La Presse Anarchiste

L’anarchisme

Exposé de Julian Beck, fait à Cefalu en mars 1968.

« Je pense que la vie telle qu’elle est actuel­le­ment demande à être radi­ca­le­ment trans­for­mée. Il faut se débar­ras­ser de l’argent. Au point où nous en sommes, une action extrême est deve­nue néces­saire. Aus­si le rôle de l’artiste est‑il de pro­pa­ger cette idée d’action extrême : il faut ren­ver­ser la vapeur. L’homme a été endoc­tri­né, limi­té, amoin­dri pen­dant des siècles ; il demande à être libé­ré de la pres­sion constante qui l’écrase et dont seule une action extrême peut le libé­rer. Nous pou­vons constam­ment affai­blir le sys­tème de domi­na­tion et le saper de manière qu’il soit prêt à s’écrouler quand nous lan­ce­rons le grand assaut final. Tou­jours pen­ser et agir comme si la révo­lu­tion allait écla­ter dans l’immédiat ou dans un très proche ave­nir, j’en fais l’enjeu de ma vie. Le seul reproche que je m’adresse est de ne jamais en faire assez pour que cet objec­tif soit atteint, de ne jamais aller assez loin dans l’action la plus directe pos­sible. Aujourd’hui, d’après ce que je vois, ce que j’entends et ce que je lis, il y a un puis­sant mou­ve­ment de liber­taires qui se déve­loppe à tra­vers le monde : ils ne se contentent pas de se reti­rer de la socié­té, ils ont pas­sé à l’attaque contre elle. Le moment de l’action directe est arri­vé. Il ne s’agit plus de se conten­ter de scier les pieds de cette struc­ture qui nous domine, mais de fon­cer dedans car­ré­ment. L’idée qui semble faire son che­min est qu’une guerre de gué­rilla doit com­men­cer (en cer­tains endroits elle a déjà com­men­cé), et elle néces­site la créa­tion de cel­lules en contact les unes avec les autres à tra­vers le monde, selon la notion de Bakou­nine, de manière à consti­tuer un réseau de coopé­ra­tion, d’information, de pro­duc­tion, et de dis­tri­bu­tion d’éner­gie. Ain­si, une fois les forces uni­fiées, ces cel­lules pour­ront fonc­tionner tota­le­ment à l’extérieur de la socié­té d’exploitation. Si une masse énorme et puis­sante de plu­sieurs mil­lions (ou dizaines de mil­lions) de per­sonnes s’étant orga­ni­sées ain­si dans un réseau de coopé­ra­tion, étant deve­nues capables de sub­ve­nir à leurs propres besoins, déci­daient au moment vou­lu de rompre avec le sys­tème d’exploitation et de ces­ser d’utiliser l’argent, rien ne pour­rait les arrê­ter. Le sys­tème s’écroulerait et les moyens de pro­duc­tion tom­be­raient entre les mains de ceux qui étaient aupa­ra­vant diri­gés et exploi­tés. Les cel­lules devront être prêtes à assu­mer la coor­di­na­tion des chan­ge­ments éco­no­miques, sociaux, poli­tiques, cultu­rels, psy­cho­lo­giques. (Atten­tion : il s’agit de coor­don­ner, pas de diri­ger.) Ce sera le grand affron­te­ment. Ce sera une période de grandes dif­fi­cul­tés, mais aus­si de grande créa­ti­vi­té et de grande illu­mi­na­tion pour les indi­vi­dus comme pour les col­lec­ti­vi­tés dont les apti­tudes latentes pour­ront enfin se mani­fes­ter concrètement.

« L’anarchiste a un côté apo­ca­lyp­tique. Il est conscient du fait que, si l’action révo­lu­tion­naire n’est pas immé­dia­te­ment entre­prise sur une grande échelle, la puis­sance de domi­na­tion, d’exploitation et de des­truc­tion du capi­ta­lisme aura rai­son de nous. Nous ne pou­vons pas comp­ter sur une évo­lu­tion “dans le bon sens” de la socié­té : la bour­geoi­sie ne per­met­tra aucune évo­lu­tion effec­tive autre que celle qui aug­men­te­ra et amé­lio­re­ra sa domi­na­tion. L’évolution “natu­relle” des socié­tés vers la liber­té n’existe pas, ou si elle existe elle est neu­tra­li­sée par les diri­geants qui en ont peur.

« Donc, l’action indi­recte (ou dif­fé­rée) est désor­mais insuf­fi­sante. Ceux qui sont exploi­tés, ceux qui meurent dans les guerres, ceux qui sont les vic­times per­ma­nentes du sys­tème dans l’un ou l’autre de ses aspects, le racisme par exemple, ne peuvent plus attendre. Free­dom now, pas dans dix ans. Seule l’action directe est main­te­nant effi­cace, seule l’unification des forces est utile. II est donc impor­tant de com­mettre des actes comme de pro­tes­ter direc­te­ment contre les sous‑marins ato­miques, […] comme de refu­ser de ser­vir dans l’armée (ain­si que le font des mil­liers de déser­teurs en ce moment par oppo­si­tion au gou­ver­ne­ment amé­ri­cain et à la guerre du Viet­nam) — quoi qu’en disent les défen­seurs de l’ordre bour­geois, ce sont des actions exem­plaires. II faut agir main­te­nant, car nous vivons main­te­nant. « Je suis anar­chiste. Je veux détruire l’armée. Je veux détruire le gou­ver­ne­ment. J’estime néces­saire de m’opposer à eux et de le leur dire. Je ne veux pas d’une liber­té limi­tée. » L’anarchisme ne recon­naît pas comme sacré le droit à la pro­prié­té, il le recon­naît comme un pro­duit de l’exploitation de l’homme par l’homme et, au contraire, il prône la légi­ti­mi­té de l’expropriation. Si des tra­vailleurs occupent les usines, les centres de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion, et qu’ils les font fonc­tion­ner à leur propre pro­fit et à celui des autres, ils arra­che­ront l’économie des mains des patrons (les­quels appel­le­ront au secours leurs assis­tants : la police et l’armée). N’empêche que le pro­blème est là et qu’il va fal­loir le résoudre. La solu­tion anar­chiste : l’autogestion.

« Com­ment restruc­tu­rer l’économie ? Com­ment appor­ter les pommes à la ville ? Qui fera quoi ? Qui s’occupera de l’électricité ? Qui s’occupera des trans­ports ? Qui s’occupera des enfants ? Les cel­lules devront pré­voir cela. Même les anar­chistes reli­gieux comme Gand­hi ou Mar­tin Buber pensent qu’il faut restruc­tu­rer la socié­té de fond en comble pour per­mettre un maxi­mum de liber­té (alors qu’aujourd’hui on nous en accorde un mini­mum). La pen­sée anar­chiste a beau­coup influen­cé Marx, qui s’est ins­pi­ré de Saint‑Simon, Owen, Fou­rier et sur­tout Prou­dhon, bien qu’un ter­rible conflit l’ait oppo­sé à Bakou­nine par la suite. Il y a même des “anar­chistes catho­liques” en Amé­rique (leur jour­nal est The Catho­lic Wor­ker), ils sont très actifs et très cri­tiques envers les aspects éco­no­miques et auto­ri­taires de l’Eglise. Depuis les Dig­gers en Angle­terre, à l’époque de Crom­well, jusqu’en 1936, en Cata­logne, il y a eu des anar­chistes qui ont réus­si à éli­mi­ner l’exploitation et l’argent. La socié­té anar­chiste rem­pla­ce­ra la “loi du plus fort” par la soli­da­ri­té et l’entraide (mais une entraide réelle, pas une aumône sym­bo­lique comme celle que l’Etat fait aux pauvres). La socié­té anar­chiste rem­pla­ce­ra la répres­sion et la dic­ta­ture par l’exercice de la liber­té à tous les niveaux, depuis la manière non puni­tive d’élever les enfants jusqu’à la manière non poli­cière de résoudre les pro­blèmes sociaux.

« Notre tra­vail actuel­le­ment est donc un tra­vail de pro­pa­gande et de pré­pa­ra­tion révo­lu­tion­naire : pro­pa­ger l’idée et unir les forces. (Entre­tiens…, pp. 264 à 266.)

« Les gens disent que les anar­chistes ne peuvent rien accom­plir parce que jamais trois anar­chistes ne se sont mis d’accord sur quoi que ce soit. Ce que nous recher­chons (et quand je dis “nous” cela englobe tous les jeunes qui tra­vaillent dans cette direc­tion, que ce soit des ouvriers ou bien les étu­diants révo­lu­tion­naires à tra­vers le monde), ce vers quoi nous ten­dons, c’est plu­tôt une situa­tion sociale. Pas une struc­ture, mais une situa­tion à l’intérieur de laquelle les groupes ou les indi­vi­dus, y com­pris les plus extrêmes solistes, pour­raient tra­vailler ensemble. Une situa­tion qui per­met­trait tous les types d’activité. Cela n’exclurait pas la pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique ni, dans une cer­taine mesure, le lea­der­ship. Il faut que nous appre­nions à nous orga­ni­ser socia­le­ment sans com­mettre d’ingérence dans la liber­té de cha­cun, sans obli­ger qui que ce soit à four­nir un tra­vail qu’il ne veut pas four­nir. Il y a un cer­tain nombre de pro­blèmes pra­tiques — la divi­sion du tra­vail, la dis­tri­bu­tion des biens et pro­fits, etc. — pour les­quels il va fal­loir trou­ver des solu­tions nou­velles. Ceux qui tra­vaillent main­te­nant pour le Penta­gone et pour le sys­tème de dis­tri­bu­tion capi­ta­liste, qui décident com­bien de nour­ri­ture va être détruite alors que la popu­la­tion de l’Inde crève de faim (il ne faut pas que les prix baissent!), tous ces admi­nis­tra­teurs de merde pour­raient très bien trou­ver une solu­tion adé­quate si le sys­tème qui les enferme était aban­don­né. Le prin­cipe de base de l’anarchie n’est pas anti‑organisationnel, il est anti‑autoritaire, ce qui n’est pas pareil. Pour l’ins­tant, toute l’organisation sociale est fon­dée sur un sys­tème auto­ri­taire violent, mais c’est une erreur de croire qu’il devra tou­jours en être ain­si. Non seule­ment cela peut chan­ger, mais cela doit chan­ger. Il va fal­loir trou­ver indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment, en groupes ou en com­munes, la solu­tion de ces pro­blèmes éco­no­miques et sociaux, à l’exclusion de toute solu­tion auto­ri­taire et vio­lente. Cer­tains jeunes aujourd’hui s’orientent dans la bonne direc­tion en se livrant à des expé­riences, certes limi­tées et mal­adroites, mais grâce aux­quelles de nou­velles solu­tions sont explo­rées. C’est ce que fait le Living Theatre. » (J. M., Entre­tiens…, pp.15‑16.)

[(Le texte qui suit est extrait de Revo­lu­tion at the Brook­lyn Aca­de­my of Music, publié dans la revue Tulane Dra­ma Review au prin­temps 69. L’auteur de cet article est Ste­fan Brecht, fils de Ber­tolt Brecht.)]

Leur anar­chisme est moderne et amé­ri­cain, tenant pour sus­pecte la rigueur morale, indif­fé­rent à l’économie, dédai­gnant le pou­voir de la struc­ture sociale, socio­lo­gi­que­ment nomi­na­liste (réa­liste): l’État est un état d’esprit. En s’inspirant de Paul Good­man, ils ont adap­té l’anarchisme de Kro­pot­kine (entraide, fédé­ra­lisme com­mu­nau­taire), de Prou­dhon (har­mo­nie des forces oppo­sées) et de Tol­stoï (non‑violence), en sub­sti­tuant au scien­ti­fisme des deux pre­miers un mys­ti­cisme indien (hin­dou, yogi, boud­dhiste) et peut‑être un peu hébreu et zen, et pour leur posi­tion éthique une psy­cho­lo­gie com­bi­nant quelques traits des théo­ries de Wil­helm Reich (éco­no­mie sexuelle, ana­lyse carac­té­rielle, orgone per­son­nelle et éner­gie cos­mique). Cette psy­cho­lo­gie per­çoit l’individu comme l’anarchisme voit tra­di­tion­nel­le­ment la socié­té et leur sert de base pour cette socio­lo­gie anar­chiste tra­di­tion­nelle. Dans la tra­di­tion anar­chiste, leurs spec­tacles sont des attaques contre l’autorité. Puisque, selon cette tra­di­tion, dans la vie sociale comme dans la « psy­chè », on peut faire confiance à la spon­ta­néi­té pour engen­drer la forme, et au libre jeu des forces natu­relles pour faire naître l’harmonie ; ils assi­milent l’autorité à la répres­sion. Ils n’attaquent pas l’injustice d’un point de vue moral ni l’Etat ou les classes diri­geantes d’un point de vue socio­lo­gique, mais la répres­sion dans l’individu sur le plan psy­cho­lo­gie, la répres­sion ori­gi­nelle, l’autorépression, source et ori­gine de la répres­sion dans la socié­té. C’est seule­ment parce que le cœur, l’origine de cette répres­sion est celle de la libi­do (répri­mée par crainte du « pou­voir » qui par le biais de cette répres­sion revêt l’apparence de l’autorité res­pec­tée) qu’ils reven­diquent l’amour libre — non pas en ado­ra­teurs d’Eros, mais comme nour­ri­ture et comme condi­tion néces­saire à la créa­ti­vi­té spon­ta­née et à l’amour.

Pour eux, l’histoire est la roue de la vie à laquelle l’homme est enchaî­né par son ego, par une cui­rasse carac­té­rielle effroya­ble­ment défen­sive qui réprime ses ins­tincts libi­di­neux au lieu de les orga­ni­ser ration­nel­le­ment et qui, par là, le rend impuis­sant dans les rela­tions inter­individuelles d’amour et de confiance défi­nis­sant la com­munauté, le for­çant au contraire à accep­ter les rela­tions imper­sonnelles fon­dées sur les valeurs, les conven­tions et l’inté­rêt qui régissent les socié­tés (qui ne sont ni com­mu­nau­taires ni civi­li­sées) et à s’appuyer sur l’autorité régu­la­trice de l’Etat (les lois en vigueur). De plus, cette cui­rasse de l’ego inter­dit l’approche des res­sorts vivi­fiants de l’énergie cos­mique de la vie, tue les facul­tés de créa­tion spon­ta­née et rend ain­si impos­sible toute ten­ta­tive de remé­dier à sa misère. L’homme alié­né crée l’Etat et en a besoin ; de toute façon, il n’a ni l’imagination ni l’amour néces­saires à son dépassement.

La condi­tion humaine est la ser­vi­tude volon­taire non fon­dée sur la nature, contraire à cel­le­-ci, mais se per­pé­tuant elle­-même en cercles vicieux :

Ego — Etat — ego

amour alié­nant — enfants‑alié­nés — amour aliénant

socié­té contrac­tuelle — Etat — socié­té contractuelle

répres­sion de la libi­do — trans­formation de l’amour en haine, perte de l’énergie créa­trice — répres­sion de la libido

Etat répres­sif — révo­lu­tion ré­pressive — Etat répressif

vio­lence — contre‑violence — violence

Seul un bond mira­cu­leux peut libé­rer l’individu et l’humanité de cette roue : une réac­tion en chaîne de créa­ti­vi­tés spon­ta­nées, une révo­lu­tion spi­ri­tuelle se pro­pa­geant d’elle‑même. Le Living Theatre tend à contri­buer à ce miracle par sa magie. Leur méta­phy­sique athée mais vita­liste, contre­poids « amé­ri­cai­ne­ment opti­miste » à la vision para­noïde d’Artaud de la démarche déses­pé­rée de l’homme contre un uni­vers des­truc­teur et cruel­le­ment mau­vais, rem­place la tra­di­tion­nelle foi anar­chiste en la rai­son pra­tique, la bonne volon­té et l’évolution par une confiance aveugle accor­dée aux sen­ti­ments et à l’énergie créatrice.
L’esprit com­mu­nau­taire anar­chiste de la troupe est lié, aux doc­trines hin­doue et boud­dhiste du « para » et du « nir­va­na », reje­tant non seule­ment l’individualisation cor­po­relle, mais aus­si l’individualisation spi­ri­tuelle et tout inté­rêt pour elle, en soi ou chez les autres. L’unité abso­lue et pure dans laquelle le « moi » doit se réa­li­ser ou se perdre peut être pour quelques membres de la troupe l’esprit com­mu­nau­taire, pour d’autres une concep­tion feuer­ba­chienne de l’humanité, et seule­ment pour quelques‑uns le « para » ou le « nir­va­na » […], mais tout leur véri­table amour est cen­sé aller dans ce sens. Inci­dem­ment, la troupe réser­ve­rait son amour pour les rela­tions sexuelles per­son­nelles — cf. la sus­pi­cion sys­té­ma­tique de Reich pour le Zärt­li­ch­keit agé­ni­tal (ten­dresse).

L’anarchisme rejette tra­di­tion­nel­le­ment la par­ti­ci­pa­tion à la vie poli­tique ins­ti­tu­tion­na­li­sée comme auto­ri­taire par essence et dans ses consé­quences ; mais ce nou­vel anar­chisme, à cause de sa psy­cho­lo­gie, rejette aus­si bien les solu­tions telles que le com­plot insur­rec­tion­nel, le syn­di­ca­lisme et la for­ma­tion des mêmes formes de com­munes éco­no­miques uto­piques qu’ils essayent eux‑mêmes de réa­li­ser. La coer­ci­tion opé­rée au cours des insur­rec­tions ren­force dans le psy­chisme les fon­de­ments des ins­ti­tu­tions coer­ci­tives ; le défi de la confron­ta­tion les affai­blit. Le syn­di­ca­lisme fait non seule­ment appel aux (faux) inté­rêts de classe de l’ego, mais il engendre une auto­ri­té bureau­cra­tique. Les com­munes uto­piques, comme la Nou­velle Socié­té anar­chiste, pré­sup­posent l’«homme nou­veau ». Ain­si, le nou­vel anar­chisme en est réduit à l’agitation et à la propagande.

L’agitation de l’anarchisme d’autrefois oscil­lait entre la dis­cur­sive épique et le dra­ma­tique. Dans la pre­mière veine, par la logique et la rhé­to­rique sur l’inégalité et sur l’inutilité de l’État et des mono­poles pro­té­gés par ce der­nier, le vieil anar­chisme fai­sait appel à la rai­son et à la bonne volon­té des indi­vi­dus et des classes qui étaient cen­sés en être pour­vus, ou encore remuait les vio­lents sen­ti­ments issus des souf­frances des dépos­sé­dés, de leur haine de l’oppression, de leur res­sen­ti­ment devant l’injustice, de leur déses­poir devant la misère. La pro­pa­gande par le fait appar­tient à la veine dra­ma­tique : les actes sym­bo­liques d’amour sacré et de des­truc­tion cri­mi­nelle étaient moins des­ti­nés à l’efficacité poli­tique qu’à ébran­ler l’édifice social en frap­pant l’imagination du peuple, en détrui­sant le pou­voir des sym­boles conser­va­teurs, en met­tant en valeur les sym­boles de la liber­té, les mythes du pou­voir par l’assassinat de chefs d’État, le meurtre de poli­ciers, l’incendie d’églises, la des­truc­tion d’archives, les atten­tats à la bombe et les dyna­mi­tages gratuits.

Il est clair que l’appel à la rage envieuse ne mar­che­ra pas pour le nou­vel anar­chisme. Mais les appels à la rai­son et à la bonne volon­té non plus, car ils ne peuvent, dans une réa­li­té sociale don­née, struc­tu­rée par les ten­dances à l’appropriation, à la thé­sau­ri­sa­tion et par les aspi­ra­tions anta­go­nistes de l’ego, évi­ter d’adopter les moyens et même les fins de cette réa­li­té. La rai­son ne peut ser­vir l’anarchie que par­mi les anar­chistes ; elle ne peut convertir.

Ste­fan Brecht

(Tra­duc­tion : Michel Bouquet) 

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