La Presse Anarchiste

Salaire et révolution

Le pro­blème des
salaires (hié­rar­chie — taux de paie­ments) a tou­jours été
au milieu des pré­oc­cu­pa­tions et dis­cus­sions des anarchistes,
et des révo­lu­tion­naires en général.

Dès que l’on
aborde l’autogestion, on se heurte aux salaires.

Dans
la socié­té capi­ta­liste, le salaire est une nécessité
éco­no­mique : cir­cu­la­tion de la mon­naie et des biens de
consom­ma­tion, conser­va­tion de la main‑d’œuvre en bonne santé
mini­male, sti­mu­lant à meilleure pro­duc­tion, le tout étant
en fait une com­plète alié­na­tion du monde producteur.

On retrouve ces données
dans la socié­té socia­liste orien­tale avec comme
dif­fé­rence une sim­pli­fi­ca­tion des échelles de salaires,
celles-ci étant beau­coup moins contras­tées que chez
nous.

Le seul pays où
un essai d’abolition du sala­riat a été appliqué
est Cuba. Il est inté­res­sant de voir com­ment cela est fait, et
je pense que la tech­nique employée peut être reprise
sans fausse honte par des anar­chistes si l’occasion se présente :
on assiste non pas tant d une abo­li­tion du sala­riat qu’à son
dépérissement.

Voi­ci
quelques ren­sei­gne­ments tirés d’un repor­tage paru en mai 68 :

« Ici
inter­vient cette impor­tante notion de « salaire historique »
qui explique ces inéga­li­tés rési­duelles. Donc,
sauf pour les « énor­mi­tés » la
révo­lu­tion n’a pris aucune mesure bru­tale sur le plan
sala­rial, d’une façon géné­rale, ceux qui
gagnaient, par exemple,
350 pesos avant la chute de Batista,
conti­nuent à per­ce­voir le même salaire, s’ils n’ont
pas chan­gé d’emploi.

« Cha­cun
est invi­té à renon­cer à son « salaire
his­to­rique » et, l’émulation aidant, ces atti­tudes ne
sont pas rares. D’autre part, quand les jeunes travailleurs
viennent rejoindre leurs aînés, ils reçoivent un
trai­te­ment bien infé­rieur bien que leurs études les
appellent à des fonc­tions de res­pon­sa­bi­li­té. Cette
inéga­li­té vou­lue pousse sou­vent les « anciens »
à s’aligner sur les nou­veaux venus. Sinon, on laisse le
temps faire son œuvre. Puisque ici on croit à la primauté
du sti­mu­lant idéo­lo­gique sur le sti­mu­lant maté­riel, on
ne peut, sans se contre­dire, recou­rir à des méthodes
fortes.
[…]

« D’ailleurs,
à Cuba, où ne règne pas la « civilisation
de la consom­ma­tion », avoir de l’argent ne mène pas à
grand-chose : on ne peut ache­ter ni mai­son, ni ter­rain, ni auto. Tout
au plus peut-on se payer plus sou­vent un repas, au res­tau­rant ; et
c’est ce que font la plu­part des Cubains qui, une fois de plus, se
retrouvent ain­si en pro­ces­sion, dans des files d’attente.

« Sont actuellement
gra­tuits : les soins médi­caux et les médicaments,
l’hospitalisation, les vac­ci­na­tions, les gar­de­ries et les écoles,
les can­tines des ouvriers du bâti­ment, de cer­taines fermes
d’Etat et des tra­vailleurs volon­taires (pour les autres, la cantine
du midi coûte envi­ron 10 pesos par mois); les ser­vices de
trans­port des entre­prises ; le télé­phone urbain ; les
ban­quets de noces et d’enterrements.

« A
par­tir de 1970, la gra­tui­té doit s’étendre : à
tous les loge­ments (actuel­le­ment, les loyers ne dépassent
jamais 10 pour cent du salaire); puis, pro­gres­si­ve­ment au lait, aux
fruits et au pois­son ; à la prise en charge des écoliers
comme à San Andrés ; enfin aux bicy­clettes publiques :
des parcs seront consti­tués et, selon leurs besoins, les gens
y pren­dront un vélo qu’ils aban­don­ne­ront n’importe où…»

Une
don­née tran­si­toire : la conser­va­tion du « salaire
his­to­rique » est consi­dé­rée idéologiquement
comme une faiblesse.

La
mul­ti­pli­ca­tion des ser­vices gra­tuits tend à faire disparaître
le salaire par non-uti­li­sa­tion, l’achat de bien immobilier
ou ter­rain étant impos­sible.

Pierre Som­mer­meyer

La Presse Anarchiste