La Presse Anarchiste

L’objection de conscience en Belgique

 

Le
nou­veau statut

Le
sta­tut des objec­teurs de conscience est réglé par la
loi du 3 juin 1964, amen­dée par la loi du 22 jan­vier 1969
(« Moni­teur belge » du 1er février 1969).

Il
pré­voit deux caté­go­ries d’objecteurs :

 — d’une
part, l’objecteur par­tiel, effec­tuant un ser­vice mili­taire non armé
d’une période égale à celle du mili­cien. Il
peut effec­tuer des rap­pels éventuels.

 — d’autre
part, l’objecteur radi­cal qui doit effec­tuer un temps de service
civil de deux ans, dans lequel il accomplira :

a) soit
des tâches d’utilité publique, en Bel­gique. Il
dépen­dra du minis­tère de l’Intérieur pour des
tra­vaux dans des orga­nismes à carac­tère social,
édu­ca­tif ou culturel ;

b) soit,
dans le cadre de la loi du 21 juin 1961 sur l’assistance technique,
il peut par­tir deux ans dans le tiers monde, ou invo­quer la loi
com­plé­men­taire du 24 sep­tembre 1964 sur le volon­ta­riat de la
coopération.

Pour ces
deux cas de ser­vice civil, les objec­teurs sont ensuite exemptés
de tout rap­pel en temps de paix.

Ces nou­velles dispositions
légales peuvent être consi­dé­rées comme une
vic­toire des forces paci­fistes en Bel­gique. Mais il est évident
aus­si que l’obtention du sta­tut cor­res­pond à une nécessité
de l’Etat pour réor­ga­ni­ser son poten­tiel militaire.

L’existence d’une armée
de métier effi­cace est un des buts plus ou moins avoués
de l’état-major mili­taire belge.

Ain­si,
étran­ge­ment, le sta­tut des objec­teurs de conscience sert les
inté­rêts immé­diats de la bureau­cra­tie dirigeante :
éli­mi­ner les gêneurs, les poètes, les
contes­ta­taires du manie­ment des armes tout en gar­dant un contrôle
étroit sur leurs acti­vi­tés par l’instauration du
ser­vice civil.

Pour­tant,
ces pro­jets de réformes mili­taires sont entravés
actuel­le­ment par les exi­gences nou­velles de l’Otan : ren­for­cer la
pré­sence mili­taire occi­den­tale en Alle­magne, suite au départ
de nom­breux déta­che­ments US pour le Vietnam.

Anti­mi­li­ta­risme
et pers­pec­tive révolutionnaire

Accep­ter le service
mili­taire en Bel­gique, c’est donc consciem­ment faire le jeu de
l’impérialisme amé­ri­cain au Viet­nam et permettre,
mal­gré les pseu­do-noyau­tages, les sabo­tages hypothétiques
accom­plis par des mili­tants révo­lu­tion­naires non repérés
par la BSR le ren­for­ce­ment du poten­tiel mili­taire occi­den­tal en
Alle­magne de l’Ouest, favo­ri­sant ain­si l’escalade de l’agression
impé­ria­liste au Vietnam.

Dès
lors, il est évident que le refus du ser­vice militaire
s’inscrit réel­le­ment dans une pers­pec­tive révolutionnaire :
la non-col­la­bo­ra­tion au mili­ta­risme per­met­tant de mener une lutte
beau­coup plus effi­ciente contre les struc­tures répres­sives de
la socié­té bour­geoise. Cepen­dant, la légalisation
du sta­tut des objec­teurs de conscience, bien qu’étant un
pro­grès indé­niable pour l’action des objecteurs,
per­met au légis­la­teur de régle­men­ter les rai­sons de
conscience, et par-là l’Etat empiète une nouvelle
fois sur un droit fon­da­men­tal de l’homme : sa liber­té de
conscience et de raison.

Ser­vice
civil :
récu­pé­ra­tion des OC en faveur de
l’État

Pour les
mili­tants anar­chistes, le sta­tut actuel des objec­teurs préconisant
le ser­vice civil reste donc entiè­re­ment équivoque.
Notre objec­tif essen­tiel res­te­ra tou­jours la dis­pa­ri­tion complète
du mili­ta­risme, sou­tien de tout Etat et de tout capitalisme
engen­drant néces­sai­re­ment le tota­li­ta­risme (USA, URSS,
Espagne, Por­tu­gal, Grèce, Cuba, etc.). Dès lors, il
devient déli­cat de col­la­bo­rer, comme le demande le sta­tut, à
des orga­nismes socio-édu­ca­tifs inté­grés à
la poli­tique cultu­relle de l’Etat bour­geois, orga­nismes qui ne
contestent nul­le­ment, de par leur carac­tère officiel,
l’existence du mili­ta­risme et de la poli­tique réactionnaire
de l’Etat en matière de culture : censure.

De plus, le cha­peau­tage du
minis­tère de l’Intérieur indique clai­re­ment les
limites dans les­quelles s’inscrit le ser­vice civil : une sage
col­la­bo­ra­tion à la poli­tique d’Etat, une mise à
dis­po­ni­bi­li­té qua­si per­ma­nente de notre jeu­nesse en faveur
d’un minis­tère ayant la res­pon­sa­bi­li­té de la police
et de la gen­dar­me­rie pour le main­tien de l’ordre bourgeois.

L’instauration du service
civil per­met à l’Etat mili­ta­riste de conti­nuer à
l’aise sa poli­tique d’armement, les paci­fistes ayant obtenu
satis­fac­tion, ils pour­ront s’occuper de l’organisation d’un
ser­vice civil, dans le cadre de la conscrip­tion généralisée,
à condi­tion de ne plus mettre celle-ci en ques­tion puisque le
ser­vice civil pour exis­ter doit béné­fi­cier également
de cette mobi­li­sa­tion de la jeu­nesse. Ain­si, le ser­vice civil,
ins­tru­ment de paix, devient un paravent à la conscription
militaire.

L’objecteur
de conscience anarchiste

Pou­vons-nous
admettre, en tant qu’objecteurs anar­chistes, refu­sant le
mili­ta­risme de l’Etat, d’être obli­gés de ser­vir les
inté­rêts de ce même Etat, même sous l’égide
d’un autre minis­tère que celui de la Défense
nationale ?

Cette posi­tion défendue
par cer­tains paci­fistes, nous paraît incom­pa­tible avec l’idéal
liber­taire qui est le nôtre.

Le socia­lisme libertaire
pré­co­nise la dis­pa­ri­tion de l’Etat comme préalable
indis­pen­sable à l’instauration d’une liberté
effec­tive pour tous, basée sur la responsabilité
mutuelle engen­drant la démo­cra­tie directe, le fédéralisme
et l’autogestion éco­no­mique sans aucun intermédiaire
bureaucratique.

Le
col­la­bo­ra­tion­nisme avec l’Etat, par l’intermédiaire du
ser­vice civil, ne peut ren­for­cer que l’emprise éta­tique sur
l’action des objec­teurs, sur­tout que le carac­tère répressif
du ser­vice civil s’est révé­lé net­te­ment depuis
que cer­tains objec­teurs ont déli­bé­ré­ment saboté
leur par­ti­ci­pa­tion obli­ga­toire à cer­tains orga­nismes culturels
bour­geois où ils étaient affectés.

Pour­quoi
aus­si par­ler de « ser­vice » alors que l’obligation est
mani­feste, alors que, pour nous, ser­vir signi­fie avant tout
spon­ta­néi­té, dés­in­té­res­se­ment, liberté
d’action et de pensée.

Le ser­vice civil actuel est
tout le contraire. Il impose à l’objecteur de conscience,
pen­dant deux ans, l’éloignement de ses véritables
acti­vi­tés au seul pro­fit de la poli­tique d’Etat. Il empêche
toute véri­table créa­tion de la part de l’objecteur en
ser­vice civil puisqu’il doit accep­ter les affec­ta­tions proposées
par le ministère.

Notre oppo­si­tion au service
civil est donc com­plète. La lutte anti­mi­li­ta­riste ne peut se
four­voyer sur un tel ter­rain. Il faut refu­ser l’intervention de
l’Etat dans l’occupation nor­male de notre vie.

Il est impos­sible de croire
que l’Etat pré­pa­re­rait la paix par le ser­vice civil, alors
que par sa poli­tique d’armement aus­si bien que par son sou­tien au
sys­tème capi­ta­liste, il contri­bue à main­te­nir la
situa­tion actuelle : l’injustice sociale, l’exploitation
éco­no­mique des tra­vailleurs, l’illusion de la démocratie
par la foire parlementaire.

Mais alors, que reste-t-il
à l’objecteur anarchiste ?

Le refus
des com­pro­mis­sions mène néces­sai­re­ment au radicalisme.
La résis­tance aux struc­tures répres­sives mises en place
par la bour­geoi­sie, le cler­gé et l’armée pour
enca­drer la jeu­nesse (ser­vice mili­taire — ser­vice civil) est
néces­saire pour mener une véri­table lutte
révo­lu­tion­naire. Bien que nous pen­sions que la transformation
radi­cale de notre socié­té ne puisse se faire que par un
mou­ve­ment révo­lu­tion­naire du pro­lé­ta­riat contre le
sys­tème répres­sif exis­tant : capi­ta­lisme, Etat, armée,
Église, ensei­gne­ment, par­tis, syn­di­cats, les objecteurs
anar­chistes peuvent jouer un rôle d’appoint, de catalyseur
aus­si, dans la résis­tance à l’exploitation
capi­ta­liste. Bien sûr, une telle oppo­si­tion au régime
signi­fie­ra l’emprisonnement. Mais pour ceux qui refu­se­raient cette
ultime consé­quence, le ser­vice civil pour­rait néanmoins
s’avérer effi­cace, à condi­tion de dénon­cer dès
le départ le carac­tère de ser­vice obli­ga­toire, donc
néga­teur de liber­té, et de fixer les limites de
par­ti­ci­pa­tion au ser­vice civil : refus effec­tif de col­la­bo­rer aux
orga­nismes cultu­rels offi­ciels pour ne tra­vailler uni­que­ment que pour
des mou­ve­ments pri­vés, auto­nomes, ne bénéficiant
d’aucune aide éta­tique, ou la volon­té de réaliser
un tra­vail social dans un milieu ouvert : quar­tier popu­laire, usines,
etc.

Fran­çois
Destryker

La Presse Anarchiste