La Presse Anarchiste

Lectures

Le
des­sein de Paul Ras­si­nier est de nous faire com­prendre qu’il n’y
a jamais eu au monde, depuis la nais­sance des « civilisations »,
la moindre révo­lu­tion au sens propre du terme. S’appuyant,
et presque fau­drait-il appuyant sur l’étymologie du
mot, Ras­si­nier écrit : « Avec le verbe vol­vere (rou­ler,
faire rou­ler, tour­ner dans un sens), les Latins avaient fait
revol­vere (rou­ler, faire rou­ler, tour­ner en sens inverse
reve­nir, se replier, rétro­gra­der) dont une forme leur avait
don­né : révo­lu­tio (le retour ou le repli, la
rétro­gra­da­tion)». Ain­si donc, une véritable
révo­lu­tion ne serait point, du moins à en croire notre
auteur, un pas en avant mais un retour en arrière,
c’est-à-dire en fin de compte un retour aux ori­gines où
« rien n’appartenant à per­sonne, tout appar­te­nait à
tout le monde ». Et la révo­lu­tion ne sera donc accomplie
que le jour où « tout homme, du fait de sa naissance,
sera consi­dé­ré comme pro­prié­taire, dans
l’indivision, de tous les biens ter­restres (voire désormais
extra-ter­restres!) décou­verts ou à découvrir »
(for­mule dif­fu­sée naguère par le mou­ve­ment de Nou­vel
Âge).

D’aucuns
pour­ront répondre que les évé­ne­ments de Russie
ou de Chine, par exemple, infirment les décla­ra­tions de
Ras­si­nier, puisque de ce côté-là du globe, la
pro­prié­té pri­vée serait appa­rem­ment abo­lie et
les biens natio­naux deve­nus ceux de tout le monde. Voire… Ce n’est
pas ici que nous aurons à démon­trer l’inexactitude de
cette opi­nion : les lec­teurs de Témoins savent à
quoi s’en tenir sur les charmes du para­dis sovié­tique et de
ses succédanés…

Ras­si­nier
dit fort jus­te­ment que « l’émeute, l’insurrection
peuvent conduire au Pou­voir » mais après quoi la
révo­lu­tion reste à faire. Les mino­ri­tés qui
arrivent au Pou­voir, n’ayant aucun inté­rêt à
faire la révo­lu­tion, s’installent de leur mieux, se muent en
nou­velles classes diri­geantes et remettent à plus tard le soin
d’établir le régime où « tout serait à
tout le monde » !

Se
réfé­rant à l’exemple que la Hon­grie nous a
four­ni entre 1953 et 1956, Ras­si­nier estime qu’une « révolte »
ne sau­rait en aucune manière être qua­li­fiée de
« révo­lu­tion », erreur que l’on aurait toujours
com­mise au cours des siècles.

Au
terme de cette lec­ture, une ques­tion se pose : quelle peut être
l’utilité d’un ouvrage de ce genre ? Si la révolution
n’a jamais été faite, est-ce à dire qu’elle
n’est pas pos­sible ? Compte tenu des apti­tudes innées de
l’espèce humaine, nous pen­che­rions volon­tiers pour cette
hypo­thèse. L’ouvrage de Ras­si­nier ne nous condui­rait-il qu’à
médi­ter là-des­sus, il n’aurait pas été
inutile.

R.
P.

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