La Presse Anarchiste

Monatte le pur

L’acte
majeur de la vie de Pierre Monat­te fut sa démis­sion du Comité
con­fédéral de la CGT le 6 sep­tem­bre 1914.

Il
représen­tait les unions départe­men­tales des syndicats
du Rhône et du Gard. Il déclara ne pou­voir accepter la
posi­tion prise par l’organe directeur de la CGT. Il refusa de se
ral­li­er à la poli­tique de guerre et d’union sacrée.

« Si
l’humanité, écrivait-il, doit con­naître un jour
la paix et la lib­erté, au sein des États-Unis du monde,
seul un social­isme plus réel et plus ardent, sur­gis­sant des
désil­lu­sions présentes, trem­pé dans les fleuves
de sang d’aujourd’hui, peut l’y men­er. Ce n’est pas, en tout
cas, les armées des Alliés, non plus que les vieilles
organ­i­sa­tions déshon­orées qui le peuvent.

« C’est
parce que je crois, chers cama­rades du Gard et du Rhône, que la
CGT s’est déshon­orée par son vote du 6 décembre,
que je renonce, non sans tristesse, au man­dat que vous m’avez
confié. »

Pen­dant
que de nom­breux fonc­tion­naires syn­di­caux se ruaient aux sursis
d’appel, Monat­te — qui n’était pas mobil­is­able — fut
récupéré et envoyé au front. Il y resta
durant toutes les hos­til­ités, sou­vent dans les endroits les
plus dan­gereux, au Chemin des Dames notamment.

La
revue qu’il avait fondée en 1909, la Vie ouvrière
— et dont le con­tenu reste iné­galé — ces­sa de
paraître. Elle avait déjà réu­ni un public
remarquable.

A
sa démo­bil­i­sa­tion, tout naturelle­ment Monat­te se déclara
sol­idaire de la Révo­lu­tion russe. Il reprit la pub­li­ca­tion de
la Vie ouvrière sous la forme de jour­nal hebdomadaire.
En 1920, lors de la grande poussée ouvrière, il fut
com­pris dans le pré­ten­du com­plot con­tre la sûreté
de l’État. Les empris­on­nés restèrent près
d’un an en préven­tion pour être finale­ment acquittés.

Monat­te
adhéra au Par­ti com­mu­niste. Mais il n’était pas homme
à sup­port­er l’obéissance pas­sive. Il fut exclu en
1924 avec Ros­mer et Delagarde.

Il
fon­da aus­sitôt sa deux­ième revue : la Révo­lu­tion
pro­lé­tari­enne,
qui paraît tou­jours et mène le
com­bat pour la renais­sance du syn­di­cal­isme et pour l’unité
syn­di­cale. Il dénonça les crimes de Staline.

Pierre
Monat­te sut con­serv­er intacte sa posi­tion pen­dant la Deuxième
Guerre mondiale.

Il
est mort à Vanves, ce 27 juin 1960, sans avoir rien renié
de sa vie militante.

Il
exerçait le méti­er de cor­recteur d’imprimerie. Il n’a
jamais vécu que de son salaire. Son exis­tence fut claire.

Dans
les années som­bres de l’Occupation, ma com­pagne eut, un
jour, une con­ver­sa­tion avec un secré­taire de fédération
appar­tenant à la ten­dance Jouhaux, Milan, des Chapeliers.

Milan
lui dit ceci :

« Il
y a une chose que nous n’avons pas par­don­née à
Monat­te. C’est d’être resté lui-même. Il est
resté ce que nous étions tous avant 1914. Nous avons
tous quelque chose à nous reprocher. Lui est resté pur.
Pour nous, Monat­te est un reproche vivant. »

Monat­te
le Pur n’est plus, mais son sou­venir durera.

Mau­rice
Chambelland


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