La Presse Anarchiste

Socialisme d’État et parlement

Marx
et Engels : hési­ta­tions et prophéties.

Nous
n’a­vons pas l’in­ten­tion de faire por­ter sur Marx (et sur Engels) la
res­pon­sa­bi­li­té totale de la dégénérescence
contre-révo­lu­tion­naire du sys­tème « communiste »
ins­tau­ré en Rus­sie. Leurs convic­tions et leur bonne foi ne
sont pas en cause. N’ou­blions pas que Marx et Engels ont été
les dis­ciples de Hegel et comme tels ils ont dû subir
l’i­déa­li­sa­tion éta­tiste de leur maître et s’en
impré­gner. D’autre part nous ne pou­vons pas accepter
l’ex­pli­ca­tion de l’é­chec du com­mu­nisme auto­ri­taire par les
erreurs ou la tra­hi­son de Sta­line, expli­ca­tions et justifications
habi­tuelles de toutes les sectes et les cha­pelles marxistes
« anti­sta­li­niennes ». Le sys­tème poli­tique et
éco­no­mique ins­tau­ré après la deuxième
guerre mon­diale, en Chine, en You­go­sla­vie ou au Viet­nam du Nord, suit
le même che­min et pré­sente les mêmes phénomènes
que leur « aîné » soviétique.

Le
mal est dans la racine, dans la concep­tion même du socialisme
mar­xiste, socia­liste éta­tiste auto­ri­taire et centraliste.
Faute de don­nées exactes sur le futur « État
pro­lé­ta­rien », Marx se bor­na à des prédictions
floues, équi­voques et contra­dic­toires. De ce point de vue on
peut dire que le social-réfor­miste Bern­stein n’est pas moins
« ortho­doxe » que le révo­lu­tion­naire Lénine.

Le
pro­blème qui nous inté­resse ici, socia­lisme d’État,
et Par­le­ment, n’est trai­té par Marx (et Engels) que
spo­ra­di­que­ment et en marge du pro­blème de l’État.

Qu’est-ce
que l’É­tat ? Un ins­tru­ment de domi­na­tion et d’exploitation
d’une classe par une autre « une force issue de la société
mais se pla­çant au-des­sus d’elle » (Engels), « une
force, spé­ciale de répres­sion » dont les
prin­ci­paux ins­tru­ments de coer­ci­tion sont l’ar­mée permanente
et la police. (Cela se réfère, bien enten­du, à
l’É­tat capitaliste).

Quant
au suf­frage uni­ver­sel, l’at­ti­tude d’En­gels était dans les
pre­miers tempe caté­go­rique : dans le meilleur des cas il ne
peut être que « l’in­dice de la matu­ri­té de la
classe ouvrière. Il ne peut don­ner et ne don­ne­ra jamais rien
de plus dans l’É­tat actuel ». Plus tard Engels sera gagné
par l’«enthousiasme » et les illu­sions de la
social-démo­cra­tie réfor­miste alle­mande et fera
d’é­tranges pro­nos­tics sur la mon­tée par­le­men­taire du
pro­lé­ta­riat. Il fixe­ra, pour la fin du siècle (du
siècle der­nier) la date de la révo­lu­tion « tranquille »
et « indo­lore » du pro­lé­ta­riat grâce à
la conquête de la majo­ri­té au parlement.

L’É­tat
bour­geois, d’a­près Marx et Engels. doit être supprimé
et rem­pla­cé par l’É­tat pro­lé­ta­rien (dic­ta­ture du
pro­lé­ta­riat). Ici deux ques­tions se posent : 1) Est-il
indis­pen­sable que le pas­sage de l’É­tat bour­geois à
l’É­tat pro­lé­ta­rien se fasse par voie de révolution ?
et 2) qu’est-ce que l’É­tat prolétarien ?

  1. En règle
    géné­rale Marx et, Engels sont pour la révolution.
    Mais Marx admet que dans cer­tains cas (et il prend comme exemple
    l’An­gle­terre et les États-Unis de son temps) l’État
    pro­lé­ta­rien peut rem­pla­cer l’É­tat capi­ta­liste par
    voie par­le­men­taire c’est-à-dire sans recours à la
    révo­lu­tion vio­lente. Tout dépend de l’ins­truc­tion du
    pro­lé­ta­riat, du degré de sa conscience sociale, de
    son sens de l’or­ga­ni­sa­tion. (Donc il n’est pas éton­nant que
    l’on puisse lire dans la Décla­ra­tion des chefs des P.C.
    réunis à Mos­cou en novembre 1957 qu’«une
    solide majo­ri­té par­le­men­taire sur la base d’un front
    ouvrier et popu­laire et la col­la­bo­ra­tion poli­tique entra
    dif­fé­rents par­tie et orga­ni­sa­tions sociales peut faire du
    Par­le­ment, ins­tru­ment au ser­vice de la classe bour­geoise, un
    ins­tru­ment du peuple travailleur ».)
  2. Marx et Engels
    sont contre l’a­bo­li­tion de l’É­tat par le prolétariat
    vain­queur. L’É­tat res­ta tou­jours « une force spéciale
    de répres­sion » mais les rôles changent : l’État
    pro­lé­ta­rien, c’est la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat sur
    la bour­geoi­sie vaincue.

Engels
était, sans doute, moins rigide dans ses concep­tions, moins
« éta­tiste » que Marx. Son État prolétarien
est un semi-État condam­né à un rapide
« dépé­ris­se­ment ». « Le pre­mier acte par
lequel l’É­tat s’af­firme réel­le­ment comme le
repré­sen­tant de la socié­té tout entière —
la prise de pos­ses­sion des moyens de pro­duc­tion au nom de la société
 — est en même temps le der­nier acte propre de l’État ».

Dans
la période qui pré­cède la Com­mune de Paris, la
concep­tion mar­xiste de l’É­tat pro­lé­ta­rien est très
vague et équi­voque. L’É­tat, c’est « le prolétariat
orga­ni­sé en classe domi­nante » — lit-on dans le
Mani­feste. (Étrange concep­tion de révo­lu­tion sociale!).
D’autre part, cet État doit être cen­tra­li­sé afin
de pou­voir écra­ser plus effi­ca­ce­ment la résis­tance des
ves­tiges de l’an­cienne classe exploi­teuse et pour diri­ger plus
faci­le­ment l’é­co­no­mie socia­liste. Dans sa polémique
avec les prou­dho­niens, Marx sou­tient que vou­loir « abolir
l’É­tat » c’est dépo­ser les armes.

On
sait que Marx mépri­sait le pro­lé­ta­riat français
et qu’il était scep­tique quant à la ten­ta­tive de
ren­ver­se­ment du gou­ver­ne­ment, à la veille de la Commune,
pour­tant lorsque la révo­lu­tion écla­ta, il en fut
enthou­sias­mé, l’a­na­ly­sa minu­tieu­se­ment et en tira des
conclu­sions assez surprenantes.

La
pre­mière conclu­sion est que le pro­lé­ta­riat « ne
peut pas s’emparer de la machine d’É­tat toute prête et
la mettre en marche pour la faire ser­vir à ses propres fins. »

Dans
« La guerre civile en France » Marx nous donne les
carac­té­ris­tiques de la Com­mune de Paris, qui devraient être,
d’a­près lui, celles de toute révo­lu­tion prolétarienne :

a)
sup­pres­sion de l’ar­mée per­ma­nente et son rem­pla­ce­ment par le
peuple armé ;

b)
éli­gi­bi­li­té abso­lue et révo­ca­bi­li­té de
tous les fonctionnaires ;

c)
le salaire d’un fonc­tion­naire doit être égal au salaire
d’un ouvrier.

Au
lieu de déci­der une fois tous les 3 ou 6 ans quel membre de la
classe domi­nante ira repré­sen­ter et oppri­mer le peuple au
par­le­ment»… « la Com­mune devrait être une
assem­blée non par­le­men­taire mais agis­sante, ayant en même
temps le pou­voir légis­la­tif et le pou­voir exécutif. »

Ce
fut le point culmi­nant du « libé­ra­lisme » marxiste.
Un feu de paille. Par suite il se per­dra dans les dédales de
la pre­mière phase du com­mu­nisme (ou phase inférieure)
et jus­ti­fie­ra le « droit bour­geois » de l’inégalité
(« à cha­cun selon son travail »).

Lénine ou la dictature du parti

Il
est incon­tes­table que l’homme à qui l’on doit la boutade
« chaque cui­si­nière doit savoir diri­ger l’État »
était non seule­ment un grand déma­gogue mais aus­si un
orga­ni­sa­teur plein d’i­ni­tia­tive et un agi­ta­teur infa­ti­gable (Par
plu­sieurs côtés il rap­pelle l’«anarchiste »
Net­chaïev de lamen­table mémoire). Son évolution
idéo­lo­gique et sa conduite pra­tique vont en zig zag. Les
contra­dic­tions et les inco­hé­rences idéo­lo­giques et
pra­tiques ne le gênent pas. Bien au contraire, il en fait un
« cré­do » révo­lu­tion­naire. « La fin
jus­ti­fie les moyens » Et la fin, c’é­tait le pouvoir.
Lénine a été le guide fos­soyeur d’une grande
révo­lu­tion prolétarienne.

Avant
la révo­lu­tion de 1917 ses idées sur la révolution
n’é­taient pas nettes. À un cer­tain moment il croyait
que la Rus­sie avait besoin d’une révo­lu­tion bour­geoise. (On ne
brûle pas les étapes ! En bon mar­xiste, il savait que la
révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne ne peut écla­ter que
lorsque le capi­ta­lisme aura atteint son point culminant.)

Dans
« Deux tac­tiques » il écri­vait à pro­pos de la
Com­mune de Paris : « Ce fut un gou­ver­ne­ment tel que le nôtre
ne doit pas être. » Il repro­chait aux com­mu­nards d’avoir
hési­té entre la révo­lu­tion sociale et la
révo­lu­tion. démo­cra­tique et d’a­voir omis de s’emparer
de la Banque de France. Cela ne l’empêcha pas de sou­te­nir dans
son rap­port au Congrès de la 3e Internationale
(mars 1919) que « le mou­ve­ment sovié­tiste conti­nue aux
yeux de tous l’œuvre de la Commue. »

Pour
Lénine « le pro­blème fon­da­men­tal de toute
révo­lu­tion est celui du pou­voir dans l’É­tat ». La
dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat dégè­ne­ra, en pratique,
rapi­de­ment en dic­ta­ture du par­ti sur le prolétariat.

Après
la chute du tzar il y avait une dua­li­té du pou­voir : le
gou­ver­ne­ment pro­vi­soire (Lvov d’a­bord, puis Kérens­ky) et les
Soviets des dépu­tés ouvriers et soldats.

Contrai­re­ment
à ce que l’on pense com­mu­né­ment, les Soviets n’ont pas
été une créa­tion des bol­che­viks. En réalité
ils sont issus spon­ta­né­ment de l’ef­fer­ves­cence de la
révo­lu­tion. Les bol­che­viks y étaient net­te­ment en
mino­ri­té. Au congrès pan­russe des soviets (juin 1917)
les bol­che­viks n’a­vaient que 105 délé­gués contre
285 socia­listes révo­lu­tion­naires et 248 men­che­viks. À
la fin de la même année ils auront la majorité !
Les rai­sons de cette ascen­sion sont mul­tiples. Ils commencèrent
par lan­cer le mot d’ ordre : « Tout le pou­voir aux soviets »
qui eut un grand reten­tis­se­ment auprès des masses fatiguées
et exas­pé­rées par l’in­ca­pa­ci­té et la corruption
du « gou­ver­ne­ment pro­vi­soire » de Kérens­ky. D’autre
part ils pro­met­taient aux sol­dats la paix et aux pay­sans la terre. La
déma­go­gie paie.

Une
fois qu’ils se sont assu­rés la majo­ri­té dans les
soviets (Conseils) les bol­che­viks déclenchèrent
l’of­fen­sive contre l’As­sem­blée constituante.

Pour­tant
jus­qu’aux élec­tions géné­rales, les bolcheviks
étaient par­ti­sans ardents de l’As­sem­blée. Ils
espé­raient y gagner la majo­ri­té. Ils repro­chaient avec
véhé­mence, au gou­ver­ne­ment de Kérensky
l’in­ten­tion de retar­der indé­fi­ni­ment les élec­tions et
de sabo­ter l’As­sem­blée. En sep­tembre 1917 Lénine
écri­vait (dans « Les tâches de la Révolution »):
« Les soviets ayant pris la plé­ni­tude du pouvoir,
pour­raient main­te­nant encore — et c’est là pro­ba­ble­ment leur
der­nière chance — assu­rer le déve­lop­pe­ment pacifique
de la révo­lu­tion, l’é­lec­tion paci­fique de ses députés
par le peuple, l’é­mu­la­tion paci­fique des par­tis au sein des
soviets, la mise à l’é­preuve, dans la pra­tique, du
pro­gramme des dif­fé­rents par­tis, le pas­sage paci­fique du
pou­voir d’un par­ti à l’autre ».

Les
résul­tats des élec­tions furent déce­vante pour
les bol­che­viks : ils étaient en mino­ri­té. L’Assemblée
consti­tuante devint une ins­ti­tu­tion gênante et ils décidèrent
de s’en débarrasser.

« L’As­sem­blée
consti­tuante — écrit Lénine le 6 jan­vier 1918 —
consti­tue­rait aujourd’­hui un pas en arrière et signi­fie­rait la
faillite de toute la Révo­lu­tion d’Oc­tobre des ouvriers et des
pay­sans ». Et ailleurs : « Deux pou­voirs ne sauraient
exis­ter dans un État. L’un des deux doit être réduit
à néant ». D’a­près Lénine, la
dua­li­té du pou­voir ne reflète qu’une période
tran­si­toire du déve­lop­pe­ment de la Révolution.

Dans
le para­graphe 21 du Rap­port pré­sen­té au Congrès
de la Troi­sième Inter­na­tio­nale il qua­li­fie l’Assemblée
consti­tuante de « dic­ta­ture bourgeoise ».

L’As­sem­blée
consti­tuante fut dis­soute par un décret de Lénine qui
était alors à la tête du « Conseil des
com­mis­saires du peuplé ».

Mal­gré
sa phra­séo­lo­gie déma­go­gique (« Tout le pou­voir aux
soviets ») Lénine n’a jamais cru sin­cè­re­ment aux
Soviets. Zino­viev (l’a­mi et le col­la­bo­ra­teur le plus proche de
Lénine) nous révèle, dans la bio­gra­phie de
Lénine, (parue en 1918) qu’en 1917, donc au moment où
les bol­che­viks étaient en mino­ri­té dans les soviets,
Lénine sou­te­nait que le par­ti bol­che­vik devrait « prendre
le pou­voir en dehors des soviets ».

En
1918, les Soviets étaient déjà fatigués
et démo­ra­li­sés. Leur rôle dimi­nuait de plus en
plus. Leur liber­té d’ac­tion était entra­vée par
les menaces, la ter­reur, le chan­tage, la fal­si­fi­ca­tion des votes,
etc. Si les bol­che­viks ne les ont pas sup­pri­més pure­ment et
sim­ple­ment, c’est parce qu’ils ne gênaient plus les bolcheviks.

Les
pro­tes­ta­tions et les rébel­lions furent matées
rapi­de­ment et sans scru­pules. Quand, le 24 février 1918, le
Bureau du par­ti de la région de Mos­cou pro­tes­ta contre les
déci­sions du par­ti concer­nant le trai­té de paix avec
l’Au­triche-Alle­magne et « attire l’at­ten­tion sur le fait que le
pou­voir des soviets devient désor­mais pure­ment formel »,
Lénine répond sur le ton furi­bond (qui lui était
propre) et qua­li­fie cette pro­tes­ta­tion « d’é­trange et
mons­trueuse ». « L’ange gar­dien de la révolution »
n’ad­met­tait pas qu’on le contredît.

La
« dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » devint déjà,
du vivant de Lénine, la dic­ta­ture sur le prolétariat,
la dic­ta­ture du par­ti bol­che­vik et de ses créa­tions : la
police, l’ar­mée per­ma­nente et la bureau­cra­tie naissante.

Il
fal­lait bien « bri­ser la vieille machine administrative »,
mais c’é­tait, néan­moins, pour en construire, sans
tar­der, une nou­velle, car, dit Lénine : « Il ne saurait
être ques­tion de sup­pri­mer d’emblée, par­tout et
com­plè­te­ment, la bureau­cra­tie. C’est une uto­pie ». Lénine
connais­sait bien Marx et sur­tout l’en­sei­gne­ment sur la « phase
infé­rieure du com­mu­nisme » qui per­met toutes les
inter­pré­ta­tions et jus­ti­fie tous les abus.

Il
est vrai, d’autre part, que Marx pré­co­ni­sait comme forme de
défense du nou­vel État pro­lé­ta­rien « le
peuple en armes » et non pas une armée per­ma­nente. Cela
n’a pas empê­ché Lénine de décréter,
en jan­vier 1918 « la for­ma­tion d’une armée rouge
socia­liste ». Les « rai­sons his­to­riques » ne lui
fai­sait pas défaut : cette armée « permanente »
était, en fin de compte, une « Armée du peuple »
et puis il y avait « le har­cel­le­ment capi­ta­liste » et la
théo­rie fraî­che­ment lan­cée de la « révolution
dans un seul pays ». Lénine a tou­jours eu hor­reur des
utopies…

Sta­line — « La phase supé­rieure du
com­mu­nisme » et le « dépé­ris­se­ment de l’État
pro­lé­ta­rien » sont pour plus tard…

Homme
médiocre et en proie à un ter­rible complexe
d’in­fé­rio­ri­té, Sta­line n’a rien laissé
d’o­ri­gi­nal der­rière lui : ni dans ses écrits ni dans ses
réa­li­sa­tions. Il a essayé, lui aus­si, d’interprêter
Marx à sa façon et il a fait de son mieux pour utiliser
l’ex­pé­rience et les ensei­gne­ments de son prédécesseur
Lénine.

Ses
œuvres ne pré­sentent aucun inté­rêt du point de
vue idéo­lo­gique. Ver­biage et déma­go­gie cynique. Ses
« ana­lyses » mys­ti­fi­ca­trices de réalité
sovié­tique res­semblent étran­ge­ment à des propos
de pince-sans-rire.

Il a
fait ce que tout mar­xiste-bol­che­vik (Trot­sy, Kame­nev, etc.) aurait
fait dans les mêmes cir­cons­tances. Plus que l’au­teur de ce
monstre qu’est l’É­tat sovié­tique, Sta­line est le
pro­duit, l’ex­pres­sion même de la dégénérescence
et de l’é­chec d’une doctrine.

Quelques
mots sur la Consti­tu­tion de 1936 et le sys­tème électoral :

La
consti­tu­tion sovié­tique de 1936 (« la plus démocratique
du monde ») débu­ta sous de mau­vais aus­pices : sur 29
per­sonnes char­gées d’é­la­bo­rer la nou­velle constitution,
15 furent fusillées ou dépor­tées avant les
élec­tions de 1937.

Contrai­re­ment
au vieux sys­tème élec­to­ral (constitution.de 1924) au
scru­tin inégal, indi­rect et public, la Consti­tu­tion de 1936
éta­blit le scru­tin direct et secret. Théoriquement,
tous les citoyens (age mini­mum 18 ans) ont le droit d’é­lire et
d’être élus, sans dis­tinc­tion de race, de sexe, etc.

Can­di­da­ture
unique. « Le droit de pré­sen­ter les can­di­dats est assuré
aux orga­ni­sa­tions de masse, au Par­ti, aux syn­di­cats, etc.

Théo­ri­que­ment
« le dépu­té peut être révoqué
à tout moment sur déci­sion de la majo­ri­té des
élec­teurs. » Pra­ti­que­ment, cela n’ar­rive jamais.

Les
listes des élec­teurs sont soi­gneu­se­ment épurés.
Le contrôle des élec­tions est rigou­reux : les
abs­ten­tion­nistes deviennent auto­ma­ti­que­ment « enne­mis du peuple »
et risquent les camps de Sibé­rie, ou, dans le meilleur cas, la
perte de leur emploi. Les résul­tats sont falsifiés
sys­té­ma­ti­que­ment : la com­mis­sion de contrôle des
élec­tions est com­po­sée exclu­si­ve­ment de membres du
Par­ti ou de « Sans par­ti » (le plus sou­vent des arrivistes
connus par leur ser­vi­li­té à l’é­gard du régime).
Résul­tat : le nombre des élec­teurs par­ti­ci­pant aux
élec­tions n’est jamais infé­rieur à 90%.

La
cam­pagne élec­to­rale est carac­té­ri­sée par :

a)
des dis­cours de parade, louanges ser­viles à l’a­dresse du
régime, et 

b)
par une ter­reur accrue.

L’or­gane
suprême du pou­voir d’É­tat de l’URSS est le Soviet
suprême. Il est for­mé de deux chambres : Le Conseil de
l’U­nion et le Conseil des natio­na­li­tés. À la tête
du Conseil (Soviet) suprême se trouve le Présidium.

Dans l’impasse.

Quoi­qu’on
en dise et quoique l’on en pense, notre temps est sous le signe du
mar­xisme : à l’Est comme à l’Ouest le mar­xisme est
deve­nu une réa­li­té. Une réa­li­té qui est
une impasse. Il a fal­lu au mar­xisme cent ans de luttes et
d’ex­pé­riences renou­ve­lées pour abou­tir à sa
totale dégé­né­res­cence et à un démenti
sans équi­voque. Est-ce le des­tin de tout dogme ?

À
l’Est comme à l’Ouest les mar­xistes « communistes »
et leurs core­li­gion­naires et enne­mis (d’hier), les « réformistes »,
se tendent la main ; le temps est aux fronts popu­laires (il faut
entrer au gou­ver­ne­ment, coûte que coûte), aux surenchères
diplo­ma­tiques et aux « confé­rences au sommet ».

Sur­tout
pas de révo­lu­tion sociale ! La tran­si­tion du capi­ta­lisme au
socia­lisme se fera (doré­na­vant) par le tru­che­ment des urnes
par­le­men­taires (tant qu’il n’y a pas assez de canons et de fusées
inter-conti­nen­tales). Il faut gagner (au Par­le­ment) la majorité
plus une voix et le reste sera facile !

Curieux
phé­no­mène que le Par­le­ment moderne ! Il incarne la
pour­ri­ture et l’ab­surde de notre temps : lieu de mar­chan­dages et de
toutes sortes de com­bines (dans les pays capi­ta­listes); dans le pays
« com­mu­nistes » son côté « ubuesque »
est encore plus décon­cer­tant : c’est une « claque »,
une assem­blée de robots dont le seul « droit et devoir »
est d’ap­plau­dir ser­vi­le­ment et de voter (sans débats
contra­dic­toires et à l’u­na­ni­mi­té) les décisions
prises d’a­vance par le Par­ti ou par un chef tout puis­sant. À
la volon­té du peuple se sub­sti­tue celle des politiciens
pro­fes­sion­nels, les « bonzes » du syn­di­cat ou des
pré­si­dents du Kolkhose.

La
leçon du mar­xisme est une leçon néga­tive. Le mal
est dans la racine. La révo­lu­tion sociale est antiétatiste
ou n’est pas.

Pierre
Pelerin

  1.  
La Presse Anarchiste