La Presse Anarchiste

Des anarchistes catholiques aux États-Unis

Le but général
du « Mou­ve­ment du tra­vailleur catho­lique » est de réaliser
dans l’individu et dans la socié­té l’enseignement
du Christ. En pre­mier lieu, il faut pro­cé­der à
l’analyse de la socié­té où nous vivons et voir
si, oui ou non, nous avons éta­bli un ordre cor­res­pon­dant aux
exi­gences de cha­ri­té et de jus­tice de Jésus. Or, cette
socié­té, capi­ta­liste et bour­geoise, n’est ni juste ni
cha­ri­table. En effet :

L’ÉCONOMIE
est diri­gée par la pro­fit, et la pro­duc­tion crée les
besoins. Un ordre meilleur pour­voi­rait aux besoins de tous, et seuls
les besoins réels déter­mi­ne­raient la production.
Aujourd’hui, une classe non pro­duc­tive vit du tra­vail d’une
autre, et le tra­vailleur perd le pro­fit de son labeur.

HUMAINEMENT la société
capi­ta­liste refuse de prendre l’homme en considération
autre­ment que comme fac­teur éco­no­mique. Il est l’instrument
du pro­fit, d’où l’esclavage de son tra­vail. Dans une
socié­té meilleure, il fau­dra trou­ver un tra­vail en
accord avec les valeurs humaines.

MORALEMENT,
notre socié­té est condam­nable, car elle crée un
conflit de classes inso­luble ; l’employeur cherche
a obte­nir
un tra­vail aus­si bon mar­ché que pos­sible alors que l’ouvrier
veut le vendre aus­si cher que pos­sible. Ce conflit ne disparaîtra
qu’avec la fin du sala­riat. Pour réa­li­ser cette société
meilleure, le mou­ve­ment du « Catho­lic Wor­ker » recommande :

 — Un
refus total de l’ordre social actuel et une révo­lu­tion non
vio­lente pour éta­blir un ordre en accord avec les valeurs
chré­tiennes. Cela ne peut être acquis que par l’action
directe, car les moyens poli­tiques ont fait faillite. « Nous
recom­man­dons une prise de res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle par
laquelle nous nous char­geons nous-mêmes de trans­for­mer nos
condi­tions de vie dans la mesure où nous sommes capables de le
faire. » En ouvrant leurs « mai­sons hospitalières »,
les « CW » prennent soin de ceux qui sont dans le besoin au
lieu de les pla­cer dans des ins­ti­tu­tions d’Etat ; non pour remédier
aux fai­blesses du sys­tème, mais parce que la responsabilité
doit tou­jours être par­ta­gée et que l’appel à
l’aide venant d’un frère humain trans­cende toute
consi­dé­ra­tion économique.

 — Le
refus du sys­tème capi­ta­liste en favo­ri­sant une économie
dis­tri­bu­tive où les uns tra­vaillent aux champs parce qu’ils
en ont la voca­tion et les autres dans la cité. Ain­si, on peut
se pas­ser de l’Etat grâce à une économie
décen­tra­li­sée de carac­tère fédéraliste,
telle qu’on la trou­vait durant cer­taines périodes précédant
l’établissement des Etats.

 — La reprise par les
tra­vailleurs des moyens de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion, mais non la
natio­na­li­sa­tion de ces moyens. Ceci sera l’œuvre de coopératives
décen­tra­li­sées, et réa­li­sées grâce
à la dis­pa­ri­tion du patro­nat. C’est la révo­lu­tion par
le bas, et non par le haut comme dans les révolutions
poli­tiques. La pro­prié­té devien­dra propriété
de tous et un pas sera fait vers le com­mu­nisme en accord avec les
leçons du Christ : déta­che­ment des biens matériels,
donc pro­prié­té en commun.

 — La
fra­ter­ni­té et l’égalité de tous les hommes
entre eux, qui ont le même père, Dieu. Le racisme est un
blas­phème dans toutes ses formes, car Dieu a créé
l’homme à son image et il offre la rédemp­tion à
tous. L’homme vient à Dieu libre­ment, ou bien il n’y vient
pas, ce n’est l’affaire de per­sonne ni d’aucune ins­ti­tu­tion que
d’imposer la foi à qui que ce soit. Toute persécution
envers un peuple est un péché et un crime contre la
liberté.

 — La
révo­lu­tion, en nous-mêmes aus­si bien que dans la
socié­té, mais la révo­lu­tion paci­fique. Sinon, la
vio­lence usant de moyens mau­vais, le but, atteint sera mau­vais, et
mène­ra à une nou­velle tyran­nie. Le Christ a
cer­tai­ne­ment ensei­gné la non-vio­lence. Aus­si, pour lutter
contre l’Etat et ses injus­tices, il faut uti­li­ser des armes
spi­ri­tuelles et la non-coopé­ra­tion. Les méthodes
recom­man­dées dans ce but sont :
refus de payer
les impôts, de par­ti­ci­per à la défense civile, de
se pré­sen­ter au ser­vice mili­taire, les grèves non
vio­lentes, le refus de col­la­bo­rer avec le système.

* *

Le mou­ve­ment « CW »
ne veut pas être jugé à ses suc­cès. La
faillite semble sou­vent le mena­cer ; mais les valeurs demeurent, qui
résistent au temps et qui exigent de cha­cun un effort
per­son­nel. Les anar­chistes catho­liques veulent res­ter fidèles
à ces valeurs, non pour le suc­cès qu’elles apportent
(bien qu’ils sou­haitent les voir un jour vic­to­rieuses) mais parce
qu’elles sont seules vraies.

Un
jour­nal men­suel, « The Catho­lic
Wor­ker » (36
East First St, New-York, NY 10 003.
Prix
de l’abonnement pour l’étranger : 30 cents par an) est le
porte-parole du mou­ve­ment. C’est Doro­thy Day qui l’a

fon­dé (avec Peter Mau­rin d’origine française
et aujourd’hui décédé).

Les
CW ont ouvert, au cours des ans
une tren­taine de
« mai­sons d’accueil. » où ils hébergent et
nour­rissent un nombre incroyable de misé­reux. D’autres ont
fon­dé des petites com­mu­nau­tés où le tra­vail de
la terre alterne avec des confé­rences, des retraites, des
prières.

Tous
les res­pon­sables ont fait de la pri­son : pour manifestations
paci­fistes, anti­ra­cistes, contre la peine de mort, pour les droits
civiques, etc. Ammon Hen­na­cy, qui vient de décé­der, et
qui fut pen­dant quelques années un col­la­bo­ra­teur assi­du de
Doro­thy
Day, a consi­gné dans un livre de
sou­ve­nirs [[« The Book of Ammon »,
the Catho­lic Wor­ker, NY, plu­sieurs édi­tions successives.]]
un grand nombre de ces événements.

Comme il a par­cou­ru les
Etats-Unis en tous sens pour faire des confé­rences et des
adeptes, il a aus­si pu visi­ter de nom­breuses communautés
paci­fistes amé­ri­caines dont on trou­ve­ra de brèves
des­crip­tions dans le même ouvrage : Dou­kho­bors, Mormons,
Témoins de Jého­vah, Molo­kans, Single Tax, Bruderhof,
Hut­té­rites, etc.

Il est difficile
d’évaluer le nombre des adhé­rents au mou­ve­ment des
Tra­vailleurs catho­liques amé­ri­cains ; mais on sait qu’ils
viennent de tous les milieux et de toutes les classes sociales, et
l’on compte aus­si, par­mi eux, des prêtres et des religieuses,
qui se disent anarchistes.

Marie-Chr. Mikhai­lov

La Presse Anarchiste