La Presse Anarchiste

Haut les cœurs !

 

La
petite cloche que nous met­tons en branle, ne son­ne­ra pas le tocsin
sans néces­si­té. Son ambi­tion, c’est d’être la
voix qui tra­verse l’air frais du matin, avant toutes les voix de la
plaine, pour saluer l’au­rore, pour dire aux hommes :
« Réveillez-vous ! » Pour dire aux âmes :
« Relevez-vous ! »

La
corde est solide, le métal est plein, le son­neur ne se
fati­gue­ra pas aisé­ment ; nous son­ne­ront long­temps. Est-il vrai
que les cloches attirent la foudre ? Nous ne dési­rons pas
l’é­prou­ver, mais nous en cou­rons le risque ; et si l’orage
vient, nous met­trons nos deux mains à la corde.

Puis,
quand nous ver­rons les endor­meurs, les prêtres et les pontifes,
les maîtres de cha­pelles et les thu­ri­fé­raires du
socia­lisme, vou­loir ser­mon­ner le Peuple et le replon­ger dans sa
som­no­lence, c’est par un carillon infer­nal que nous cou­vri­rons les
pré­di­ca­tions de ces mal­fai­teurs et de ces ambitieux.

Enfin,
le jour où nous aper­ce­vrons l’ho­ri­zon rouge, le jour où
la colère mon­te­ra au front des oppri­més et arme­ra le
poing des serfs de la glèbe et des esclaves de l’u­sine, ah !
oui, ce jour-là, nous le son­ne­rons har­di­ment, joyeu­se­ment, le
Toc­sin, nous la frap­pe­rons de toute la force de nos biceps, la
cloche que les tra­vailleurs veulent bien nous confier et qui ne
tom­be­ra jamais, celle-là, entre les mains de l’ennemi.

Dies
iræ, dies illa!..

Et,
peut-être bien que le branle-bas de com­bat se trans­for­me­ra en
glas funebre : le glas son­né par les obsèques du vieux
monde !

De
profundis !

Mais,
dès que le fos­soyeur aura jeté la dernière
pel­le­té de terre sur le cer­cueil du der­nier des accapareurs,
dès que la saine rosée cou­vri­ra la tombe sinistre, dès
que l’a­louette gau­loise file­ra en piquant droit vers le soleil, les
citoyennes plan­te­ront sur leurs coiffes la riante cocarde verte,
déta­chée vivante d’un arbre gon­flé de sève,
et la petite cloche son­ne­ra gaie­ment le matin du jour nouveau : 

Digue !
Digue ! Digue !

Digue !
Digue ! Don!…

Le
Toc­sin veut être et sera l’or­gane de tous les
socia­listes indé­pen­dants, sin­cères et désintéressés
qui pour­suivent le rem­pla­ce­ment de la société
bour­geoise actuelle, basée sur l’au­to­ri­té, la
cen­tra­li­sa­tion, le gou­ver­ne­men­ta­lisme et la hié­rar­chie, par la
libre orga­ni­sa­tion de la socié­té pro­duc­tive, librement
et éga­li­tai­re­ment constituée.

Il
sera la tri­bune ouverte de tous ceux qui, las de tirer les mar­rons du
feu pour de nou­veaux maîtres, n’ont plus foi qu’au Peuple, à
ce sou­ve­rain en lisière et en tutelle, qui, depuis trop
long­temps, règne sans gou­ver­ner, et à qui c’est un
devoir de rendre, avec la conscience de son droit et de sa force,
l’exer­cice per­son­nel et sans inter­mé­diaire de sa souveraineté.

C’est
assez dire que nous ne ser­vi­rons pas les des­seins de ces politiciens
dégui­sés qui, fai­sant de la révo­lu­tion avec des
rémi­nis­cences ou des for­mules dog­ma­tiques, parlent d’organiser
le qua­trième Etat.

La
Révo­lu­tion ne peut consis­ter, en effet, à substituer
une classe à une autre, ni à intro­ni­ser un quatrième
Etat, ce qui ne ferai qu’ou­vrir une porte, bien refer­mée, sans
doute, avec toute la bru­ta­li­té de la vio­lence, par l’autorité
nou­velle, aux récla­ma­tions du Cin­quième Etat, en
atten­dant une convul­sion pos­té­rieure, per­met­tant de se faire
jour et jus­tice aux doléances du Sixième Etat, et ainsi
de suite, jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles !

Ce
que se pro­pose la Révo­lu­tion, ce n’est pas la concur­rence des
classes, c’est leur abo­li­tion abso­lue ; c’est la démo­li­tion des
ins­ti­tu­tions et des lois qui écrasent l’indépendance
des citoyens, et les acculent à la ser­vi­tude, à
l’i­gno­rance, à la misère, en engrais­sant de leurs
sueurs et de leurs larmes, un trou­peau d’oi­sifs, para­sites et
mono­po­leurs ; c’est l’or­ga­ni­sa­tion d’une asso­cia­tion spontanée
d’af­fran­chir, où per­sonne ne pour­ra plus exploi­ter ni dominer
per­sonne, où le tra­vail étant la loi, il n’y aura de
place que pour les êtres utiles,; où ne figu­re­ront plus
ni fonc­tion­naires hié­rar­chi­sés, tra­cas­siers et tout
puis­sants, ni juges inamo­vibles et irres­pon­sables, ni policiers
inso­lents, ni légis­la­teurs omni­scients et infaillibles, ni
spé­cu­la­teurs éhon­tés, ni Tiers-Etat, nu
Qua­trième Etat, mais où l’on ne comp­te­ra plus qu’une
seule et unique caté­go­rie de pro­duc­teurs libres, égaux,
soli­daires, maîtres de leur conscience et de leur tra­vail, et
sem­bla­ble­ment garan­tis contre les risques de la vie!…

Uto­pie !
crie-t-on. Folie ! hurle-t-on.

Eh
bien, le Toc­sin, où toutes les théories
socia­listes révo­lu­tion­naires peuvent être développées,
se charge de démon­trer aux plus réac­tion­naires, de
faire com­prendre aux plus obtus, que l’A­nar­chie n’est pas une utopie,
mais l’a­ve­nir de l’Humanité !

H.
Ferragus

La Presse Anarchiste