Les flics qui nous tapaient dedans, les yeux hagards
De ceux qui criaient « à Berlin ! », « vive la Serbie ! », « vive la revanche ! »,
Lui, revoyant soudain le soixante-dix de ses quinze ans et les équipes payées des blouses blanches,
Avec près de lui son fils de vingt ans — moi — au bord déjà de la fournaise,
Il eut, ah qu’il était pâle dans son lit, un étrange malaise.
Comment dans l’instant l’aurais-je su ? et cependant ce fut l’heure, la minute où tout un monde avait fini,
Le monde, pauvre père, de la paix déjà tombé dans l’oubli.
Amis emportés, dispersés, vous pour qui la vie — si peu de temps — mensongère avait débuté comme une danse,
Bientôt vous n’alliez plus être que des visages effacés dans l’irréparable absence,
Bientôt la chance et la malchance de vous survivre, ô pauvres morts,
Nous brûlait comme la colère et mentait comme un remords.
Plus tard, deux années peut-être, longues comme des millénaires,
Je revois la nuit près des Halles, la ville noire, la misère
De toujours et, dans la misère éternelle, l’avènement,
Troupeau sans fin sous les casques, de l’homme d’aujourd’hui, le néant
Tout neuf des robots que nous sommes, porteurs sans le vouloir de la Mauvaise Nouvelle :
Déjà l’horreur plus horrible d’après trente ans hantait le navrant cortège en marche vers la mort industrielle.
Quel dieu, squelette noir au rire qui se tait,
Joue avec nous ainsi qu’avec des osselets ?
Dire non ? Ah bien sûr, mais après que c’est long
Ce mal à endurer qui ne dit pas son nom,
Mal du pays, mal de Paris, en ce temps où le passeport abonde
Petit à petit et de plus en plus aggravé en mal du monde.
Août quatorze.
Ah ! plénitude de l’été, beauté panique de la terre,
Pour vous désormais il n’y a plus que ce nom de cendre :
la guerre.