La Presse Anarchiste

Nous avons reçu

— « La Révo­lu­tion com­mu­nal­iste », par Pierre Rim­bert, aux Edi­tions syn­di­cal­istes, 21, rue Jean‑Robert, Paris‑18e. Prix 6 F. I. Les événe­ments. II. L’œuvre de la Com­mune. La Com­mune sur la défen­sive. III. Les caus­es de la Com­mune. IV. Les caus­es de la défaite de la Com­mune. V. Sig­ni­fi­ca­tion his­torique de la Commune.
— « La Com­mune de Paris », par Michel Bak­ou­nine suivi d’extraits de « trois con­férences aux ouvri­ers du Val‑Saint‑Imier », 32 pages. 2,50 FF, Librairie Pub­li­co, 3, rue Ter­naux, Paris‑11e. 2,00 FS, Cen­tre inter­na­tion­al de recherch­es sur l’anarchisme, Beau­mont 24, 1012 ‑ Lau­sanne, Suisse.
— « Œhim­sa », n° 7, ronéoté, 60, rue de la Poudrière, 1000 ‑ Brux­elles. Belgique.
— « Frente lib­er­tario », n° 7, men­su­el, Amador Alvarez, 87, rue de Patay, Paris‑13e.
— « L’Annuaire de la presse par­al­lèle » , Chris­t­ian Pacaud, BP 101, 92‑Montrouge. 4 F, par vire­ment postal à « la Sep­tième Aurore », CCP 1159 08. C’est le réper­toire d’une grande var­iété de péri­odiques, revues, bul­letins édités en France et non dif­fusés en librairie pour la plupart.
— « C », n°19, liaisons des com­mu­nautés de vie…, M. Fali­gand, 8, allée Roland‑Garros, 94 ‑ Orly.
— « Free­dom » , heb­do, 13 mars 71, 84 b Vhitechapel High Street, Lon­don E1.
— « Anar­chy », n°1, deux­ième série, « Towards a ratio­nal bisex­u­al­i­ty », 84 b Whitechapel High Street, Lon­don E1.
— « 103 dif­fu­sion », compte ren­du de la semaine de la non‑violence organ­isée à Toulouse du 3 au 10 mars 1970. 5 F. Cen­tre d’information pour l’ouverture au tiers monde, 5, place de la Dau­rade, 31‑ Toulouse.
— « Tri­bune libre 93 », n° 1. « Requiem et Prélude », poèmes. Jean‑Marc Car­ité, 11, rue Pachot‑Laine, 93 ‑ Livry‑Gargan.
— « Vivre en har­monie », n°212, men­su­el, 2 F. 5, rue Emile‑Level, Paris‑17e.
— « Cahiers des amis de Han Ryn­er », n°100, bulletin‑ trimestriel, 3 F. Louis Simon, 3, allée du Château, 93 ‑ Pavillons‑sous‑Bois.
— « Fais pas le zouave!…», jour­nal anti­mil­i­tariste unique et gra­tu­it. Groupe lib­er­taire Kropotkine, 3, rue Ter­naux, Paris‑11e.
— « AIT », n° 3‑4, bul­letin de l’Association inter­na­tionale des tra­vailleurs. J.‑M. Con­gost, 38, rue V.‑Chabot, 87‑Limoges.
— « Bul­letin du cer­cle Social­isme », n° 4, men­su­el, 2 F. J. Péaud, 1, pas­sage Privé, 93 ‑ Pantin.
— « L’Anarcho‑syndicaliste », n° 105, men­su­el édité par l’Union des anar­cho-syn­di­cal­istes. Guy Ray­nal, 12, rue Béchade, 79 ‑Chef‑Boutonne.
— « Tsedek », n° 108‑109, dossier men­su­el. E. Lévyne, 18, rue Adolphe‑Chérioux, 92‑lssy‑les‑Moulineaux.
— « Fer­nand Pell­outi­er, fon­da­teur des Bours­es du tra­vail » par Mau­rice Foulon, 185 p., 10 F. La Ruche ouvrière, 10, rue de Mont­moren­cy, Paris‑3e.
— « Une expéri­ence pas­sion­nante par 5 000 ouvri­ers », par L. Riera, 120 p., 6 F. A la Ruche ouvrière, 10, rue de Mont­moren­cy, Paris‑3e,
— « Le Monde nou­veau » (son plan, sa con­sti­tu­tion, son fonc­tion­nement), Par Pierre Besnard, 6 F. A la Ruche ouvrière.
— « URSS, l’Etat‑patron », par Zem­li­ak, 185 p. 8 F. A la Ruche ouvrière.
— « Quelques études sociales », par le Dr Pier­rot, 234 p., 9 F (envoi com­pris). A la Ruche ouvrière.
— « Valeur de la lib­erté, le social­isme con­tre l’autorité, social­isme et human­isme », par Ernes­tan, 190 p., La Ruche ouvrière.

« La Vio­lence dans le monde actuel », con­férences du Cen­tre d’études de la civil­i­sa­tion con­tem­po­raine. Desclée de Brouw­er édit.

Nous avons lu ce livre et le présen­tons sous forme d’extraits et de com­men­taires pro­pres, croyons‑nous, à faire naître des réac­tions nou­velles con­cer­nant la vio­lence. L’originalité de ce livre, rassem­blant une série de con­férences faites par des uni­ver­si­taires à l’université de Nice, c’est qu’il essaie d’exposer et d’expliquer sans pas­sion les divers aspects sous lesquels se man­i­feste la vio­lence sans en tir­er de con­clu­sion ; le but que nous recher­chons donc en le présen­tant est d’en tir­er quelques leçons à l’usage des révo­lu­tion­naires non violents.
Nous avons con­servé les titres des conférences :

Ten­sions et dis­tor­sions dans l’humanisme con­tem­po­rain, Jean Onimus.
Onimus oppose d’abord « civil­i­sa­tion », man­i­fes­ta­tion des objets, et « cul­ture », man­i­fes­ta­tion de la con­science, c’est‑à‑dire des sujets. « Nous avons cessé de con­tem­pler, dit‑il, c’est‑à‑dire de pénétr­er dans l’intimité des choses… la nature a été réduite au silence parce qu’elle n’est plus peu­plée que d’objets… il arrive un moment où le con­cept, en imposant son effi­cac­ité, élim­ine le sujet qui le pen­sait : Il se suf­fit à lui‑même ; la struc­ture règne, elle n’a pas besoin du con­cret, elle n’a pas besoin des personnes. »

Face à cette évo­lu­tion de la civil­i­sa­tion, la cul­ture doit jouer un rôle de con­tre­poids ou d’antidote sans lequel nous allons vers une déshu­man­i­sa­tion de plus en plus grande ; mais Onimus dis­tingue deux cul­tures, l’une tra­di­tion­nelle, offi­cielle et inadap­tée et l’autre vivante, « expres­sion spon­tanée de l’homme de notre temps », or cette dernière est « diamé­trale­ment opposée à la fois à la cul­ture tra­di­tion­nelle et à la civil­i­sa­tion con­tem­po­raine », d’où appari­tion de la révolte, de la vio­lence dans l’art con­tem­po­rain. « La cul­ture devient insur­rec­tion des con­sciences naïves, intè­gres, non résignées, non adap­tées. » Cette vio­lence, surtout ver­bale et dirigée con­tre les objets plus que con­tre les per­son­nes, naît de l’impasse où l’on est acculé et de l’impossibilité d’en sor­tir ; elle se définit donc comme « un négatif de la civil­i­sa­tion, son com­plé­men­taire », et comme elle, « sem­ble détru­ire quelque chose d’essentiel qui est l’équilibre d’une con­science lucide, con­sciente de ses lim­ites et de ses pos­si­bil­ités : ce que nous appe­lions la sagesse ».

Vio­lence et morale, Lucien Mugnier‑Pollet.

Mugnier‑Pollet fait le par­al­lèle entre les grandes péri­odes de croy­ance et les mas­sacres, et con­clut que « la foi débouche assez naturelle­ment sur la vio­lence », ce qui laisse à penser que pour aboutir à la non‑violence on doit se détach­er de cer­taines struc­tures men­tales religieuses. Il trou­ve ensuite chez Hegel une jus­ti­fi­ca­tion de la vio­lence, assim­ilée à la créa­tion et, « chez Niet­zsche, (l’affirmation que) la vio­lence a pour intérêt de bris­er cette quiète som­no­lence qui avilit l’homme et qui par la dégénéres­cence qu’elle provoque met en jeu le des­tin même de l’humanité ». Cepen­dant, ces jus­ti­fi­ca­tions doivent être démys­ti­fiées et on nous mon­tre que la vio­lence « n’a finale­ment pas de rap­port avec la créa­tion mais avec la mort », « dans la vio­lence on trou­ve tous les attrib­uts posi­tifs de l’homme, mais com­plète­ment sub­ver­tis, com­plète­ment retournés » .

Ter­ror­isme et vio­lence psy­chologique, Jacques Ellul.

Le ter­ror­isme est une vio­lence doc­tri­naire. « La ter­reur est un sys­tème de gou­verne­ment dom­iné par la ver­tu. La ver­tu dis­tingue les bons des méchants, et, à l’égard des méchants, il faut appli­quer toute la rigueur néces­saire. » (Saint‑Just). Par­tant de cette don­née, le ter­ror­isme des anar­chistes du XIXe siè­cle ne fait qu’utiliser à son pro­pre compte « la peine exem­plaire » infligée aux « méchants ». L’auteur s’applique égale­ment à étudi­er la ter­reur psy­chologique qu’exercent les puis­sances nucléaires, par exem­ple, par la men­ace réelle qu’ils font peser sur l’humanité et celle, beau­coup plus sub­tile, qu’exercent cer­tains pro­fesseurs en « écras­ant intel­lectuelle­ment l’adversaire et en lui imposant sa pen­sée ». Dans le cas des sys­tèmes dialec­tiques, on est en présence « d’une pen­sée qui veut avaler l’autre », qui pré­tend expli­quer l’autre par autre chose que lui‑même.

Il y a égale­ment une util­i­sa­tion du ter­ror­isme psy­chologique dans l’Inquisition et dans le nazisme par la pra­tique du dou­ble phénomène du secret et de l’explication. On main­tient un état d’attente, de ten­sion, créa­trice d’une cer­taine angoisse, puis brusque­ment la vio­lence se produit.

Mais la psy­cholo­gie ayant fait des pro­grès, le ter­ror­isme actuel tend à « rem­plac­er la vio­lence par la com­préhen­sion et l’autorité externe pesant sur l’individu par la douceur, mais par une douceur inflex­i­ble ». C’est le sys­tème des rela­tions humaines, sorte de « ter­ror­isme human­iste » qui court‑circuite toute vel­léité de reven­di­ca­tion et qui amène l’employé à faire plus que ce qu’il ferait s’il y était obligé, en tablant sur « tout un mécan­isme créa­teur de mau­vaise con­science ». Ellul cite alors Mar­cuse : « Le ter­ror­isme est un aspect spé­cial du col­lec­tivisme… Pour arriv­er aux formes col­lec­tivistes de civil­i­sa­tion, il faut néces­saire­ment pass­er par un stade ter­ror­iste total­i­taire, parce que, en face de la pos­si­ble libéra­tion de tous les désirs et fac­ultés indi­vidu­els, leur enrég­i­mente­ment répres­sif indis­pens­able ne peut se faire que par la ter­reur. Et les frus­tra­tions accu­mulées dans une pop­u­la­tion enrég­i­men­tée, soumise à un régime tech­ni­cien de masse doivent être soit libérées con­tre un enne­mi choisi (c’est le ter­ror­isme vio­lent) soit intéri­or­isées (c’est le ter­ror­isme des rela­tions humaines)». Selon Ellul, la seule atti­tude qui soit exempte de ter­ror­isme, c’est l’amour, « parce que pré­cisé­ment, il s’agit à ce moment de recon­naître l’autre pour ce qu’il est et non pas pour ce que l’on veut qu’il soit ».

La vio­lence dans les con­flits soci­aux, J. W. Lapierre.

« Le recours à la vio­lence se pro­duit quand la crise (entre deux groupes soci­aux) est dev­enue si aiguë que l’un au moins des groupes con­sid­ère comme inac­cept­able toute autre solu­tion que la destruc­tion, la dés­in­té­gra­tion ou l’oppression du groupe adverse. J’entends alors par vio­lence l’emploi de moyens d’action qui por­tent atteinte à l’intégrité physique, psy­chique ou morale de la per­son­ne d’autrui. »

« L’équilibre, le com­pro­mis, l’innovation sont des solu­tions non vio­lentes des con­flits sociaux. »

« La destruc­tion ou l’oppression, ce sont les deux manières vio­lentes de régler les con­flits soci­aux, la pre­mière étant plus bru­tale que la sec­onde. Mais ne con­fon­dons pas la vio­lence avec la bru­tal­ité. Il y a une vio­lence bru­tale, c’est celle qui frappe l’imagination. Elle est spec­tac­u­laire. Elle use du fer, du feu et du sang. Mais il y a aus­si une vio­lence moins appar­ente, non moins réelle, c’est la vio­lence établie, la vio­lence instal­lée, la vio­lence con­stante : celle que nous appelleront la vio­lence oppressive. »

« Sorel con­sid­érait la vio­lence pro­lé­tari­enne pra­tiquée dans l’expérience des grèves et opposée à cette vio­lence oppres­sive comme le seul moyen de sauver le mou­ve­ment ouvri­er de la dégénéres­cence du social­isme par­lemen­taire ; il écrivait : « La grève est un phénomène de guerre. C’est donc un gros men­songe que de dire que la vio­lence est un acci­dent appelé à dis­paraître des grèves.»… Or les événe­ments n’ont pas con­fir­mé les prévi­sions de Sorel. La vio­lence a dis­paru des grèves ou du moins elle s’est con­sid­érable­ment atténuée. » Lapierre cite un extrait de « Stratégie de la lutte sociale » de François Sel­l­i­er : « L’impossibilité d’un déploiement extrême des forces pour réalis­er un change­ment total par un acte unique de vio­lence a été recon­nue. Elle a entraîné de la part des syn­di­cats la néces­sité d’une tac­tique de ménage­ment des forces en vue de l’attaque con­tin­ue des posi­tions advers­es, par dif­férents moyens. La grève n’est qu’une des formes de l’état per­ma­nent d’une guerre où l’attaquant est le plus faible, en puis­sance absolue, des deux adversaires. »

La con­séquence de cet état de fait c’est que plus le mou­ve­ment syn­di­cal est puis­sant, plus la con­science ouvrière s’éloigne de ses formes les plus révo­lu­tion­naires. D’autre part, l’évolution des tech­niques d’armement n’a fait qu’accentuer encore l’écart entre les forces en présence. Au XIXe siè­cle, des deux côtés on avait des fusils, et au sabre pou­vait répon­dre la fourche, alors qu’il est impos­si­ble au mou­ve­ment ouvri­er de pos­séder des tanks, ni des avions, ni du napalm, etc.

Lapierre fait ensuite quelques remar­ques : « C’est dans les pays où les tra­vailleurs ont le niveau de vie le plus élevé que les con­flits raci­aux sont les plus violents. »

La vio­lence et le tiers monde, André Nouschi.

Nouschi fait remar­quer que « le colo­nial­isme rompt les cadres et les formes de la vie rurale, de la vie urbaine, de l’artisanat clas­sique, de l’agriculture. Il dis­loque les cir­cuits du com­merce intérieur et du com­merce extérieur. […] Le trau­ma­tisme est d’autant plus sérieux que la coloni­sa­tion ne se préoc­cupe pas, orig­inelle­ment, d’éduquer les pop­u­la­tions colonisées », d’où « dishar­monie », et for­ma­tion de forces de rup­ture, de refus, de retour vers le passé. À ce refus qui émane du colonisé « cor­re­spond en face un autre refus : celui du colonisa­teur qui impose la sépa­ra­tion d’avec le colonisé. Le colonisa­teur rejette l’autre dans un ghet­to sans s’occuper de ce qu’il pense, mais il lui fait pren­dre aus­si con­science de son unité. Ce qui explique qu’au‑delà et peut‑être avant la lutte con­tre l’aliénation économique se situe le com­bat pour retrou­ver la nation per­due… ain­si que le mythe, ce qui est plus impor­tant et plus grave, c’est‑à‑dire la cul­ture, ou une cer­taine idée de la cul­ture et du passé, tels qu’on les imagine ».

Un autre aspect de la vio­lence, relatif au tiers monde, est évo­qué à pro­pos des con­flits soci­aux, dans cette ques­tion : « Les tra­vailleurs des sociétés indus­trielles peu­vent, sans trop de vio­lence, arracher aux déten­teurs du pou­voir économique cer­tains avan­tages, mais savent‑ils et veulent‑ils savoir que leurs con­quêtes sociales sont payées du prix de la mis­ère des paysans, des mineurs, des débardeurs d’Afrique, d’Asie du Sud‑Est, ou d’Amérique latine ? ».

Vio­lence inter­na­tionale, Jean Dupuy.

« Per­son­ne ne s’est jamais choqué, pen­dant des siè­cles, que l’on par­lât d’un droit des États à faire la guerre. C’est même un des critères de l’État, le car­ac­tère spé­ci­fique de l’État. »

Dupuy mon­tre com­ment le nation­al­isme est à la base des con­flits présents et passés et que c’est là une notion bien dif­fi­cile à extir­p­er d’autant qu’elle se drape dans les plis de l’amour de la patrie, de l’honneur et autres épices. « Si le nation­al­isme n’entraîne pas néces­sairement le recours à la vio­lence, et peut même faire appel dans son com­bat, à la non‑violence, il favorise, le plus sou­vent, les justifica­tions de l’appel à la force. »

La vio­lence inter­vient aus­si par les pres­sions économiques qu’exercent cer­taines puis­sances sur les pays sous‑développés, au besoin sous forme de dons (stade suprême de l’impérialisme, dit Dupuy) qui sous cou­vert d’assistance char­i­ta­ble assurent des monopoles de débouchés pour leurs pro­pres indus­tries et pèsent lour­de­ment sur les cours des matières pre­mières, appau­vris­sant ain­si con­stam­ment les pays qu’ils pré­ten­dent aider.

Enfin après avoir mon­tré l’inefficacité de l’Onu pré­cisé­ment parce que c’est un organ­isme qui émane d’États qui n’envisagent nulle­ment de renon­cer à leur « droit » de faire la guerre, Dupuy envis­age comme Proud­hon la sup­pres­sion de l’État et son rem­place­ment par le fédé­ralisme, « mais il y a l’approche quo­ti­di­enne, et celle‑ci bien sûr, ne con­siste pas à s’en tenir à un mod­èle par­fait autrement que comme puis­sance d’engagement, comme phare, ou comme étoile dans la nuit interétatique ».

Vio­lence et non‑violence, Fran­cis Jean­son et Lan­za del Vasto.

Ici nous avons deux exposés sous forme de dia­logue, qui posent le prob­lème de la vio­lence, de la révo­lu­tion, de la jus­tice sociale de deux points de vue distincts.

F. J.: « La ques­tion est de savoir si l’on peut, par exem­ple, courir le risque de mourir, et, cor­réla­tive­ment, celui d’avoir à faire mourir, afin de ren­dre pos­si­ble un véri­ta­ble affron­te­ment. Non plus un affron­te­ment des vies réduites à se nier l’une l’autre pour sur­vivre, mais un affron­te­ment des con­sciences qui puisse débouch­er sur un véri­ta­ble dia­logue… Le refus de la vio­lence ne saurait en aucun cas se présen­ter sous une forme incon­di­tion­nelle. Je veux dire que refuser les actes vio­lents, tout en lais­sant les indi­vidus dans un état de vio­lence, me paraît une forme de tricherie, et finale­ment, la révolte peut fort bien être, avec tout ce qu’elle implique de com­porte­ments réels, con­crets, la con­di­tion préal­able du vrai dia­logue… Lorsque nous par­lons con­tre la vio­lence, quand nous prenons rad­i­cale­ment et incon­di­tion­nelle­ment posi­tion con­tre la vio­lence, nous enga­geons le sort d’un grand nom­bre d’hommes à tra­vers le monde ; or nous n’avons pas le droit de le faire… Je pense sim­ple­ment que nous avons tous à nous situer par rap­port à ce fait que des hommes, ici ou là, ne sup­por­t­ent pas l’oppression dont ils sont vic­times et entre­pren­nent de lut­ter con­tre cette oppression. »

L. D. V.: Une pre­mière remar­que pour not­er que tous ceux qui utilisent la vio­lence ou qui la provo­quent sont per­suadés d’être dans leur bon droit, puis Lan­za del Vas­to pré­cise ce que les non‑violents enten­dent par vio­lence : « Tout ce qui vio­le l’ordre naturel et har­monieux des choses. Par con­séquent, tout men­songe, toute injus­tice est une vio­lence latente qui, un jour ou l’autre, devien­dra for­cé­ment une vio­lence patente. » D’autre part, « si nous avons à choisir entre le vio­lent, même dément, et l’hypocrite, nous préférons le vio­lent. Si nous avons à choisir entre le vio­lent révo­lu­tion­naire ou contre‑révolutionnaire, et le lâche, nous préférons le révo­lu­tion­naire, et même le contre‑révolutionnaire en nous forçant un peu… Les vrais vio­lents sont ceux qui ont trop, et qui, naturelle­ment veu­lent avoir plus. Car une fois qu’on est entré dans le trop, il n’y a plus de lim­ites. Et puis il y a ceux qui veu­lent domin­er les autres. Ils sont tou­jours vio­lents, tou­jours, et dans tous les régimes. C’est pourquoi nous nous refu­sons à toutes les poli­tiques, car la poli­tique con­siste à acquérir la pos­si­bil­ité de forcer les gens à faire ce qu’ils ne veu­lent pas faire… Com­ment s’appelle le déchaîne­ment de la vio­lence légitime ? Cela s’appelle guerre ou cela s’appelle révo­lu­tion. Et des deux côtés, les com­bat­tants refusent le dia­logue. Leur adver­saire ne com­prend que le lan­gage de la force, et il s’agit de le met­tre sur les genoux. »

F. J.: « On fait peser sur nous l’exigence d’un com­porte­ment absolu. En fait, il me sem­ble que nous devons par­tir de cette réal­ité que nous sommes de ce monde humain tel qu’il est, c’est‑à‑dire avec tout ce que cela com­porte d’absolument relatif… On ne nous a pas demandé si nous voulions être vio­lents ou non vio­lents, on nous a jetés dans un monde où la vio­lence est un fait per­ma­nent et où des hommes ont en tout cas, besoin d’y répon­dre par la vio­lence… Les valeurs morales dont nous pou­vons nous réclamer ont juste­ment cette car­ac­téris­tique, à quelque époque que ce soit, de n’être pas des valeurs uni­verselles parce que si elles l’étaient, il n’y aurait plus de prob­lème moral, nous seri­ons tous des êtres par­faite­ment moraux, sachant par­faite­ment ce qu’ils devraient faire… Aus­si longtemps que les valeurs dont je me réclame ne seront pas recon­nues par beau­coup d’autres hommes, je suis con­va­in­cu, per­son­nelle­ment, que ces valeurs ne seront pas encore val­ables. Elles me ser­vent tout juste à me guider tant bien que mal au niveau de con­science où je suis par­venu, en fonc­tion de mon appar­te­nance à tel milieu social, à tel pays, etc. Mais je ne pense pas qu’aucun d’entre nous, tout seul, puisse dire : « Voilà une dis­tinc­tion absolue, et je m’y tiens parce que je la sais être vraie ».

* * *

Cette suite d’exposés se ter­mine donc par un dia­logue après avoir fait des analy­ses du phénomène « vio­lence ». Or à l’issue de ce dia­logue ou du moins de ce qui est tran­scrit dans le livre, on ne sem­ble pas être arrivé très loin dans la com­préhen­sion mutuelle ; il y a même un cer­tain blocage sur les notions de « vérité » chez Jean­son et de « révo­lu­tion » chez Lan­za del Vas­to qui empêche d’aboutir à une syn­thèse com­mune. Je pense que notre sit­u­a­tion de révolution­naires non vio­lents devrait nous per­me­t­tre d’être une passerelle pos­sible entre ces deux modes de pen­sée et d’action et qu’il nous incombe de réus­sir à faire la syn­thèse, faute de quoi nous per­drons la non-­vi­o­lence en route, et nous devien­drons stal­in­iens tout en nous en défen­dant, ou la révo­lu­tion, et nous devien­drons au mieux des soci­aux­-démoc­rates, au pire des libéraux human­istes (ou les deux à la fois!).

M. Bou­quet