r­er l’ab­so­lutisme, et le par­lement. Ce
dernier en sor­ti­ra vain­queur à la suite des révolutions
de 1648 et 1688 et de la pro­mul­ga­tion de l’Habeas Cor­pus 1679 et de
la Déc­la­ra­tion des Droits de 1689.

Au
XVIIIe siè­cle, la dynas­tie de Han­novre se
dés­in­téres­sant des affaires anglais­es, on voit
appa­raître le deux­ième organe du régime
par­lemen­taire : le Cab­i­net, c’est-à-dire un con­seil de
min­istres délibérant sans le chef de l’É­tat et
peu à peu respon­s­able devant le Par­lement seul.

Au
XIXe siè­cle, le régime con­tin­ue à se
démoc­ra­tis­er sous la pres­sion de l’opin­ion publique, des
man­i­fes­ta­tions de masse par­fois vio­lentes, des cam­pagnes de presse et
des meet­ings. Par con­tre­coup de la révo­lu­tion parisi­enne de
1830, une pre­mière loi de réforme en 1832 annonce une
exten­sion du droit de vote — alors réservé à
une minorité — vers le suf­frage uni­versel définitivement
acquis en 1928 par la lutte des suf­fragettes. Entre temps (1911) la
cham­bre des Lords avait per­du tout pouvoir.

Au
terme d’une évo­lu­tion sécu­laire l’An­gleterre a ain­si vu
se créer un régime con­sid­éré comme le
mod­èle du par­lemen­tarisme. Sys­tème constitutionnel
fondé sur deux organes déco­rat­ifs : le chef de l’État
et la Cham­bre Haute, et. deux organes de gou­verne­ment : la Chambre
Basse et le Cab­i­net. Mais en fait sys­tème reposant entièrement
sur l’ex­is­tence de par­tis poli­tiques au nom­bre de deux, aptes en tout
temps à se relay­er au pou­voir, et, sur la per­ma­nence d’un
régime élec­toral unique (suf­frage d’arrondissement
majori­taire à un tour) per­me­t­tant de déter­min­er une
majorité dès l’élec­tion pour toute la
lég­is­la­ture. Ces par­tis furent suc­ces­sive­ment au
XVIIe:cav­a­liers et têtes ron­des, au XIXe :
con­ser­va­teurs et libéraux, au XXe : con­ser­va­teurs et
tra­vail­listes. Le sys­tème s’est per­fec­tion­né au point
que lorsque l’un est au pou­voir l’autre s’ap­prête à.
L’être : au Pre­mier Min­istre répond le Chef de
l’Op­po­si­tion et le Cab­i­net est dou­blé par le Cab­i­net fantôme
du par­ti adverse dont cha­cun con­naît les mem­bres. Aujourd’hui
le par­ti con­ser­va­teur est le porte-parole de la bourgeoisie
cap­i­tal­iste tra­di­tion­nelle tan­dis que le par­ti social­iste est celui
de la bour­geoisie mod­erne et du haut per­son­nel de l’É­tat et
des syn­di­cats. Le pre­mier jouit de l’ap­pui sans réserve de la
grande finance, et l’autre des caiss­es syn­di­cales (6.000.000 de
coti­sants). L’un se fait surtout pass­er pour l’av­o­cat des classes
moyennes pléthoriques et l’autre pour celui des travailleurs.

Le
théoricien tra­vail­liste Las­ki a énon­cé que « la
grande car­ac­téris­tique de la péri­ode précédente
a été la capac­ité générale de
chaque par­ti d’ac­cepter sans grande dif­fi­culté la législation
de son prédécesseur parce qu’elle ne trou­blait pas les
fon­da­tions de l’État. »

Avec
les nation­al­i­sa­tions en série et les dénationalisations
nous sommes peut-être entrés dans une autre période.

Quoiqu’il
en soit on s’est attaché dans de nom­breux pays, principalement
de Scan­di­navie et du Bénélux à repro­duire le
sys­tème bri­tan­nique, en essayant même de le parachever.
Ain­si le Dane­mark vient de sup­primer car­ré­ment la Chambre
Haute. Seul le régime bipar­tite n’a pu être obtenu avec
autant de per­fec­tion et la mul­ti­plic­ité des par­tis entraîne
un jeu déjà plus com­pliqué de coali­tions. En
France ce fut une toute autre affaire.

La copie française

L’his­toire
du Par­lement français est l’his­toire de tentatives
innom­brables pour copi­er le sys­tème anglais. Depuis
Mon­tesquieu et son « Esprit des Lois ». où il
démar­que l’Anglais Locke, Voltaire et ses « Lettres
philosophiques » où il fait l’apolo­gie de l’Angleterre,
les théoriciens con­ser­vent les yeux braqués vers
l’autre côté de la Manche.

Rousseau
annonce plus les grandes ques­tions révo­lu­tion­naires et sent
par­fois l’im­por­tance de la duperie par­lemen­taire. Aus­si dit-il : « Les
députés du peu­ple ne sont donc, ni ne peu­vent être
ses représen­tants, ils ne sont que ses com­mis­saires : ils ne
peu­vent rien con­clure défini­tive­ment » (Con­trat social –
III, 15) ou « du moment qu’un peu­ple se donne des représentants
il abdique sa liberté ».

La
Révo­lu­tion allait con­firmer ces craintes. Les députés
des États Généraux avaient été
élus à un suf­frage com­pliqué (indi­rect et par
ordres) mais du moins uni­versel. Une fois qu’ils se furent proclamés
con­sti­tu­ants, et qu’ils eurent aboli les ordres privilégiés
ils mirent au point (Con­sti­tu­tion de 1791) un sys­tème non
moins indi­rect et surtout où seuls les rich­es votaient
(suf­frage cen­si­taire). Ain­si fut désignée la
Lég­isla­tive. Son règne fut court car un facteur
extra-par­lemen­taire per­tur­ba le sys­tème. Le peu­ple parisien
par les journées révo­lu­tion­naires du 20 juin et du 10
août 1792 l’ef­faça, instal­lant la Com­mune de Paris à
la place de la monar­chie con­sti­tu­tion­nelle et plouto­cra­tique. La
Con­ven­tion élue sur ces entre­faites restera la seule
expéri­ence de Suf­frage Uni­versel jusqu’en 1848. Le peu­ple de
Paris va s’user con­tre elle. Par les journées des 31 mai et 2
juin 1793 il provoque la chute des Girondins. Par celles des 4 et 5
sep­tem­bre 1793 il parvient à stim­uler un peu les Montagnards.
Mais ceux-ci avec Robe­spierre com­pren­nent où est le danger :
Ils retour­nent le Ter­reur con­tre les « Sans-Culotte ». Les
« Enragés » sont aus­sitôt arrêtés
(J. Roux, Var­let en sep­tem­bre 1793). Puis ce sera un jeu de décapiter
la Com­mune et les Sec­tions et de liq­uider les Hébertistes
(mars 1794). La Con­ven­tion gagne sur toute la ligne, elle n’a plus en
ther­mi­dor (juil­let 1794) qu’à se débar­rass­er de
Robe­spierre et des autres révo­lu­tion­naires qui ont fait le lit
de la bour­geoisie. Désor­mais le Par­lement est tout puis­sant et
ne se lais­sera plus dicter son action par le peu­ple. Les derniers
sur­sauts pop­u­laires des 12 ger­mi­nal et 1 prair­i­al (avril-mai 1795 ),
lui font quand même telle­ment peur qu’il envoie l’armée
réprimer et désarmer les tra­vailleurs des Faubourgs.

Désor­mais
les bases du sys­tème. sont solides : une bour­geoisie nantie et
vic­to­rieuse servie par un per­son­nel par­lemen­taire expérimenté,
les con­ven­tion­nels. Ces derniers à tra­vers tous les
tâton­nements super­fi­ciels du régime (Direc­toire,
Con­sulat, Empire, Restau­ra­tion, Monar­chie de juil­let, etc.) resteront
en place tant qu’ils vivront et se per­pétueront par ces
fameuses dynas­ties bour­geois­es qui gou­ver­nent encore en France.


À tra­vers toutes les con­sti­tu­tions et chartes (Ans III, VIII,
X, XII, 1814, 1815, 1830, 1848, 1852, 1870, 1875, 1946) prennent
défini­tive­ment tour­nure les insti­tu­tions actuelles sous
dif­férentes dénom­i­na­tions successives.


Un exé­cu­tif ini­tiale­ment col­lé­gial (Directeurs,
Con­suls) rapi­de­ment réduit un chef de l’É­tat (Ier
Con­sul, Empereur, Roi, Prési­dent, Empereur, Président)

—Un
lég­is­latif composé.

a)
d’une Cham­bre basse (Con­seil des 500, Corps législatif
dédou­blé du Tri­bunat, puis seul, Cham­bre des
représen­tants, des députés, Assemblée
lég­isla­tive, Corps lég­is­latif, Cham­bre des députés)
élue de plus en plus « démoc­ra­tique­ment » et
drainant tout le pouvoir.

b)
d’une Cham­bre haute : (Con­seil des anciens, Sénat,
Cham­bre des Pairs, Sénat, Con­seil de la République)
élue ou désignée de façon à être
plus réac­tion­naire et à frein­er toutes les mesures de
réforme.

c)
d’une Cham­bre admin­is­tra­tive : Le Con­seil d’État,
insti­tu­tion telle­ment solide qu’on ne prend presque plus la peine de
la citer dans les textes con­sti­tu­tion­nels et qu’elle fonc­tion­na même
sous l’oc­cu­pa­tion nazie.

Au
cours du XIXe siè­cle se dégage empiriquement
un gou­verne­ment de Cab­i­net respon­s­able devant le Par­lement. Un
pre­mier min­istre tend à appa­raître, prenant le nom de
Prési­dent du Con­seil : même pas mentionné
dans la con­sti­tu­tion de 1875, il n’au­ra d’ex­is­tence légale que
dans celle de 1946.

Au
XXe siè­cle, les par­tis structurés,
maîtres des élec­tions, pren­nent la place des simples
« groupes par­lemen­taires » fluc­tu­ants auxquels
s’in­scrivaient chaque année les députés après
l’élec­tion. L’ex­is­tence con­sti­tu­tion­nelle des groupes
par­lemen­taires date aus­si de 1946, celle des par­tis n’a pas encore vu
le jour.

La
mul­ti­plic­ité des par­tis est soigneuse­ment entretenue par
l’inex­is­tence d’un sys­tème élec­toral fixe. Chaque
assem­blée déci­dant par une nou­velle loi élec­torale
du mode de scrutin de la suiv­ante, visant ain­si à prévenir
tout change­ment d’équili­bre des majorités.

Le
régime par­lemen­taire est ain­si devenu le pou­voir poli­tique de
la majorité.

C’est
le principe de la volon­té de la majorité qui oblige le
Cab­i­net à être « respon­s­able » c’est-à-dire
à se démet­tre quand la majorité le veut. Or
cette majorité est assez mou­vante. Léon Blum dans « La.
Réforme gou­verne­men­tale » a pu con­clure « Le régime
par­lemen­taire c’est le régime des partis ».

On
voit que, copie batarde du mod­èle bri­tan­nique, le système
français a aboutit à un résul­tat quelque peu
dif­férent. C’est de là que sont par­tis les auteurs des
Con­sti­tu­tions européenne d’après 1919 (Alle­magne,
Pologne, Tché­coslo­vaquie, Pays Baltes, Grèce , etc.)
adop­tant la vari­ante française du régime parlementaire
(anglais) mais une vari­ante sys­té­ma­tisée, dogmatisée,
« ratio­nal­isée » comme dit le constitutionaliste
Mirkine-Guet­ze­vitch qui en fut l’apôtre. La « rationalisation »
por­tant sur la façon de déter­min­er la « confiance »
envers le gou­verne­ment sur l’ini­tia­tive et l’adop­tion des lois et
leur « navette » entre les deux Cham­bres. La Constitution
répub­li­caine espag­nole de 1931 était la dernière
œuvre en Europe de ce droit con­sti­tu­tion­nel nouveau.

Depuis
1945 d’autres con­sti­tu­tions, notam­ment celles des pays décolonisés,
con­tin­u­ent cette fil­i­a­tion juridique. Et la Con­sti­tu­tion de la IVe
République (1946) n’est à son tour qu’une variante
française de la ratio­nal­i­sa­tion ger­manique ou let­tone ou
litu­ani­enne. Que de belles œuvres si pures de toute contingence
sociale et immortelles dans les manuels de Droit !

Autres régimes

Tel
est le régime par­lemen­taire au sens strict : un Par­lement
gou­ver­nant par l’en­trem­ise d’un Cab­i­net respon­s­able devant un
chef du gou­verne­ment (Pre­mier min­istre, Prési­dent du
Con­seil, Chance­li­er, etc.) dis­tinct du chef de l’État
(Prési­dent de la République ou Monarque).

Cepen­dant
d’autres régimes exis­tent dotés de Par­lement non moins
sou­verains mais sans gou­verne­ment respon­s­able devant lui. Les
juristes ne leur don­nent que par exten­sion le titre de régimes
parlementaires.

Ain­si
le sys­tème Prési­den­tiel des États-Unis
est fondé sur la plus vieille con­sti­tu­tion écrite
encore en vigueur dans le monde. Un Prési­dent, chef à
la fois de l’É­tat et du gou­verne­ment, élu par le
peu­ple, désigne les min­istres respon­s­ables devant lui seul et
non devant le par­lement (le Con­grès). Les deux pouvoirs,
lég­is­latif et exé­cu­tif, sont égaux et
indépen­dants. Ce sys­tème, fondé sur un exécutif
monocra­tique et la sépa­ra­tion rigoureuse des pou­voirs, a
exer­cé un grand ray­on­nement. On ne doit pas négliger
qu’il joue lui aus­si en fait sur l’al­ter­nance de deux par­tis se
chas­sant régulière­ment du pou­voir : cha­cun dès la
vic­toire, rem­plaçant immé­di­ate­ment tout le personnel
admin­is­tratif — jusqu’au porti­er du min­istère – par son
pro­pre per­son­nel (« Spoil-Sys­tème » — Système
des dépouilles). Aucun n’é­tant par déf­i­ni­tion à
gauche ou à droite de l’autre : tout dépend des
« machines » locales pous­sant le candidat.

Ce
régime sta­ble jusqu’à présent aux États-Unis
a, dans les pays où il fut trans­posé, don­né des
résul­tats tous dif­férents en frayant la voie au
Caudil­lisme (en Amérique latine où il est la règle
générale) au Bona­partisme (IIe République
en France.) et à l’Hitlérisne (Alle­magne de Weimar).
C’est ce régime « plébisc­i­taire » que le
Gaullisme a tou­jours appelé.

Autre
pos­si­bil­ité : le sys­tème d’un exé­cu­tif col­lé­gial
asso­cié au gou­verne­ment d’Assem­blée. C’est celui de la
Suisse qui n’a ni Chef d’É­tat ni Cab­i­net mais un Conseil
Fédéral de 7 mem­bres élus pour la législative
et en fait réélus, cha­cun étant à la tête
d’un départe­ment min­istériel, et exerçant la
prési­dence à tour de rôle. Ce système
vient d’être adop­té par l’U­ruguay, la plus pais­i­ble des
républiques latino-américaines.

Les artifices parlementaires classiques

Toutes
les formes de régime représen­tatif visent un même
but : amor­tir, assour­dir, détourn­er, émasculer,
canalis­er, la volon­té pop­u­laire. Les arti­fices les plus
grossiers sont aban­don­nés (suf­frage restreint
cen­si­taire…). Mais d’autres sub­sis­tent plus sournois.
Prin­ci­pale­ment le suf­frage indi­rect, c’est-à-dire l’élection
à plusieurs degrés : citoyen élisant des délégués
à une assem­blée qui en élisent une autre et
ain­si de suite. C’est le sys­tème par exem­ple de l’élection
des séna­teurs par les délégués des
con­seils munic­i­paux — D’abord il per­met de mieux fil­tr­er l’opinion
en la faisant décan­ter par des élites (au sens propre
de col­lec­tiv­ité. Élue) suc­ces­sives de plus en plus
restreintes et en place dans l’ap­pareil admin­is­tratif. Ain­si de nos
jours, les séna­teurs com­mu­nistes sont encore raris­simes du
fait qu’ils relèvent du seul par­ti d’op­po­si­tion, alors que les
rad­i­caux nour­ris dans le sérail ont un effec­tif pléthorique
(cinq fois plus nom­breux que les stal­in­iens!) — Ensuite le dosage
des dif­férentes délé­ga­tions locales per­met de
gon­fler l’im­por­tance des petites munic­i­pal­ités rurales aux
dépens des gross­es aggloméra­tions ouvrières, et
des départe­ments figés aux dépens de ceux qui
s’in­dus­tri­alisent. Ce principe appliqué en France à
l’élec­tion des séna­teurs avait été
poussé. à son parox­ysme dans la vieille Angleterre avec
les « bourgs pourris ».

Le
Bicaméral­isme répond à la même
préoc­cu­pa­tion : à côté d’une Assemblée
que l’on craint trop sujette à refléter l’opinion,
installer une sec­onde Assem­blée, dite de réflex­ion, que
l’on s’ef­forcera de gar­nir de per­son­nages plus con­ser­va­teurs par
toutes sortes de con­di­tions de recrutement :


Suf­frage indi­rect autant que pos­si­ble avec représentation
rurale disproportionnée


Âge plus élevé voire chefs de famille


Désig­na­tion d’of­fice « sur titre » : comme les Lords
anglais et une par­tie des séna­teurs des débuts de la
IIIe République ou de l’I­tal­ie actuelle, etc., etc.

Cette
Cham­bre « haute » pour­ra peser de toute l’in­er­tie de son
hon­or­a­bil­ité pour frein­er le mécan­isme parlementaire.

Les
jus­ti­fi­ca­tions les plus courantes du Bicaméral­isme seront
aus­si le Fédéral­isme et la représen­ta­tion des
Intérêts économiques.

Le
Fédéral­isme c’est le pré­texte invoqué
pour créer une Cham­bre où toutes les par­ties du
Ter­ri­toire grandes ou petites, seront égale­ment représentées.
Ain­si cha­cun des États-Unis, quelle que soit son importance,
désigne deux séna­teurs. En France, le plus drôle
est que tous les régimes — à part celui de 1791 qui
instau­ra une pro­fonde et vivante décentralisation
mal­heureuse­ment éphémère — ayant ten­du de
toutes leurs forces à réduire à néant la
vie locale et à con­cen­tr­er le pou­voir à Paris, on
invoque quand même la « représen­ta­tion des
col­lec­tiv­ités locales » pour main­tenir les sénateurs.
Il est vrai que l’on se réfère à un fédéralisme
non moins inex­is­tant pour créer une Assem­blée d’une
Union française tout aus­si fantasamagorique.

La
représen­ta­tion économique a une autre histoire.
Le 14 mars 1920 les syn­di­cats alle­mands en décré­tant la
grève générale brisent le putsch de Kapp. Pour
les remerci­er la République de Weimar institue, le 4 mai, un
Con­seil Économique à la place du Con­seil Économique
d’Em­pire prévu par la Con­sti­tu­tion de 1918 mais jamais créé.
Représen­tants des syn­di­cats et du par­ti pour­ront y entamer la
solide col­lab­o­ra­tion qui les liera con­join­te­ment à l’État.

En
1936 en France le gou­verne­ment de Front Pop­u­laire trans­forme le
Con­seil Nation­al Économique créé en 1925 auprès
du gou­verne­ment et en fait un organe presque par­lemen­taire. La
Con­sti­tu­tion de 1946 con­sacre défini­tive­ment son rôle
lég­is­latif : les délégués des syndicats
pré­ten­dus « représen­tat­ifs » y fer­ont en
toute légal­ité l’ap­pren­tis­sage du pou­voir et de la
ges­tion loyale de l’é­conomie capitaliste.

La classe des politiciens professionnels

La
con­séquence la plus impor­tante du régime parlementaire
est la créa­tion d’un per­son­nel poli­tique per­ma­nent et
spé­cial­isé. Ce per­son­nel, à une cer­taine époque,
a pu être con­sti­tué essen­tielle­ment d’individus
for­tunés, directe­ment liés au monde des affaires
(avo­cats…), il fait de plus en plus place en son sein à de
nou­veaux venus. Ceux-ci ne peu­vent par­venir que par leur appartenance
à un par­ti organ­isé nationale­ment pour la conquête
du pou­voir et dis­posant déjà de nom­breux postes
admin­is­trat­ifs et fonc­tions élec­tives dans tout l’appareil
étatiste ou paraé­tatiste. L’électeur n’a pas le
choix entre des hommes et des opin­ions mais entre différentes
hiérar­chies plus ou moins occultes desser­vant des intérêts
pré­cis et cor­re­spon­dant plus ou moins à des
appel­la­tions con­ven­tion­nelles, C’est ain­si que nous avons en France
actuellement :


les can­di­dats du Cap­i­tal, de la droite aux rad­i­caux, sans que les
divi­sions réelles en groupes ban­caires cor­re­spon­dent aux
dénom­i­na­tions des partis.


les can­di­dats d’une frac­tion du haut per­son­nel d’É­tat et des
syn­di­cats liés au régime, allant de cer­tains radicaux
aux social­istes, organ­isés suiv­ant les différentes
franc-maçon­ner­ies qui les lient d’autre part aux représentants
du capital.


enfin les can­di­dats d’une autre frac­tion du per­son­nel étatiste
et syn­di­cal hiérar­chisée par le par­ti communiste

À
quelque ten­dance qu’ils appar­ti­en­nent et quelle que soit leur origine
sociale pre­mière ils for­ment tous un même milieu social
ayant au fond. des réac­tions, des ambi­tions sim­i­laires et par
suite des intérêts com­muns. C’est une classe de
ges­tion­naires de l’É­tat. La plu­part aban­don­nent définitivement
tout tra­vail pro­duc­tif et, sim­ple­ment toute autre pro­fes­sion. Ils
font car­rière. Qu’im­porte s’ils sont bat­tus à des
élec­tions, le par­ti ou le groupe­ment les recase ailleurs dans
un des fro­mages qu’il s’est tail­lé dans l’É­tat, le
Par­lement, les Con­seils généraux, munic­i­paux, les.
Comités d’En­tre­prise et les mul­ti­ples insti­tu­tions syndicales
ou par­ti­sanes nour­ris­sant leurs « per­ma­nents ». Exemples
récents : André Philip ou Ramadier n’ont-ils pu se faire
réélire députés dans des départements
où la clien­tèle social­iste est en baisse ? La S.F.I.O.
bom­barde le pre­mier au Con­seil économique, et le sec­ond au
Pool Char­bon Aci­er. Exem­ples aus­si des députés
com­mu­nistes para­chutés dans les Comités d’Entreprise
des grandes sociétés nationalisées.

Ce
que prévoy­aient les penseurs anar­chistes est démontré
main­tenant dans tous les pays : Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir
de député ouvri­er ; mais sim­ple­ment des hommes qui ont
cessé d’être ouvri­ers et de servir la classe ouvrière
pour devenir des bour­geois et des servi­teurs des différents
appareils du régime cap­i­tal­iste. Ceux qui ont encore
l’il­lu­sion de met­tre l’É­tat au ser­vice du prolétariat
ne font, au plus, que l’ap­pren­tis­sage de la bureau­cratie avec la
béné­dic­tion de la bour­geoisie. Le régime
par­lemen­taire finit par assim­i­l­er tous ceux qui sont venus faire de
l’op­po­si­tion en son sein. Il a besoin de renou­vel­er son personnel,
son vocab­u­laire, de ren­forcer son emprise sur le peu­ple, son pouvoir
de mystification.

Du parlementarisme au fascisme

Les
mou­ve­ments fas­cistes, théorique­ment antiparlementaires,
n’échap­pent pas à la règle. Beau­coup d’en­tre eux
sont avalés par le régime qu’ils voulaient renverser.
Dès qu’ils sont élus au Par­lement, leur hostilité
vis-à-vis de ce qu’ils appel­lent le « système »
com­mence à décroître, et, plus ils ont de députés
plus ils devi­en­nent acco­modants, puis ils par­ticipent aux majorités
puis aux gou­verne­ments. Ain­si en fut-il en .France suc­ces­sive­ment ces
dernières années des par­tis gaulliste (R.P.F.) et
pou­jadiste (U.D.C.A.). Les députés de ces par­tis, à
l’o­rig­ine farouche­ment hos­tiles au sys­tème par­lemen­taire, se
sont lais­sé gag­n­er indi­vidu­elle­ment, puis par groupe, puis
tous ensem­ble par l’at­trait partager le pou­voir et de prof­iter de ses
bien­faits. Encore peut-on dire qu’ils se soient progressivement
dénaturés, et qu’en devenant par­lemen­taires et
gou­verne­men­taux ils aient cessé d’être fas­cistes. En
d’autres occa­sions on vit, au. lieu de fas­cistes se ral­liant au.
Par­lement bour­geois, ce dernier se ral­li­er au. Fascisme.

Que
ce soit en Ital­ie, en Alle­magne ou en France les chefs d’état
fas­cistes ont été portés légale­ment au
pou­voir par les par­lements démoc­ra­tiques. Cer­tains comme
Mus­soli­ni, Horty ou Per­on ont con­tin­ué longtemps à
gou­vern­er avec le Parlement.

Les
régimes fas­cistes ont par­fois même voulu créer
leur Par­lement, comme les Cortès fran­quistes ou le Conseil
Nation­al de Pétain. Il y eut au. moins un dic­ta­teur renversé
par l’or­gane de son régime : Mus­soli­ni par le Grand Conseil
Fasciste.

S’il
est bien évi­dent que le total­i­tarisme fas­ciste suppose
l’aboutisse­ment au régime du par­ti unique, il n’en reste pas
moins que de nom­breuses vari­antes ou tran­si­tions sont possibles
menant insen­si­ble­ment de la démoc­ra­tie bour­geoise à la
dic­tature. Et l’on peut se deman­der où en est la France :
démoc­ra­tique chez elle, fas­ciste en Algérie.

Enfin
le jeu des alliances inter­na­tionales est tel que dans la dernière
« guerre du droit et de la lib­erté » on a va en
pleine Europe occupée par les troupes alle­man­des, un pays
comme le Dane­mark procéder à ses élections
par­lemen­taires les plus régulières (où le parti
nazi ne recueil­lait qu’un pour­cent­age infime des voix). À la
même époque la Fin­lande, alliée de l’Allemagne,
restait une démoc­ra­tie bour­geoise avec comme pre­mier ministre
le chef du par­ti social­iste, tan­dis que du côté des
grandes démoc­ra­ties anglo-sax­onnes com­bat­taient plusieurs
dic­tatures lati­no-améri­caines (sans compter Chang Zai Chek et
Staline).

Régimes parlementaires marxistes

Il
est curieux de con­stater com­ment le régime bolcheviste, tout
en s’ac­com­modant au mieux de la liq­ui­da­tion soudaine (jan­vi­er 1918)
de l’Assem­blée con­sti­tu­ante (démoc­ra­tie représentative)
comme de celle plus lente des sovi­ets (démoc­ra­tie directe
pro­lé­tari­enne), a visé à copi­er peu à peu
le régime par­lemen­taire le plus traditionnel.

Par
les deux con­sti­tu­tions lénin­istes de 1918 et 1924, le terme de
sovi­et per­dait tout son sens de « Con­seil des ouvri­ers, des
paysans et des sol­dats » pour devenir syn­onyme de toute
assem­blée : du Con­seil munic­i­pal au Par­lement. Finale­ment on
est venu à présen­ter la révo­lu­tion comme
con­sis­tant à installer un « vrai » Par­lement, un.
régime par­lemen­taire « juste », comme si les
insti­tu­tions de la démoc­ra­tie bour­geoise pou­vaient simplement
fonc­tion­ner hon­nête­ment au ser­vice du peu­ple. Cette prétention
à réalis­er le rêve des bour­geois du XIXe
est bien car­ac­téris­tique des bureau­crates stal­in­iens du XXe.

La
troisième con­sti­tu­tion de 1936, la con­sti­tu­tion « stalinienne »
de l’U.R.S.S. organ­ise deux Assem­blées com­posant le Soviet
Suprême, un Pré­sid­i­um col­lé­gial et un Con­seil des
Min­istres. Cha­cun sait que ce par­lemen­tarisme « le plus
démoc­ra­tique du monde » est de pure forme. La
con­sti­tu­tion elle-même, en son arti­cle 126, caractérisant
le par­ti com­mu­niste comme le « noy­au dirigeant de toutes les
organ­i­sa­tions de tra­vailleurs, aus­si bien des organ­i­sa­tions sociales
que des organ­i­sa­tions d’É­tat » on est implicitement
prévenu que la véri­ta­ble organ­i­sa­tion du pou­voir est
celle du Par­ti et non de l’Ét­tat. Il n’est pas besoin
d’épi­loguer sur la façon dont ce par­ti a éliminé
les autres par­tis et for­ma­tions et com­ment en son sein même il
a détru­it toute pos­si­bil­ité de débat pour yoir à
quelle dis­tance nous sommes du régime par­lemen­taire, malgré
la fig­u­ra­tion main­tenant tra­di­tion­nelle des « sans-Parti ».

Même
calque scrupuleux de la démoc­ra­tie bour­geoise dans les
démoc­ra­ties « pop­u­laires» ; seule différence :
après la fusion for­cée des ex-par­tis social­istes avec
les par­tis stal­in­iens on a gardé l’ap­parence de partis
bourgeois.

Ain­si
siè­gent aux côtés du P.C. chi­nois, la Ligue
Démoc­ra­tique, le Kuo in Tang révo­lu­tion­naire et
d’autres for­ma­tions des­tinées à créer
l’im­pres­sion d’un « Front Pop­u­laire », d’un « Front
Nation­al », d’un « Front Patriotique ».

En
Alle­magne de l’Est l’opéra­tion « survie » des partis
poli­tiques a été menée de main de maître.
À côté des squelettes précieusement
con­servés des par­tis chré­tien-démoc­rate et
libéral-démoc­rate deux autres ont sur­gi : Par­ti paysan
et Nation­al-démoc­rate fondés par deux anciens membres
du P.C. démis­sion­nés de leur fonc­tion à cet
effet. Ces qua­tre fan­tômes de par­tis visent à ral­li­er au
régime cha­cun une caté­gorie déter­minée de
la pop­u­la­tion croy­ants, bour­geois, ruraux et anciens militaires
surtout nazis et cha­cun est représen­té à la
Cham­bre du Peu­ple et au gouvernement.

En
Yougoslavie la pres­sion stal­in­i­enne ne parvint pas à susciter
de tels « revenants », les dirigeants du P.C. yougoslave
esti­mant super­flus cette mascarade.

La
révo­lu­tion hon­groise de 1956 a claire­ment montré
com­ment ces par­tis de « com­pagnons de route » du stalinisme
s’é­vanouis­saient au moin­dre choc, vidés de toute
sub­stance, tan­dis que réap­pa­rais­saient spon­tané­ment les
par­tis anciens et que s’en créaient de nou­veaux, reflet des
ten­dances jeunes.

En
Pologne l’évo­lu­tion actuelle est à sur­veiller puisque
le Sejm (Cham­bre des députés) élu pour
plébisciter Gomul­ka l’a été de façon à :

éviter
toute représen­ta­tion pro­lé­tari­enne authen­tique issue
des Con­seils ouvriers,

ménag­er
l’en­trée d’une oppo­si­tion virtuelle réduite mais
vis­i­ble : catholiques et par­ti paysan.

Enfin
c’est la pre­mière fois depuis les années qui suivirent
la mort de Lénine — hormis peut-être la Hon­grie avant
Octo­bre 1956 — que dans un Par­ti com­mu­niste au pou­voir des
ten­dances (au moins trois) peu­vent s’af­fron­ter ouvertement.

Mais
nous ne sommes plus là dans le domaine du par­lemen­tarisme mais
de la « Démoc­ra­tie intérieure » ou de la
« Démoc­ra­tie ouvrière ».

République par­lemen­taire ou république
des conseils ?

La
longue his­toire du Par­lement n’est certes pas achevée et elle
nous promet de nou­veaux développe­ments. Le gouvernement
représen­tatif, qui était la revendication
révo­lu­tion­naire des bour­geois du XVIIIe siècle,
a gag­né le monde entier. Les despotes se comptent sur les
doigts de la main : Ibn Séoud, Haïle Selassié.…
Par con­tre les régimes les plus divers se sont accommodés
du Par­lement ou l’ont accom­modé à leur façon :
aus­si bien le fas­cisme que le stal­in­isme peu­vent s’orner d’une
Cham­bre des Députés, quel que soit son nom. Il y a
presque tou­jours un per­son­nel dirigeant à faire fig­ur­er ou à
con­sul­ter et l’on n’a plus besoin de beau­coup d’imag­i­na­tion pour le
faire élire par le peu­ple, tant les méthodes
élec­torales se sont per­fec­tion­nées. La Russie
stal­in­i­enne est célèbre par ses élec­tions où
les can­di­dats gou­verne­men­taux rassem­blent plus de 98% des suffrages,
en Algérie, sous la « présence française »,
depuis le gou­verneur social­iste Naege­len on obte­nait régulièrement
des résul­tats aus­si merveilleux

Quel
que soit le régime ce n’est qu’ex­cep­tion­nelle­ment que les
vrais débats poli­tiques sont portés au Par­lement. Car
les par­lements ne sont qu’une façade morte, un décor en
car­ton-pâte où de faux tournois d’éloquence
expri­ment des posi­tions et des déci­sions élaborées
ailleurs. Où ? dans le Par­ti ou les par­tis, dans leurs Comités
cen­traux, Con­seils nationaux, Com­mis­sions exéc­u­tives, Bureaux
poli­tiques et dans toutes les couliss­es, anticham­bres et cour­sives du
Pou­voir où se retrou­vent les porte-parole des groupes
d’in­térêts cap­i­tal­istes ou bureaucratiques.

La
réal­ité par­lemen­taire a quit­té les appareils
d’É­tat pour les appareils de par­ti ; ces derniers étant
entraînés les uns après les autres dans une même
évo­lu­tion interne vers la sclérose et la dic­tature du
Secré­tari­at, la démoc­ra­tie ne s’en est pas accrue, au
contraire.

Si
restreint soit-il le cer­cle de la dis­cus­sion révèle
chaque fois les mêmes tend.ances plus ou moins vives, déclarées
ou con­scientes, effacées, extir­pées ou reniées.
Que ce soit dans les par­tis fas­ciste ou nazi, stal­in­iens ou
gomulk­istes, les mou­ve­ments fran­quiste ou nassérien, dans le
Des­tour tunisien ou le Con­grès indi­en, dans les Par­lements les
plus vieux ou les plus jeunes, marx­iste ou bour­geois, le même
éven­tail d’opin­ions appa­raît entre une droite et une
gauche : l’une tra­di­tion­al­iste défen­dant les plus anciennes
class­es cap­i­tal­istes sur­vivantes, où l’on trou­ve les « mous »,
les jouis­seurs, les cor­rom­pus, les fatigués, les lassés
ne s’in­téres­sant guère aux expériences
social­istes et aux tra­vailleurs ; et puis l’autre, celle des « durs »,
des dog­ma­tiques, des doc­tri­naires, des « incorruptible »,
des ascètes, qui invo­quent sans cesse le peu­ple et veulent
pouss­er l’in­ter­ven­tion de l’É­tat dans tous les domaines au nom
de la classe ouvrière et du socialisme.

Quelque­fois
une troisième ten­dance peut se faire jour : celle de laiss­er la
parole à ces tra­vailleurs au nom de qui par­le la gauche. Mais
cette ten­dance là, elle, n’est pas sérieuse.
Tout est bon pour lui refuser une place. Témoin l’exemple
récent de Gomul­ka faisant évin­cer les représentants
des Con­seils Ouvri­ers ou de la jeunesse d’oc­to­bre (Gozdzik,
Laso­ta…) et con­ser­vant avec une majorité de députés
stal­in­iens et social-démoc­rates chevron­nés une
oppo­si­tion bour­geoise et cléri­cale. Quant au peu­ple il reste
tou­jours hors du débat.

Sous
toutes ses formes et vari­antes le régime par­lemen­taire aboutit
au même résul­tat : con­fi­er à une petite minorité
le soin de décider au nom des mass­es. Une fois tous les cinq
ans env­i­ron le peu­ple est appelé à la cérémonie
solen­nelle moyen­nant quoi il n’a plus qu’à obéir.

La
supercherie du par­lement bour­geois se répète dans le
par­lement marxiste.

Le
Par­lement est l’or­gane déco­ratif, jadis délibératif,
de la classe dirigeante. Il ne peut opér­er que des réflexions
sur lui-même et rester étranger à l’expérience
per­ma­nente des travailleurs.

Vouloir
trans­former les par­lements exis­tants en organes révolutionnaires
est aus­si vain que de jeter les plans du par­lement idéal,
par­fait chef d’œu­vre de la démocratie.

Com­muent
sor­tir de ce cer­cle ? La réponse a été donnée
dans de nom­breux pays : c’est celle des tra­vailleurs eux-mêmes
s’or­gan­isant en Con­seils, Sovi­ets Col­lec­tiv­ités agraires et
indus­trielles. C’est celle de la révo­lu­tion prolétarienne :
Paris (1871), Russie (1905, 1917), Mex­ique (1911…), Finlande,
Alle­magne Hon­grie, Ukraine (1918, 1919), Kro­n­stadt (1921), Asturies
(1934), Espagne (1936), Pologne, Hon­grie (1956). Chaque fois il se
trou­ve un par­lement pour organ­is­er la répres­sion la plus
sévère ; soit un par­lement bour­geois comme aux Asturies
en 1934, soit un par­lement marx­iste comme à Kro­n­stadt en 1921,
soit un par­lement marx­iste-bour­geois comme à Barcelone en
1937.

La
seule démoc­ra­tie qui ne puisse se retourn­er con­tre les
tra­vailleurs c’est celle qui s’établit au sein de la classe
ouvrière et non hors d’elle et au-dessus d’elle. L’attitude
con­séquente des tra­vailleurs face au Par­lement est celle,
néga­tive, de la non-par­tic­i­pa­tion. Toute action constructive
doit pass­er par d autres voies, tabler sur d’autres moyens.

Tout
Par­lement, tout gou­verne­ment représen­tatif, reste
néces­saire­ment une impos­ture et une trahi­son car il repose sur
un per­son­nel poli­tique acquérant des conceptions
bureau­cra­tiques et iden­ti­fi­ant sa volon­té à celle de
l’É­tat. Dans la classe ouvrière toute tendance
révo­lu­tion­naire peut fournir une con­tri­bu­tion pos­i­tive. Hors
d’elle, tout par­ti poli­tique ne peut qu’ag­graver la dom­i­na­tion de la
bour­geoisie ou installer la sienne propre.

J.
Presly


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