La Presse Anarchiste

Des faits

Le com­man­dant civil de Lam­baye (Baol), M. Donis, avait à repro­cher au chef du vil­lage de Dio­mi­go, voi­sin de sa rési­dence, un manque d’empressement à l’exé­cu­tion de ses ordres. Il réso­lut, en consé­quence, de le faire garrotter.

L’ad­mi­nis­tra­teur alla trou­ver le chef et, l’in­ter­pel­lant brusquement :

— Le Tègue vous a‑t-il jamais gar­rot­té ? Questionna-t-il.

— Non, répon­dit le notable, car je ne lui ai jamais manqué.

— Eh bien ! moi, je vais vous faire garrotter !

— Vous me tue­rez plu­tôt ! Je n’ai com­mis aucune faute ; je ne veux pas être garrotté !

Les gens de Dio­mi­go décla­rèrent for­mel­le­ment qu’ils s’op­po­se­raient de toutes leurs forces à l’exé­cu­tion de cette menace.

— Ah ! c’est ain­si ! s’é­cria l’ad­mi­nis­tra­teur. Et il don­na l’ordre de mettre le feu aux cases…

Le cadi de Lam­baye, assis­té de Bar-Diop, de Fara Lam­baye et du dia­raf Baol, dit au fonctionnaire :

— Tu ver­ras le feu et la fumée de l’in­cen­die!… Il tint parole…

Le 6 mai, à 1 h. 25 du soir, le feu était allu­mé et le vil­lage de Dio­mi­go, très impor­tant, flam­bait aux quatre coins.

En un clin d’œil, toute l’ag­glo­mé­ra­tion fut la proie des flammes. Chas­sés par l’in­cen­die, les habi­tants se réfu­gièrent dans la brousse, pour y être chas­sés et tra­qués comme des bêtes fauves par les cava­liers de Lambaye !

Le cadi de ce vil­lage avait, en effet, auto­ri­sé ses gens à s’emparer de toute per­sonne qu’ils pour­raient atteindre dans sa fuite et à la réduire à l’esclavage…

Des enfants, des femmes furent ain­si sai­sis. Ceux qui purent s’é­chap­per se réfu­gièrent dans la brousse et quelques indi­gènes de Dio­mi­go furent vus autour d’un puits où ils s’é­taient arrê­tés dans leur fuite désordonnée. 

Rien ne reste de ce mal­heu­reux vil­lage, et ce qui échap­pa au feu fut livré au pillage ; on fit main basse sur les ani­maux comme l’on avait fait sur les per­sonnes, et, grâce au désordre occa­sion­né dans la contrée par cet évé­ne­ment, on com­prit dans la raz­zia des chèvres et des ânes appar­te­nant à des vil­lages voi­sins. Quelques petits trai­tants virent leurs mar­chan­dises brû­lées avec tous les gre­niers de mil et d’a­ra­chides qui exis­taient à Diomigo.

Après l’exé­cu­tion de cet ordre bar­bare, et après avoir semé ain­si la déso­la­tion et épar­pillé les familles dans la brousse, en proie à la faim, le cadi de Lam­baye vou­lut leur fer­mer tout asile et com­plé­ter ain­si leur mal­heur qu’il ne croyait pas complet.

Il fit appe­ler les chefs de tous les vil­lages voi­sins et leur inti­ma l’ordre de nour­rir ses gens ; chaque famille avait à appor­ter une grande cale­basse de cous­cous et de viande. Il leur enjoi­gnit ensuite l’ordre de venir le len­de­main à Lam­baye subir l’é­preuve du feu et jurer qu’ils n’a­vaient don­né refuge à aucun habi­tant de Diomigo.

Cette épreuve consiste à pas­ser la langue sur une barre de fer rou­gie au feu ; il ne faut pas qu’elle brûle si l’on est innocent !

C’est là ce qui s’ap­pelle « appor­ter aux races infé­rieures les bien­faits de la civi­li­sa­tion européenne ! »

(Racon­té par l’In­tran­si­geant d’a­près le Vol­taire.)

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