La Presse Anarchiste

Article 50 et répression

Après de nom­breuses luttes, après la grève de la faim de Lecoin, l’objection de conscience fut recon­nue en France par un texte de loi (décembre 1963) per­met­tant d’effectuer un ser­vice civil.

Ce sta­tut est vite appa­ru comme un moyen de se débar­ras­ser de quelques gêneurs en mar­gi­na­li­sant l’objection. Les dif­fé­rents articles qui consti­tuent ce texte n’ont d’ailleurs d’autre but que de res­treindre le nombre des objec­teurs. L’article 50 se trouve aujourd’hui pla­cé au pre­mier rang de l’actualité :

« Art. 50. Est inter­dite toute pro­pa­gande, sous quelque forme que ce soit, ten­dant à inci­ter autrui à béné­fi­cier des dis­po­si­tions de la pré­sente sec­tion dans le but exclu­sif de se sous­traire aux obli­ga­tions mili­taires. Toute infrac­tion aux dis­po­si­tions du pré­sent article sera punie d’un empri­son­ne­ment de six mois à trois ans et d’une amende de 400 F à 10 000 F. »

Aus­si sur­pre­nant que cela puisse paraître, un texte de loi com­porte un article inter­di­sant sa libre diffusion.

Cet article est si peu consti­tu­tion­nel que M. Joël Le Theule, rap­por­teur de la majo­ri­té, déclare : « L’article 50 du pro­jet de loi reprend une dis­po­si­tion du texte de 1963, très pré­ci­sé­ment l’article 11, qui inter­dit toute pro­pa­gande, sous quelque forme que ce soit. La rédac­tion de cet article est très ambi­guë. Seule la pro­pa­gande est visée mais la fron­tière entre pro­pa­gande et infor­ma­tion est dif­fi­cile à tra­cer d’autant plus qu’il est fait appel en l’occurrence de cri­tère d’intention. Après une longue dis­cus­sion, la com­mis­sion de la Défense natio­nale a fina­le­ment adop­té un amen­de­ment ten­dant à sup­pri­mer cette dis­po­si­tion. » (« Le Jour­nal offi­ciel » du 7 avril 1971, p. 907.)

Et, plus loin : « Cet article a sus­ci­té les cri­tiques de nom­breux com­men­ta­teurs. L’un d’entre eux, un magis­trat, s’est éton­né de voir le légis­la­teur sou­hai­ter ouver­te­ment qu’une loi ne soit pas por­tée à la connais­sance du public. Ce serait aller à l’encontre de l’adage selon lequel “nul n’est cen­sé igno­rer la loi”» (« Jour­nal offi­ciel » du 8 avril 1971, p. 954.)

Mal­gré cela et mal­gré l’amendement de MM. Vil­lon et Duro­méa, M. Debré (ministre d’Etat char­gé de la Défense natio­nale) fait adop­ter l’article.

La fron­tière entre pro­pa­gande et infor­ma­tion ? M. Debré ne s’est jamais pro­non­cé sur cette ques­tion, et la seule réponse de notre cher ministre à ce sujet fut : « Il appar­tient aux tri­bu­naux judi­ciaires de déter­mi­ner, dans l’exercice de leur pou­voir sou­ve­rain, s’ils se trouvent dans chaque cas d’espèce qui leur est sou­mis en pré­sence d’un acte d’information licite ou d’un fait de pro­pa­gande. » Depuis l’apparition du sta­tut, l’article 50 ne fut jamais appli­qué. Mais, au moment où l’objection poli­tique se déve­loppe, au moment où le nombre des objec­teurs (objec­teurs au ser­vice mili­taire, ren­voyeurs de livret mili­taire, refu­seurs d’impôts, etc.) com­mence à deve­nir plus impor­tant, l’Etat bour­geois attaque.

Alors qu’une rela­tive liber­té d’information sur l’objection avait été lais­sée pen­dant des années, on bran­dit pour la pre­mière fois l’article 50 (ancien article 11 ).

De nom­breuses per­sonnes sont pour­sui­vies dans toute la France. Après Bres­suire, c’est Mont­lu­çon, La Rochelle, Metz, Nantes, Rennes, Paris… sans comp­ter les enquêtes à Bor­deaux, Lyon, Besançon…

Le 28 avril 1971, les gen­darmes de Bres­suire, pro­cé­dant au contrôle d’un autos­top­peur (Jean‑Marie Bou­ny), en exa­mi­nant son sac à dos découvrent des tracts éma­nant du Ser­vice civil inter­na­tio­nal. Par la suite, Roger Pari­sot, à ce moment coor­di­na­teur des objec­teurs au SCI, sera éga­le­ment inculpé.

Au terme du pro­cès qui eut lieu à Bres­suire le 11 octobre 1971, Roger Pari­sot fut condam­né à 300 F d’amende et Jean‑Marie Bou­ny à 150 F. Après ce pro­cès, une ving­taine de per­sonnes qui dis­tri­buèrent le texte du sta­tut dans Bres­suire furent inter­pel­lées par la gen­dar­me­rie pour véri­fi­ca­tion d’identité.

Le 10 décembre, Roger Pari­sot et Jean‑Marie Bou­ny pas­sèrent en appel à Poi­tiers. Là, le tri­bu­nal se jugea incompétent.

Par­mi les autres incul­pa­tions nous pou­vons citer celles de :

— Paul Che­nard pour divul­ga­tion du sta­tut dans la feuille inti­tu­lée « Fais pas le zouave» ;

— René Cruse, ain­si que deux Ren­nais, à la suite d’une réunion publique d’information sur le ser­vice civil le 20 jan­vier 1971 ;

— Huit per­sonnes à Nantes, incul­pées pour avoir dis­tri­bué un tract à la foire com­mer­ciale. Ce tract repre­nait la lettre de Domi­nique Val­ton (objec­tion poli­tique) qu’il avait adres­sée à la com­mis­sion juri­dic­tion­nelle, etc.

À suivre…

Devant ces faits, quelque 200 per­sonnes se sont décla­rées tota­le­ment soli­daires des incul­pés. Elles déclarent avoir com­mis les mêmes « délits ». Elles demandent qu’une véri­table infor­ma­tion soit faite sur le sta­tut et qu’on puisse en béné­fi­cier à n’importe quel moment, quelles que soient les motivations.

Jacques Moreau

La Presse Anarchiste