Premier
roman directement écrit en français par cet Ukrainien
d’origine né au lendemain de la guerre civile et qui
commença ses études en URSS et en Pologne, le Sang
du ciel aurait certainement échappé à mon
attention sans les comptes rendus de la rencontre de Majorque pour
l’attribution du prix international des éditeurs. Ce qui
prouve que ce genre d’aréopages a quand même du bon.
Rawicz n’a pas eu le prix, mais la façon dont les Anglais
présents là-bas, spécialement Angus Wilson, ont
parlé de son livre ne pouvait que donner la brûlante
envie de le lire. Je dois dire d’ailleurs qu’au début j’ai
renâclé : encore une histoire de camps d’extermination,
me suis-je dit au bout de quelques pages, rien de plus juste que d’en
perpétuer le souvenir, mais, dans le cauchemar en permanence
que nous vivons il est humain — trop humain — de souhaiter
parfois, quand on lit, de changer d’air. Déjà que « Le
Dernier des justes » n’était pas si digne de tout le
bien qu’on en a dit. Et par-dessus le marché le début
du livre complique assez inutilement son témoignage d’un
effort de transposition surréaliste dont au premier abord, on
a le sentiment qu’on se passerait fort bien, encore qu’il vous
arrive de presque le regretter, ce surréalisme (un peu
diffus), quand il fait place, comme assez souvent, à une
manière appuyée, en somme « expressionniste »
dans le genre, en moins bien, du « Sang noir » de Guilloux.
Puis, peu à peu, les objections tombent. On ne peut plus
s’arracher au cauchemar, et dieu sait si c’en est un ce long
récit de l’extermination méthodique de toute une
communauté juive, dans la haine de laquelle se rejoignent
Allemands vainqueurs et Slaves vaincus. Et dans ce cauchemar
collectif l’hallucinante aventure du personnage central qui arrive
à persuader les maniaques et obsédés qui, Slaves
ou Allemands, ne voient dans son peuple que bétail de
boucherie, que sa circoncision n’a pas été rituelle,
que donc il n’est pas juif, si bien que finalement on lui fait des
excuses et que, rendu à la liberté, il se trouve en
butte à cette chose pour lui devenue la plus anormale : la vie
de tout le monde. Mais un tel ouvrage ne se raconte pas. Comme je le
disais à des amis lorsque, venant de le refermer sur le mot
fin (façon de dire : le mot n’y est pas), j’étais
encore sous l’envoûtement, ce n’est peut-être pas
exactement ce que l’on appelle un « bon » livre, c’est
beaucoup mieux que cela : un grand livre. Inoubliable.
S.