Quelle saison de la récolte nous t’avons cru et quelle aurore,
Automne russe, octobre rouge, « dix jours qui ébranlèrent le monde »,
Agonie, que rien, nous en tenions la certitude, n’arrêterait plus désormais, de tout ce qui est immonde.
Comment, compagnons d’univers, sans remords eût-on douté ? Ici, dans cette grande petite ville d’Occident commerçante et puritaine
Où je vivais et vis encore, et probablement j’y mourrai, ils arrivaient avec leur peine,
Leur fatigue, mais aussi la gaîté qui même chez les vaincus survit au bon combat,
De Munich repris par les Blancs, de la Pologne de Weygand, de Roumanie ou de l’héroïque Buda —
De mon bled à moi c’était plus rare mais il y en avait aussi,
Et dans leurs yeux j’épiais le reflet encore tout récent de Paris.
Dans les petits restaurants moches qui ne servent pas d’alcool,
Ou bien tard dans la nuit chez des copains — Y a un coin pour dormir ? Ça colle —
C’étaient les récits, les engueulades et les rires et l’indéfectible assurance.
« Bien sûr, ça ne marche pas toujours comme on veut, mais quoi, camarades, un peu de patience. »
Je me dois cette justice que chez moi cela n’a pas duré longtemps.
Dès avant la dégénérescence démentielle et le temps
Du mépris avant la lettre : déportations pharaoniques,
Aveux d’innocents, la torture, les balles dans la nuque et les camps d’esclaves et les mensonges de la dialectique,
J’avais, la fibre libertaire ? et puis aussi grâce peut-être,
qu’on me pardonne, à cet esprit — pas lu Hegel — un peu léger qui du moins m’aura sauvé des légèretés du sérieux,
D’avance deviné la honte et claqué la porte du temple encore neuf des faux dieux.
Mais vous, amis, frères plus graves sacrifiés —
Et le plus cher, aujourd’hui encore, reste complice et prisonnier —
Vivants ou morts je vous pleure.
Odeur qui suffoques et navres —
Faux automne, fausse récolte — du charnier de notre histoire et de nos espoirs assassinés plus morts encore que les cadavres.