La Presse Anarchiste

La poésie

 Au sor­tir de l’exposition Apol­li­naire pré­sen­tée cet hiver à Rome au palais Bar­be­ri­ni, je notais : « L’impression domi­nante — on a vou­lu réunir là des docu­ments sur l’art dont, Romain de nais­sance mais Pari­sien cos­mo­po­lite, Apol­li­naire s’était fait le cham­pion — c’est com­bien ce fameux esprit dit Moderne a vieilli. Bien sûr, ici ou là, un Picas­so, un Matisse. Mais tout le reste, quelle rhé­to­rique. Marie Lau­ren­cin elle-même est, dans ses toiles trop mièvres, moins éter­nelle que dans les poèmes qui la chantent.
« Ayez pitié de nous…», a‑t-il écrit. Car il se dou­tait bien de l’inconsistance de ces engouements.

« Peu importe : il fut Apol­li­naire. L’un des plus beaux phé­no­mènes poétiques. »

Ce peu importe, peut-on l’écrire aus­si de Cen­drars, qui vient de nous quitter ?

La tris­tesse que l’on éprouve, certes, va à l’homme, mais aus­si, égoïs­te­ment à notre pas­sé, dont il fut l’un des points de repère en ce monde détra­qué où sa voix si sou­vent sem­bla devoir dire enfin le sésame qui eût fait s’ouvrir la plus close d’entre toutes les portes : le pré­sent — d’alors.

Mais à force d’interroger les signes, tout se pas­sa comme s’il avait oublié d’en attendre la réponse.

Et sans doute y eut-il une géné­ro­si­té dans ce gas­pillage d’une vie, d’un talent — d’une vir­tua­li­té de génie peut-être.

Repre­nant, à la nou­velle de sa mort, l’un de ses livres qui, sur le moment, nous avaient presque tous le plus éblouis, « La confes­sion de Dan Yak », et n’arrivant pas à y retrou­ver le fré­mis­se­ment qui m’avait fait pen­ser jadis : « S’il le vou­lait, il serait le Picas­so ou le Stra­vins­ky du verbe », je tom­bai en arrêt devant le petit aver­tis­se­ment impri­mé en tête du volume : vou­lant dire que celui-ci fut direc­te­ment par­lé au dic­ta­phone (il était si fier de cette inno­va­tion tel­le­ment tech­nique), Cen­drars avoue : « Ce livre n’a pas été écrit. »

A trente ans de dis­tance, on est ten­té d’en dire autant de toute son œuvre.
Je ne le consigne pas sans tris­tesse ni la crainte de man­quer de piété.
Mais que cette œuvre et que cette vie nous servent au moins de leçon : autre chose est le nou­veau à tout prix, autre chose l’art vrai et la vraie pensée.

J. P. S.

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