La Presse Anarchiste

Lectures

 

Il
n’est point de vrai témoin qui ne soit aus­si acteur. Une
luci­di­té, impi­toyable et créa­trice, n’a jamais sauvé
qui­conque de la mort, bien au contraire. Et témoi­gner ne
dis­pense pas non plus de vivre. Le « Témoin » de
Roger Besus (aux Edi­tions Albin Michel), poète tragique
 — ne vit-il pas en poète avant même que d’écrire
des vers ? — et souf­frant — ne va-t-il pas céder aux
assauts de la mala­die ? — nous le prouve une fois de plus.

Livre
fort, roman sans conces­sions que cette der­nière œuvre de
Besus, proche des œuvres d’un Ber­na­nos ou d’un Green. Œuvre
roman­tique sans doute, les per­son­nages igno­rant toute compromission
sociale, toute pré­oc­cu­pa­tion maté­rielle, mais humaine
sur­tout, car ces mêmes per­son­nages ont pour lot une immense
part de rêve et d’amour. L’œuvre est écrite avec
une sorte de fièvre, sans repos ni fai­blesses, où
s’insèrent d’une façon tout à fait
remar­quable des­crip­tions pré­cises (celles, par exemple, de la
Seine des envi­rons d’Elbeuf) et dia­logues pas­sion­nés (ceux
du poète et de ses amis).

Quels
sont donc les amis de ce Témoin, frère d’un Antonin
Artaud plus encore que d’un Arthur Rim­baud ? Gabriel Audrieu,
com­po­si­teur très sen­sible à l’art du poète :
Lévy-Fuchs, juif géné­reux si tendrement
mys­tique ; Fran­çoise, fille de ce der­nier, enfant pleine de
fer­veur qui vivra une excep­tion­nelle aven­ture en barque avec Jean
Dau­vray (tel est le nom du poète-témoin) ;
Camil­la, jeune bonne qui ne connaît que l’amour, dans
l’humiliation comme dans la souf­france ; Lon­gueil médecin
médiocre et bafoué, ne man­quant pour­tant ni de courage
ni de clair­voyance, hon­nête dans sa pro­fes­sion sinon avec
lui-même, que Dau­vray déli­vre­ra ; sa femme, Ida, jeune
bour­geoise ambi­tieuse, folle de son corps, belle jusqu’à la
honte.

Que
ces amis sont donc néces­saires au poète, qui lui
per­mettent de témoi­gner une ultime fois, et par l’œuvre et
par le geste ! Aus­si, ce beau roman, si dif­fé­rent de ceux
que la mode affiche aux vitrines des librai­ries, illustre-t-il à
sou­hait l’épigraphe du livre, extraite d’un texte d’Andrée
Che­did : « Les poètes sont de la cité… Les
poètes ont visage de vivant. Ils assument leur siècle,
ses res­pon­sa­bi­li­tés — mais non ses for­mules. »
N’est-ce
pas là l’idéal auquel veut atteindre Jean Dauvray —
comme tout vrai et grand poète —: assu­mer les
res­pon­sa­bi­li­tés de son siècle et non ses for­mules, son
esprit et non ses mœurs.

Georges
Belle

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