Le 20 février 1970,
place Clichy (Paris), nous avons brûlé publiquement
notre livret militaire en lisant une lettre adressée au
ministre de la Défense nationale, en présence de
nombreux amis et d’une foule sympathisante, tandis que six
camarades étaient enchaînés aux grilles du métro
en signe de solidarité.
La
police, surprise par ce genre de manifestation, a eu un certain temps
d’hésitation avant de nous emmener pour une simple
vérification d’identité.
Notre manifestation s’est
déroulée dans le cadre d’une semaine d’action
organisée par le « Comité Martinez » de
Bordeaux, notre Comité de soutien aux objecteurs de conscience
et d’autres comités de province. Dans le même temps,
des actions avaient lieu à Bordeaux, et un livret était
brûlé à Strasbourg.
Nous avons choisi
l’autodafé plutôt que le renvoi qui nous semble avoir
moins de portée. Ce geste a l’avantage de se faire
publiquement et donc d’être repris par la presse.
Acte radical, il évite
également de perpétuels renvois du livret entre le
ministère et l’auteur. De plus, il s’agit pour nous non
seulement de refuser un livret personnel, mais de contester
l’existence des livrets.
Notre action est le
résultat d’un travail de groupe où chacun a pris ses
responsabilités pour que cette protestation ait un sens.
Il est important que nous
ayons fait cela au grand jour, avec notamment la lettre ouverte au
ministre expliquant les motivations qui justifient notre position. De
plus, notre position était une non-collaboration avec la
police, ceci sans avoir rien à cacher.
Tant par son déroulement
que par son style et son fond, notre action a été, je
crois, sans équivoque du point de vue de la non-violence.
Seule une non-collaboration
totale vis-à-vis de la politique militaire pourra arrêter
cette dernière. Nous espérons, s’il y a jugement, que
le problème de fond ne sera pas éludé.
Maurice Montet
* *
Lettre
autodafé
Paris,
le 20 février 1970
Monsieur le Ministre de
la Défense nationale
Fidèles à
la non-violence qui nous anime, opposés à toutes
guerres et à tous recours en la violence, conscients que ces
méthodes ne peuvent conduire qu’à des états
d’injustice, nous avons choisi la voie de l’objection de
conscience.
Nous concrétisons
aujourd’hui notre position par l’autodafé de notre livret
militaire affirmant ainsi notre désolidarisation envers la
politique militaire qui est menée en notre nom et dans
laquelle nous sommes compromis malgré nous.
Solidaires
de ceux qui accomplissent ce même geste, de ceux qui refusent
de payer la part de leurs impôts destinée à
l’armée et à ceux qui refusent de servir l’armée,
nous vous informons que nous accentuons aujourd’hui notre action
sur les points suivants :
— Opposition
à l’intervention militaire française au Tchad : après
les sombres souvenirs des guerres d’Indochine et d’Algérie,
nous ne pouvons accepter que des hommes soient appelés à
se battre pour soutenir une politique néo-coloniale en
Afrique ;
— Opposition
au système de défense nationale qui assujettit tous les
citoyens à l’armée, peut amener les appelés à
jouer un rôle répressif et abandonne la distinction
entre le temps de guerre et le temps de paix ;
— Opposition
au projet de réforme du service national qui sous des
apparences civiles cache son véritable rôle de contrôle
du chômage et d’embrigadement de la jeunesse ;
— Soutien
aux insoumis qui refusent d’aller à l’armée
notamment lorsque celle-ci les envoie au Tchad.
De
plus, nous condamnons le gouvernement dans son attitude quant à
sa politique nucléaire qui nous engage tous malgré les
cris d’alarme des savants du monde entier et quant à sa
politique mercantile faisant de la France un des principaux marchands
de canons, entretenant ainsi des conflits dans le monde entier,
l’apartheid en Afrique du Sud, retardant la véritable
libération de nombreux pays en voie de développement.
Cette politique risque de mener tôt ou tard à un
conflit généralisé ou à une
situation semblable à celle du Biafra devant laquelle on
s’avouera alors impuissant.
Citoyens du Monde,
conscients que la politique de militarisation ne peut qu’accentuer
une situation où la violence règne par ses conflits et
ses injustices sociales, nous nous sommes engagés dans la
non-violence qui est le seul combat possible pour l’avènement
de la justice. Recevez, Monsieur le Ministre, nos salutations
distinguées.
M. Hanniet, M. Montet,
B. Moreau