La Presse Anarchiste

Mouvement social

La période est calme et l’a­gi­ta­tion sociale semble pour l’ins­tant assou­pie. Mais, sous cette appa­rente iner­tie, se per­çoit une fer­men­ta­tion de mau­vais augure pour les pri­vi­lé­giés de toute caté­go­rie. Dans les grou­pe­ments cor­po­ra­tifs, notam­ment, jamais la ques­tion de la grève géné­rale n’a été plus agi­tée. Il est évident que la classe ouvrière sent que là est le meilleur et le seul moyen d’af­fran­chis­se­ment. Refu­ser uni­ver­sel­le­ment de conti­nuer à se lais­ser exploi­ter est, certes, le pro­cé­dé le plus sûr pour ame­ner à com­po­si­tion cette bour­geoi­sie inca­pable par elle-même de sub­ve­nir à ses besoins et qui s’é­tein­drait d’i­na­ni­tion sans le secours des travailleurs.

La bour­geoi­sie l’a bien com­pris ; elle a consta­té aus­si que la classe ouvrière en pre­nait conscience. Aus­si a‑t-elle pré­pa­ré cette bonne loi, inter­di­sant la grève aux cor­po­ra­tions dont les fonc­tions sociales sont les plus impor­tantes : che­mins de fer, arse­naux, etc. De cette façon, elle se sera créé un bon pré­texte, dans le cas où une de ces grèves dan­ge­reuses pour sa sub­sis­tance vien­drait à se pro­duire, pour l’é­cra­ser manu mili­ta­ri, puisque désor­mais les gré­vistes pour­ront être consi­dé­rés non comme des gens qui dis­cutent un mar­ché, mais comme des rebelles que la « sécu­ri­té de l’É­tat » ordonne de réduire le plus tôt pos­sible à l’o­béis­sance. Mal­heu­reu­se­ment les choses paraissent ne pas devoir aller sur des rou­lettes. L’a­gi­ta­tion a été grande dans les der­niers congrès et réunions des ouvriers des che­mins de fer, et ceux-ci semblent en majo­ri­té déci­dés à répondre au vote de cette loi par une grève géné­rale. Bigre ! c’est que les choses se com­pliquent, et le gou­ver­ne­ment hésite. Il a conscience d’ar­ri­ver trop tard avec sa loi de réac­tion et il se heurte, il le sent, à une masse déjà quelque peu orga­ni­sée et capable d’op­po­ser une cer­taine cohé­sion dans la résis­tance. Comme la bour­geoi­sie doit se repen­tir d’a­voir, il y a onze ans, lais­sé échap­per cette loi sur les syn­di­cats ! Car les régle­men­ter, c’é­tait en recon­naître léga­le­ment l’existence.

Par le moyen des syn­di­cats, les ouvriers ont appris à se coa­li­ser, à s’or­ga­ni­ser pour la résis­tance, et il est peut-être bien tard pour vou­loir empê­cher cette résis­tance de deve­nir effective !

De là ce calme appa­rent, expres­sion de cette hési­ta­tion d’une part et de cette attente de l’autre ; c’est le silence qui pré­cède le com­bat, alors que les deux enne­mis se toisent et s’épient.

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Paris. — Les étu­diants, fort mal­me­nés par M. Tail­hade, viennent de s’at­ti­rer encore un camouflet.

Ils ont eu l’i­dée d’or­ga­ni­ser le Rou­lotte-Club, c’est-à-dire de faire appel aux bonnes volon­tés pour for­mer une cara­vane de sal­tim­banques ama­teurs qui, pen­dant les vacances, entre­pren­drait une tour­née à tra­vers la France, don­nant des repré­sen­ta­tions au pro­fit des pauvres.

Mais, mal­heu­reux dans leurs expres­sions, après avoir décla­ré que leur troupe ne serait for­mée que d’é­tu­diants, qu’ils n’ac­cep­te­raient pas de pro­fes­sion­nels, ils ajou­taient : « qu’ils n’ac­cep­te­raient, par­mi eux, que des jeunes gens de bonne compagnie » !

Les pro­fes­sion­nels viennent de leur répondre dans leur jour­nal l’In­dus­triel Forain :

« La pré­ten­tion de ces fils de mar­chands de fro­mages ou de fabri­cants de pou­drette fai­sant fi des forains qui les valent bien, du moins sous le rap­port du tra­vail et de l’é­du­ca­tion, cette pré­ten­tion n’est-elle pas énorme ? »

« Ce n’est pas chez les forains qu’il faut aller cher­cher à notre époque les véri­tables sal­tim­banques, mais bien plu­tôt sou­vent dans le monde des arts, des lettres, de la poli­tique et de la finance. Là, on est cer­tain d’en ren­con­trer. Le sal­tim­banque est par­tout, à pré­sent, hor­mis sur les champs de foire. »

Sévère, mais juste.

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Ce que nous avions pré­vu est arri­vé. L’i­dée du Pain gra­tuit, lan­cée par le cama­rade Bar­ru­cand, vient de suivre son évo­lu­tion natu­relle. À la confé­rence qu’il a faite, same­di der­nier, le dépu­té Clo­vis Hugues s’est offert de fabri­quer un pro­jet de loi là-des­sus. Entre le zist et le zest, Bar­ru­cand s’est conten­té de décla­rer que son idée pou­vait être défen­due « par tous les moyens ». D’autre part, le confé­ren­cier a été appe­lé à aller défendre son idée à la mai­son du Peuple, mai­son qui, on le sait, n’est, pas ouverte aux anarchistes.

Voi­là ce que l’on récolte quand, sous pré­texte de « pra­ti­cisme », on rogne ses idées.

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(Petit Jour­nal du 4 juillet): « Le 3 juillet, à Romans, M. Léon P. rega­gnait son domi­cile. Il pas­sa sans y prendre garde entre le géné­ral Bon­net et un déta­che­ment du 75e de ligne. Le géné­ral l’a­pos­tro­pha avec rudesse et l’in­vi­ta à se décou­vrir ; puis, le sai­sis­sant par le bras, il lui don­na un coup de pied dans le dos. » — Ils vont bien, les soudards ! 

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