La bourgeoisie l’a bien compris ; elle a constaté aussi que la classe ouvrière en prenait conscience. Aussi a‑t-elle préparé cette bonne loi, interdisant la grève aux corporations dont les fonctions sociales sont les plus importantes : chemins de fer, arsenaux, etc. De cette façon, elle se sera créé un bon prétexte, dans le cas où une de ces grèves dangereuses pour sa subsistance viendrait à se produire, pour l’écraser manu militari, puisque désormais les grévistes pourront être considérés non comme des gens qui discutent un marché, mais comme des rebelles que la « sécurité de l’État » ordonne de réduire le plus tôt possible à l’obéissance. Malheureusement les choses paraissent ne pas devoir aller sur des roulettes. L’agitation a été grande dans les derniers congrès et réunions des ouvriers des chemins de fer, et ceux-ci semblent en majorité décidés à répondre au vote de cette loi par une grève générale. Bigre ! c’est que les choses se compliquent, et le gouvernement hésite. Il a conscience d’arriver trop tard avec sa loi de réaction et il se heurte, il le sent, à une masse déjà quelque peu organisée et capable d’opposer une certaine cohésion dans la résistance. Comme la bourgeoisie doit se repentir d’avoir, il y a onze ans, laissé échapper cette loi sur les syndicats ! Car les réglementer, c’était en reconnaître légalement l’existence.
Par le moyen des syndicats, les ouvriers ont appris à se coaliser, à s’organiser pour la résistance, et il est peut-être bien tard pour vouloir empêcher cette résistance de devenir effective !
De là ce calme apparent, expression de cette hésitation d’une part et de cette attente de l’autre ; c’est le silence qui précède le combat, alors que les deux ennemis se toisent et s’épient.
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Paris. — Les étudiants, fort malmenés par M. Tailhade, viennent de s’attirer encore un camouflet.
Ils ont eu l’idée d’organiser le Roulotte-Club, c’est-à-dire de faire appel aux bonnes volontés pour former une caravane de saltimbanques amateurs qui, pendant les vacances, entreprendrait une tournée à travers la France, donnant des représentations au profit des pauvres.
Mais, malheureux dans leurs expressions, après avoir déclaré que leur troupe ne serait formée que d’étudiants, qu’ils n’accepteraient pas de professionnels, ils ajoutaient : « qu’ils n’accepteraient, parmi eux, que des jeunes gens de bonne compagnie » !
Les professionnels viennent de leur répondre dans leur journal l’Industriel Forain :
« La prétention de ces fils de marchands de fromages ou de fabricants de poudrette faisant fi des forains qui les valent bien, du moins sous le rapport du travail et de l’éducation, cette prétention n’est-elle pas énorme ? »
« Ce n’est pas chez les forains qu’il faut aller chercher à notre époque les véritables saltimbanques, mais bien plutôt souvent dans le monde des arts, des lettres, de la politique et de la finance. Là, on est certain d’en rencontrer. Le saltimbanque est partout, à présent, hormis sur les champs de foire. »
Sévère, mais juste.
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Ce que nous avions prévu est arrivé. L’idée du Pain gratuit, lancée par le camarade Barrucand, vient de suivre son évolution naturelle. À la conférence qu’il a faite, samedi dernier, le député Clovis Hugues s’est offert de fabriquer un projet de loi là-dessus. Entre le zist et le zest, Barrucand s’est contenté de déclarer que son idée pouvait être défendue « par tous les moyens ». D’autre part, le conférencier a été appelé à aller défendre son idée à la maison du Peuple, maison qui, on le sait, n’est, pas ouverte aux anarchistes.
Voilà ce que l’on récolte quand, sous prétexte de « praticisme », on rogne ses idées.
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(Petit Journal du 4 juillet): « Le 3 juillet, à Romans, M. Léon P. regagnait son domicile. Il passa sans y prendre garde entre le général Bonnet et un détachement du 75e de ligne. Le général l’apostropha avec rudesse et l’invita à se découvrir ; puis, le saisissant par le bras, il lui donna un coup de pied dans le dos. » — Ils vont bien, les soudards !