La Presse Anarchiste

Les amitiés polono-chinoises

[(Les évène­ments polon­ais ont eu des réper­cus­sions impor­tantes en Chine, plus impor­tantes que dans cer­tains pays voisins tels la Tché­coslo­vaquie ou la RDA. Nous avons trou­vé plusieurs sources d’in­for­ma­tions frag­men­taires à ce sujet, et nous avons rassem­blé quelques extraits par­ti­c­ulière­ment parlants.)]

En jan­vi­er 1981, il y a eu des ouvri­ers dans des usines chi­nois­es qui ont réclamé sur le mod­èle polon­ais la créa­tion de syn­di­cats libres. Le rédac­teur de la « Tri­bune du 5 avril », l’une des revues les plus impor­tantes du mou­ve­ment pour la démoc­ra­tie avait fait un appel à Lech Wale­sa en lui man­i­fes­tant son sou­tien. Pour ce qui s’est passé dans les usines, on con­naît les faits par deux sources. On a par exem­ple le man­i­feste des ouvri­ers de Taiyuan traduit par Marie dosée Lalitte, la tra­duc­trice de Pa Kin, mais on le sait aus­si ce façon indi­recte par la presse offi­cielle. Le 24 jan­vi­er 1981, le « Quo­ti­di­en de Changchuang » avait lancé un aver­tisse­ment aux ouvri­ers en leur dis­ant : « Quelques per­son­nes enten­dent semer le désor­dre et récusent formelle­ment la direc­tion du Par­ti en voulant fonder des soit-dis­ants syn­di­cats libres et des asso­ci­a­tions d’é­tu­di­ants indépen­dantes. De deux choses l’une : ou bien ces gens ont des buts inavoués, ou bien ils sont dan­gereuse­ment naïfs et igno­rants ». En févri­er, le « Quo­ti­di­en des Ouvri­ers » revient sur la ques­tion des syn­di­cats libres pour fustiger une nou­velle fois les ouvrières d’une usine de Shang­hai qui avaient pro­posé « la créa­tion de syn­di­cats libres sur le mod­èle polon­ais » et qui s’é­taient mis­es en grève parce qu’elles étaient mécon­tentes de l’at­ti­tude d’un secré­taire du Par­ti qui n’avait pas su être « à l’é­coute atten­tive de leurs reven­di­ca­tions ». De la même façon ce même quo­ti­di­en indi­quait qu’à Wuhan dans la province du Hubei et à Xian dans la province du Shenxi, « quelques jeunes ouvri­ers ont eu la folle inten­tion de créer des syn­di­cats indépen­dants ». Il ajoutait : « heureuse­ment, ils n’ont pas réus­si à entraîn­er l’ad­hé­sion de la grande masse des ouvri­ers ». Le man­i­feste des ouvri­ers de Taiyuan est trop long pour que je le cite in exten­so, mais la con­clu­sion suf­fi­ra : « L’ac­tion effec­tive des ouvri­ers métal­lur­gistes céli­bataires de fait de Taiyuan témoigne une nou­velle fois du réveil de la classe ouvrière de notre pays. Et pour­tant apparem­ment ces ouvri­ers ne récla­ment que l’amélio­ra­tion de leurs con­di­tions de vie, le respect de leurs droits légaux et de leurs réu­nions. Mais en réal­ité, ils expri­ment déjà incon­sciem­ment leur aspi­ra­tion à la démoc­ra­tie. » Les céli­bataires de fait sont les gens qui doivent tra­vailler là où ils ne vivent pas, c’est à dire qu’ils ne peu­vent pas aller tra­vailler avec leur famille.

Entre­tien avec Angel Pino, le 29/07/82, Radio Solidarnosc

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Je demande à Mok quels ont été les effets des évène­ments polon­ais en Chine, dans la mesure où l’on peut le savoir et le com­pren­dre à par­tir de Hong-Kong. Dans un pre­mier moment ― me répond-t-il ― le gou­verne­ment a mis en relief ces faits dans une évi­dente inten­tion anti-russe. Mais l’im­por­tante infor­ma­tion sur les luttes syn­di­cales autonomes des tra­vailleur de Gdan­sk ne pou­vait pas ne pas stim­uler le désir d’é­mu­la­tion des secteurs les plus vivants de la société chi­noise. Le pou­voir s’en est ren­du compte et, à par­tir de là, il a imposé le black-out sur cette ques­tion. Entre temps pour­tant quelque chose avait déjà bougé et le proces­sus de con­sti­tu­tion de petits syn­di­cats libres (non encadrés par le par­ti, donc illé­gaux) avait subi une accéléra­tion. Les délégués qui il y a un peu plus d’un an ont été arrêtés à Pékin sor­taient de la pre­mière réu­nion à car­ac­tère nation­al de ce jeune mou­ve­ment syn­di­cal. Et la répres­sion qui s’en est suiv­ie a con­duit à l’ar­rêt de ces jour­naux spon­tanés, non alignés sur le pou­voir, qui sor­taient en grand nom­bre dans les prin­ci­pales villes. La sit­u­a­tion aujour­d’hui en Chine est de nou­veau fer­mée, totale­ment fermée.

Mok explique que dans le mou­ve­ment démoc­ra­tique coex­is­tent divers­es ten­dances, l’une phi­lo-occi­den­tale, une autre claire­ment révo­lu­tion­naire. C’est dans celle-ci que tra­vail­lent les mil­i­tants les plus voisins des con­cep­tions anar­chistes. Même si jusqu’à présent, à notre con­nais­sance, aucun ne se définisse comme anar­chiste. Les thèmes lib­er­taires émer­gent des posi­tions de ceux qui, tout en con­tin­u­ant à se pro­fess­er marx­iste, cri­tiquent le pou­voir. D’autre part, se dire anar­chiste en Chine sig­ni­fie dis­paraître de la cir­cu­la­tion. Je suis sûr de ça à 100%.

Inter­view de Mok, mem­bre du col­lec­tif lib­er­taire Minus de Hong-Kong, par Camil­lo Levi, A. Riv­ista Anar­chi­ca n° 101, mag­gio 1982

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Il ne fait aucun doute que la crise du régime polon­ais a servi au régime chi­nois de révéla­teur de ses pro­pres prob­lèmes. Depuis les tous pre­miers jours des grèves de Gdan­sk en juil­let 1980, les moyens d’in­for­ma­tion offi­ciels chi­nois ont ren­du compte d’une façon par­ti­c­ulière­ment détail­lée de l’évo­lu­tion de la sit­u­a­tion en Pologne. Le mobile de ces infor­ma­tions est au pre­mier abord extérieur. Pékin, enchan­tée de voir le bloc sovié­tique atteint dans un de ses mail­lons, enfonce le clou de la pro­pa­gande pour se plac­er en cas d’in­ter­ven­tion de Moscou. Mais il est pra­tique­ment cer­tain aus­si que ces comptes ren­dus très pré­cis ont con­tribué aux grandes manœu­vres de poli­tique intérieure lancées par Deng Xiaop­ing et ses amis pour s’emparer de tous les leviers du pou­voir. Dans un pre­mier temps, les infor­ma­tions pen­chant du côté des grévistes polon­ais puis net­te­ment favor­ables à la for­ma­tion de Sol­i­dar­ité sus­ci­tent des réac­tions sim­i­laires en Chine. Des grèves ouvrières écla­tent dans plusieurs cen­tres indus­triels, notam­ment à Taiyuan. Des appels à la for­ma­tion de syn­di­cats indépen­dants en Chine sont aus­si enreg­istrés, émanant à la fois de grévistes et des milieux con­tes­tataires. C’est alors que Hu Yaobang (un par­ti­san de Deng Xiaop­ing) fait cir­culer un rap­port de ses ser­vices diag­nos­ti­quant les pre­miers symp­tômes d’une sol­i­darnose chi­noise et démon­trant les risques de l’ap­pari­tion en Chine d’une crise de type polon­ais. Ce rap­port, dif­fusé de façon con­fi­den­tielle au sein du Par­ti en décem­bre, affirme en sub­stance que l’im­age du Par­ti chi­nois n’est guère plus flat­teuse auprès de la pop­u­la­tion que celle de son homo­logue polon­ais en Pologne. À preuve, les grèves et les appels à la con­sti­tu­tion de syn­di­cats non offi­ciels qui se sont fait jour, pour la pre­mière fois aus­si menaçants en trente ans de régime. Diag­nos­tic de l’équipe Hu Yaobang : le par­ti polon­ais n’est plus le déten­teur de la légitim­ité patri­o­tique de ce pays, c’est l’Église qui l’a sup­plan­té dans ce rôle. Les « erreurs » de ges­tion n’ont fait que pré­cip­iter et aggraver la crise. Con­clu­sion : nos erreurs de ges­tion, même en l’ab­sence d’une men­ace sovié­tique, peu­vent nous coûter tout autant, et cela en par­ti­c­uli­er du fait que la cat­a­stro­phe de la révo­lu­tion cul­turelle a lais­sé des stig­mates bien plus douloureux encore dans notre pop­u­la­tion que le manque d’ap­pro­vi­sion­nement dans les mag­a­sins d’al­i­men­ta­tion polon­ais. Posolo­gie implicite : cette « amélio­ra­tion » que nous vous pro­posons et qui se traduire par la mise à l’é­cart de Hua Guofeng et de ses sou­tiens politiques.

Ce n’est pas la pre­mière fois que la sit­u­a­tion dans un autre pays du monde social­iste est ain­si util­isée par une aile du régime chi­nois à ses pro­pres fins. L’in­ven­teur de la méth­ode s’ap­pelle Mao Tsé­toung qui, en 1956, a sus­cité la péri­ode de libéral­i­sa­tion dite des Cent Fleurs pour ten­ter de con­jur­er, espérait-il, le risque de déra­page à la hon­groise qui a abouti aux con­seils ouvri­ers et à la mise à bas des stat­ues de Staline. Les résul­tats dépassèrent telle­ment les prévi­sions du grand Tim­o­nier ― qui avait agi en cela sans l’assen­ti­ment de ses pairs ― qu’il dut ordon­ner la ter­ri­ble répres­sion de 1957 qui envoya en camp de tra­vail sous l’ac­cu­sa­tion de « droitisme » des mil­liers de citoyens qui s’é­taient élevés con­tre l’au­tori­tarisme du Par­ti communiste.

Mais cette fois la manœu­vre polon­aise de Hu Yaobang était mieux cal­culée. D’une part les dis­si­dents et con­tes­tataires n’avaient pas atten­du le sig­nal des autorités pour dénon­cer le régime et la phase de répres­sion du mou­ve­ment reven­di­catif pour les droits de l’homme était déjà engagée. Ain­si, les risques de relance puis­sante du mou­ve­ment étaient lim­ités. D’autre part le par­ti a évité de prôn­er explicite­ment à la pop­u­la­tion de pren­dre exem­ple sur les grévistes polon­ais, se réser­vant ain­si une porte de sor­tie pour la dernière phase de l’opéra­tion. C’est ce qui se pro­duit du jour au lende­main début décem­bre, lorsque la presse lue par les chi­nois, la radio et la télévi­sion, cessent simul­tané­ment de ren­dre compte de la suite des évène­ments en Pologne.

Extrait de « Pékin, un procès peut en ca­cher un autre »

Angel Pino est coau­teur du livre « Un bol de nid d’hi­ron­delle ne fait pas le print­emps de Pékin ». C’est un recueil de textes du Mou­ve­ment pour la Démoc­ra­tie et par­ti­c­ulière­ment des per­son­nes liées à la revue Tan­suo (Explo­ration) . Une intro­duc­tion très com­plète per­met de replac­er ce mou­ve­ment dans l’his­toire de la Chine post-maoïste. Elle est due à Huang San, autre coau­teur du livre avec Lionel Epstein. (Bib­lio­thèque Asi­a­tique, Chris­t­ian Bour­go­is Édi­teur, Paris 1980)

« Pékin, un procès peut en cacher un autre », de Horace Hata­men rassem­ble les min­utes du procès de la veuve Mao. Il décor­tique les manœu­vres du clan Deng Xiaop­ing pour limoger Hua guofeng, le suc­cesseur de Mao, à la faveur du procès de la bande des 4. (Bib­lio­thèque Asi­a­tique, Chris­t­ian Bour­go­is Édi­teur, Paris 1982) 


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