Pour
rendre un dernier hommage au grand cœur, à l’infatigable
activité, à l’héroïsme, face à une
vie tragique, qui ont caractérisé l’épouse —
comme lui lumière internationale de l’anarchisme — de
notre regretté Camille Berneri, nous traduisons ci-après,
de la revue « Volontà », dont elle était
l’animatrice, la nécrologie due à la plume d’Umberto
Marzocchi, son continuateur. Puissent ceux qui ont aimé notre
inoubliable compagne (que ce soit en Italie, en France, en Espagne
combattante, en Grande-Bretagne, en Belgique ou en Allemagne captive)
trouver dans ces lignes un écho de cette vibrante
personnalité.
A.
P.
Giovanna
Caleffi Berneri, qui, depuis le 15 mai 1946, dirigeait la
revue Volontà, n’est plus. Une crise cardiaque,
imprévue et brutale, survenue le 14 mars 1962 à 17 h
45, a tranché cette vie encore jeune et forte. Depuis quelques
jours elle était en traitement à l’hôpital de
Nervi (près de Gênes) pour une affection pleurétique ;
et, l’ayant quitté le même jour, elle se préparait
à rejoindre son domicile, entourée des soins des
camarades Turroni et Chessa qui l’accompagnaient. Les secours
d’urgence des médecins ne réussirent point à
la ramener à la vie.
Notre
chère Giovanna n’est plus. Nous ne reverrons plus ce beau
visage, toujours animé et serein pour accueillir le compagnon
et l’ami ; nous n’entendrons plus cette voix aux tonalités
chaudes, ralenties, dépouillées de toute rudesse : une
poignée de cendres, recueillies dans l’urne funéraire
n°1796 au cimetière de Staglieno à Gênes,
est tout ce qui reste d’elle.
Giovanna
Berneri était née à Gualtieri, province de
Reggio Emilia, le 5 mai 1897. Elle obtint son diplôme
d’institutrice en 1915, et, dès sa nomination obtenue sur
les rôles de 1916, elle enseigna à l’école
primaire de Montecchio dans cette même province. Dès son
adolescence, Giovanna fit preuve d’un caractère et d’une
personnalité peu communes. Sens pratique, indépendance,
volonté de fer, tells furent les dons qui devaient trouver,
avec l’âge, les vicissitudes de la vie, les douloureuses
expériences de la militance anarchiste, leur confirmation, et
constituer les éléments cardinaux d’une personnalité
vraiment exceptionnelle.
Le
3 janvier 1917, Giovanna Caleffi épousa à Gualtieri
l’anarchiste Camillo Berneri, le fils même de celle qui avait
été son professeur de pédagogie à l’Ecole
normale de Reggio Emilia, Adalgisa Fochi, femme de sentiments
élevés et de profonde culture. Le jeune couple se
transporta dans la région florentine. Là, Camillo
poursuivit ses études avec ferveur et passion, et obtint les
lauriers universitaires du philosophe. A partir de 1922, il se voua à
l’enseignement, sans toutefois pouvoir rester plus d’une année
scolaire dans le même poste, en raison de l’hostilité
et des persécutions qu’il rencontrait localement comme
antifasciste et comme anarchiste.
Dès
ce moment, Giovanna fut pour Camillo, non seulement l’épouse
chèrement aimée, ainsi que la mère affectueuse
et vigilante des deux fillettes Maria-Luisa et Giliana, nées
entre temps, mais la compagne idéale qui le soutenait dans
tous les actes de sa vie militante dangereuse et tourmentée.
Elle le secondait dans la noble entreprise du groupe « Non
mollare » (Ne pas céder) ensemble avec Carlo Rosselli,
Fausto Calamandréi, Ernesto Rossi, Umberto Morra di Lavriano.
Et, bien loin de le détourner des dangers de cette action,
elle l’encourageait à intégrer, de façon
cohérente, par ses conduites, la mise en pratique et
l’application de ses idées à lui.
D’une
pérégrination à une autre, ils passèrent
un an à Montepulciano, autant à Cortone, et près
du double à Camerino, Camillo Berneri enseignant comme
professeur de philosophie au lycée de ces diverses villes.
Mais les violences se multipliaient, et d’autre part Camillo ne
pouvait se plier à la loi qui, à partir de 1926,
exigeait des enseignants le serment de fidélité au
régime. C’est ainsi qu’il abandonna tout pour s’expatrier
clandestinement en mai 1926. Au mois d’août de cette même
année, Giovanna et les deux fillettes prenaient à leur
tour le chemin d’un exil illégal, pour rejoindre un époux
et un père chaudement aimé dans le gîte qu’il
avait trouvé pour eux dans la région parisienne, à
Saint-Maur-des-Fossés.
J’avais
fait la connaissance de Berneri, vers 1918, au domicile d’un ami
commun — fils du député socialiste Arturo Caroti —
qui étudiait à Livourne. De cette première
rencontre naquirent les prémices d’un mouvement
révolutionnaire de la jeunesse, qui tint son congrès
inaugural à Parme, en même temps que celui de l’Union
syndicale italienne (centrale syndicale à tendance
anarchiste). Les jeunes eurent bientôt leur journal, « Gioventù
Rossa » (Jeunesse rouge), organe que dirigea Bernardino De
Dominicis, mais pour peu de temps. Les rapports entre Berneri et moi
devinrent plus intimes, et nos rencontres plus fréquentes,
parce que nous avions de plus en plus de choses à faire
ensemble ; mais je ne vis Giovanna que plus tard.
Je
fis sa connaissance en exil, durant l’automne de 1926, lors d’une
visite que je fis à Camillo dans la masure qu’il venant de
louer, en lisière d’une rue fangeuse, à
Saint-Maur-des-Fossés, dans la proche banlieue. Le temps était
froid et pluvieux ; mais, dans la maison, personne ne paraissait s’en
apercevoir. Camillo était absorbé par le classement de
revues qu’il tirait d’une caisse ; les enfants jouaient, rieuses,
dans un coin de la pièce ; Giovanna, le rose au visage, les
manches retroussées, vaquait aux besognes du ménage
comme à un ouvrage familier. A mon entrée, tous se
retournèrent pour me faire fête. Une fois les
présentations faites, Camillo résuma la situation en
peu de mots : « Tu vois, ici tout le monde rit, même si le
ciel est gris et la maison sale. » Et c’était vrai :
quoi qu’il pût arriver, les quatre êtres qui vivaient
entre ces murs croulants, tapissés de moisissures, se seraient
aimés en éternité !
Et
cependant la vie était dure. Le professeur Berneri était
devenu le plus maladroit des aides-maçons et des
garçons-plâtriers ; encore lui fallait-il être
reconnaissant envers le sort — et les amis — qui lui avaient
procuré cette bonne fortune. L’institutrice Giovanna
Berneri, refoulant au fond de son être la noble vocation de
l’enseignement, s’attelait de bon cœur aux plus rebutants
travaux dont elle fût capable. Bref, une fois passées
les premières années de l’inévitable processus
d’assimilation, la forte nature de Giovanna avait pris le dessus ;
et, en 1933, elle ouvrait même un petit commerce de primeurs et
de comestibles, à Paris même, dans le quartier de la
Nation. Ainsi pourvoyait-elle, de façon modeste, mais plus
sûre, aux besoins de la famille.
C’est
à cette époque que Camillo Berneri a donné le
meilleur de soi-même à son œuvre.
De
son chantier au premier étage — où l’on accédait
par un escalier intérieur ouvrant sur l’arrière-boutique
— Camillo collaborait à presque toutes les publications
anarchistes, en toutes langues et en tous pays. Il polémiquait
avec les divers secteurs de l’antifascisme exilé. Il
participait à l’activité spécifique de
l’anarchisme italien ; enfin, il se dévouait à la
tâche spéciale de démasquer les indicateurs et
provocateurs fascistes à l’étranger, nombreux dans
les rangs de l’émigration. C’est l’activité dont
Giovanna devait plus tard rendre compte en la plaçant dans sa
vraie, claire et inextinguible lumière, par une suite
d’articles publiés dans l’hebdomadaire libéral « Il
Mondo » (Le Monde); car elle voulait et pouvait mettre les
choses au point, fût-ce au prix d’un douloureux débat
avec le professeur Salvemini, qu’elle aimait et estimait. Compagne
incomparable, je l’ai vue toute heureuse de la reprise d’activité
de son Camillo dans les domaines où il tendait à se
réaliser — heureuse de pouvoir y contribuer pour sa part, au
prix d’un labeur qui lui imposait de durs sacrifices, de grandes
fatigues, des efforts et des responsabilités de tous ordres !
Mais
les persécutions politiques sont à l’ordre du jour.
Camillo n’est pas épargné par la police française
aux ordres de l’ambassade italienne et du consulat fasciste.
Camillo Berneri est un homme d’action qui donne de sérieuses
inquiétudes. Le mot d’ordre est de lui rendre la vie dure,
par tous les moyens. Mais, dans ces terribles circonstances, Giovanna
est à ses côtés, combative et intelligente, prête
à démêler les trames inavouables, les
machinations louches. La pureté et le don désintéressé
de soi-même, qui caractérisent Camillo, feront le reste.
Les
événements se précipitent. L’Internationale
des Partis communistes, réunie en 1934, décide
d’adopter la tactique de la « main tendue ». Le
travaillisme anglais se fait le tuteur des intérêts de
la couronne ; la France est en proie au Front populaire, qui ne fait
rien pour le peuple mais constitue un admirable somnifère et
plonge le prolétariat français en pleine euphorie
électorale. Le stalinisme exerce une dictature intérieure
et extérieure féroce contre les hommes et les
mouvements authentiquement révolutionnaires.
Le
moment est propice pour une initiative hitléro-mussolinienne
destinée à promouvoir le fascisme en Europe — dont
l’Espagne constitue le terrain le plus favorable et le point de
plus grande vulnérabilité. Et le 18 juillet 1936, c’est
le coup d’Etat des généraux rebelles à la
République, longuement concerté et préparé
par l’axe Berlin-Rome. Mais les deux dictateurs ont compté
sans les anarchistes et les populations catalanes et madrilènes.
Les anarchistes, tout en se faisant décimer, repoussent les
attaques fascistes contre les grandes villes du Nord et du Centre.
Les populations s’insurgent. Le fascisme international subit sa
première défaite, une défaite criante.
Tout
ce qu’il y a au monde de révolutionnaire accourt en Espagne,
devenue la grande espérance de tout l’antifascisme
combattant.
Camillo
est l’un des premiers à partir. Avec Carlo Rosselli, Mario
Angeloni, d’autres encore, il forme, sous l’égide de la
Fédération anarchiste ibérique, la Colonne
italienne Francisco Ascaso (ainsi nommée en l’honneur de
l’anarchiste espagnol de ce nom, tué à l’assaut de
la caserne des Atarasanes). A la mi-août, la colonne est sur la
ligne de feu en Aragon, et menace les positions factieuses de Huesca
et de Saragosse. Camillo, du même coup, est devenu une
personnalité de premier plan dans le camp révolutionnaire.
Les
désaccords entre communistes et anarchistes ne se font pas
attendre ; mais c’est à partir de 1937 que les représentants
des Partis communistes en Espagne (spécialement et
principalement les éléments diplomatiques et militaires
russes) appliqueront à la lettre la politique sanguinaire que
Staline avait inaugurée, en Russie même, par les
fameuses « purges » destructrices des cadres de l’Armée
rouge — et pratiquant, à l’extérieur, l’assassinat
politique organisé des révolutionnaires combattant en
Espagne. La tâche fut confiée à ces mêmes
agents secrets qui, peu après, rappelés par Staline,
devaient payer de leur vie l’obéissance aux ordres reçus.
Le 5 mars au point du jour, Camillo Berneri et Francesco Barbieri,
son adjoint, furent bestialement mis à mort.
Giovanna
Berneri et sa fille Maria-Luisa, aussitôt alertées par
nous, accoururent à Barcelone ; mais sans pouvoir jeter les
yeux une dernière fois sur l’être aimé ; elles
ne rejoignirent le cortège funèbre qu’au moment où
il se dissolvait sur la place d’Espagne — et furent conduites
directement au cimetière.
S’enfermant
dans sa douleur, Giovanna fit retour à Paris, et se dévoua
entièrement, en silence, à l’éducation de ses
deux filles, dont l’aînée, quelque temps après,
s’unit d’amour avec l’anarchiste italo-anglais Vernon Richards
(Vero Ricchioni) et alla vivre à Londres avec lui.
Le
calvaire de Giovanna n’était pas terminé. Lors du
déchaînement de la deuxième guerre mondiale et,
bientôt, de l’invasion par l’armée allemande d’une
grande partie du territoire français commença pour elle
une nouvelle série d’épreuves. Arrêtée,
le 28 octobre 1940, sur l’ordre des autorités consulaires
fascistes de Paris, elle est détenue à la prison de la
Santé, puis au Cherche-Midi, d’où elle sera, en
février 1941, déportée en Allemagne. Jusqu’au
mois de juin, c’est alors une nouvelle période de captivité,
à Trèves. Puis commence une série absurde de
voyages et de détentions dans une douzaine de localités
allemandes, puis à Innsbruck en Autriche, où elle
séjourne encore une quinzaine de jours, en attendant d’être
livrée à la police italienne.
Sa
soudaine arrestation à Paris avait profondément frappé
Giovanna qui demeura, pendant de longs mois, sans aucune nouvelle de
sa fille cadette Giliana, étudiante toute jeune encore et
restée sans appui dans une ville envahie. Ce quelle éprouvait,
c’était bien moins les souffrances physiques d’une dure
captivité que l’isolement moral, souffrance de chaque heure
à laquelle résiste si difficilement un cœur de mère.
De
la geôle d’Innsbruck, Giovanna fut transférée à
la maison d’arrêt de Reggio Emilia, pour être jugée
par la commission provinciale chargée de la police de sûreté.
Elle fut condamnée, le 25 août 1941, à une année
de domicile forcé « pour avoir déployé à
l’étranger une activité subversive la caractérisant
comme un élément dangereux pour l’ordre et la
sécurité de l’Etat ». En octobre 1941, après
un an entier de captivité en divers lieux, elle sortait de la
prison préventive de Reggio Emilia pour gagner, selon la
décision de la justice administrative italienne, la bourgade
de Lacedonia, dans la province d’Avellino. Ayant achevé son
année de confinement, elle devait obligatoirement rejoindre
son pays natal ; mais, craignant d’y encourir de nouvelles
persécutions, ou d’être de nouveau arrêtée,
Giovanna s’éloigna de Gualtieri, et vécut
clandestinement en Italie méridionale, jusqu’en automne
1943, date de l’arrivée en Sicile des forces alliées.
La
voilà donc buvant à longs traits l’air de la liberté
recouvrée mais elle n’est pas femme à rester
longtemps inoccupée. Il lui reste une mission à
accomplir, qu’elle s’impose sévèrement et qu’elle
poursuivra jusqu’au bout, avec autant de conscience et de
générosité que de cohérence inflexible :
elle continuera l’œuvre de Camillo, en le réincarnant en
soi. Elle ne tarde guère à révéler, à
nos yeux à tous, les dons précieux et les acquisitions
multiples d’une anarchiste dans toute la force du terme. Au
mouvement qui se reconstitue, elle apporte cette patiente ténacité,
ce tact exquis, et ce sens des réalités, qui fécondent
toutes ses initiatives.
Du
« Convegno » de Naples — tenu les 10 et 11 septembre
1944, et où sont jetées les bases d’une reprise
générale des activités anarchistes en Italie —
au premier Congrès organique, tenu à Carrare du 15 au
20 septembre 1945, et jusqu’au plus récent congrès
celui de Rosignano Solvay, du 1er au 4 juin 1961, Giovanna Berneri
sera de toutes les rencontres et de toutes les activités
organisées du mouvement libertaire italien. Elle fait partie
de la délégation italienne à la Conférence
internationale anarchiste de Paris du 16 mai 1948 ; et, au Congrès
qui se déroule à Senigallia, du 1er au 4 novembre, elle
accepte de faire partie de la commission de correspondance, organe de
liaison de la Fédération anarchiste italienne. Ce fut
au cours de quatre années de travail commun (de 1957 à
1961) que les camarades Chessa, Caviglia, Bacciarelli et moi, nous
fûmes à même d’apprécier les qualités
vraiment exceptionnelles de Giovanna, et l’optimisme plein de
vivacité qui s’alliait chez elle à une ponctualité
exemplaire.
Lors
de la reprise des activités anarchistes, Giovanna donna le
jour à une première publication : « Rivoluzione
Libertaria », qui parut à Naples du 30 juin au 16
novembre 1944. Cette publication céda la place à
« Volontà », de format journal, du 1er juillet 1945
jusqu’au 15 mai 1946. « Volontà » de format revue
lui succéda du 1er juillet 1946 jusqu’à maintenant,
mois après mois, sans aucune interruption, durant seize ans de
vie intense et largement productive. Giovanna s’occupait, en outre,
des éditions « Rivoluzione Libertaria », devenues
ensuite la « Collana Porro» ; enfin, elle collaborait, par
de sérieux articles de fond, de contenu humaniste et
anarchiste, au journal quotidien socialiste « Il Lavoro »
de Gênes, ainsi qu’à l’hebdomadaire à grand
tirage « Il Mondo ». C’est à son opuscule « Il
Controllo delle Nascite » (le contrôle des naissances), et
au procès qui en suivit la publication, qu’on doit la
création en Italie d’un mouvement qui défend et
diffuse les idées et les méthodes du « birth
control ».
Puis
ce fut la fin tragique de sa fille aînée, Maria-Luisa
(qui s’était fait connaître, dans le mouvement
anarchiste de langue anglaise, par ses dons et ses écrits de
valeur indiscutée). Après cette perte [[Perte d’autant plus cruelle que Maria-Luisa était morte en couches, emportant ainsi hors de ce monde, deuil si particulièrement sensible à des âmes italiennes, l’enfant qu’elle attendait. (T.)]], advenue à
Londres en avril 1949, Giovanna désira donner vie à ce
qui avait toujours été chez elle une vocation, mais
pour laquelle étaient nécessaires des locaux, du temps
et de l’argent : trois choses, hélas, que la pauvre Giovanna
ne possédait point. Mais le rêve était trop beau !
Avoir autour de soi, dans la vie, des enfants à aider et à
élever, ne fût-ce que pour quelques semaines chaque été :
désir si intense et si profond en elle qu’elle se mit
allègrement à l’œuvre, sollicitant l’aide des
copains et des amis ; et c’est ainsi que, pendant onze années,
avec une interruption de trois ans due aux nécessités
du déménagement, s’ouvrit la « Casa Serena »
(maison joyeuse), d’abord à Sorrente, puis à Massa
Carrara ; toujours avec l’aide de l’inséparable amie et
compagne Maria Bibbi (de 1951 à 1962). Telle fut la « Colonia
Maria-Luisa Berneri », dont Giovanna fut l’âme, gagnant
ainsi l’amour des petits qui l’adoraient, la reconnaissance de
leurs parents et l’affection de tous.
Giovanna
Berneri fut toujours fidèle à elle-même. Sa
longue journée d’anarchiste militante ne fut jamais troublée
par des crises de conscience ; le courant de pensée qui était
le sien, et qu’elle a exprimé avec une méthodique
régularité dans les annales de cette revue (Volontà),
fut ample, exemplaire, lumineux. Anarchiste sans adjectif, comme elle
aimait à se définir, elle ne se livra jamais à
l’individualisme capricieux et nuisible, pas plus qu’elle ne se
laissa tenter par un anarchisme ouvriériste à l’excès.
Vivant dans la réalité, Giovanna était
naturellement portée vers l’étude des problèmes
sociaux et vers la recherche des formes ou des moyens les plus aptes
à la régénération de l’homme, faisant
de l’un et de l’autre un tout harmonieux, sur le plan de
l’éducation et de la révolution, où il n’est
pas de place pour l’abstrait, ni pour l’absurde.
Aujourd’hui,
le cœur et les sentiments sont encore convulsés ; et nous ne
pouvons pas même espérer combler, à sa juste
mesure, le vide immense causé par l’irréparable
perte. Nous devons faire effort pour que notre cerveau et notre
conscience retrouvent leur équilibre — si nécessaire
pour imprimer au mouvement des idées, des hommes et des choses
le rythme, l’intelligence et l’impulsion que Giovanna Berneri
vivante a su conférer, pendant seize ans, à la revue
qui en prolongera l’esprit et la mémoire.
Umberto
Marzocchi
Volontà
(avril 1962)