La Presse Anarchiste

Paradise now

Parce que nous voulons la révolution
Et la révo­lu­tion n’aura pas sa place
Tant que nous n’aurons pas exor­cisé la violence
Car la vio­lence est contre‑révolutionnaire
La vio­lence est le pro­duit de notre civilisation
Et la vio­lence est le fonde­ment de notre civilisation
Et c’est notre civil­i­sa­tion que la révo­lu­tion veut détruire
La révo­lu­tion est un proces­sus de destruc­tion et de création
La révo­lu­tion est une destruc­tion créa­trice suiv­ie de pure création
La révo­lu­tion ne peut employ­er les tech­niques de la vieille civilisation
La vieille civil­i­sa­tion créa la vio­lence afin d’exécuter ses pro­pres des­seins violents
Et la révo­lu­tion n’a pas de des­seins violents
Elle a des buts de vie non violente
La vieille civil­i­sa­tion c’est la vio­lence du sys­tème social
La vio­lence de l’argent
Vio­lence du pou­voir autori­taire, armée, police
Vio­lence de la colère, vio­lence de l’orgueil, vio­lence de morale égoïste et de mort crapuleuse
Nous ne voulons pas la vio­lence, nous voulons la vie
Nous voulons être libres
Etre libre sig­ni­fie être libéré de la violence
C’est pourquoi un vrai révo­lu­tion­naire est non violent
C’est pourquoi nous trou­verons d’autres moyens de chang­er le monde
Nous voulons être libérés de l’état meurtrier
Nous voulons chang­er l’énergie de mort en énergie de vie
La vio­lence en création
Cha­cun doit être libre de manger
La révo­lu­tion veut arrêter toutes les guer­res, tous les combats
La révo­lu­tion veut don­ner à cha­cun l’occasion de s’élever
Si vous ne voyez pas que la vie est sim­ple­ment sacrée
Je n’accepte pas votre con­cep­tion du monde
Aus­si longtemps que vous pensez calme­ment à tuer
Nous ne nous élevons pas
Nous ne pou­vons nour­rir la mort
Nous ne pou­vons arrêter la guerre par la guerre
Nous voulons nous débar­rass­er de la contrainte
Toutes les armes répriment
Tous les meurtres sont antirévo­lu­tion­naires, antipoé­tiques, anti‑vie, anti‑amour et anti n’importe quoi
Les pau­vres brû­lent avec beauté parce qu’ils ne por­tent pas d’armes comme la police
L’ignorant et le mal­heureux brû­lent avec beauté parce qu’ils ne sont pas avides et corrompus
C’est le peuple
La révo­lu­tion ne peut cor­rompre le peuple
La révo­lu­tion ne peut appren­dre à tuer comme l’armée
La révo­lu­tion enseign­era d’autres choses
Nous sommes en 1969, je suis un réaliste
Je vois les ado­ra­teurs du Che
Je vois les Noirs for­cés d’adopter la violence
Je vois les paci­fistes dés­espérés et qui acceptent la violence
Je vois tout tout tout cor­rompu par les vibrations
Vibra­tions de la vio­lence de la civil­i­sa­tion qui brisent notre seul monde
Je vois la souf­france des Noirs dans mon pro­pre pays
et la souf­france de tout le tiers‑monde
J’ai vu la vio­lence du sys­tème qui fab­rique de la souf­france pour les sous‑privilégiés
Et nous devons détru­ire ce sys­tème, le sys­tème pas les hommes
Vous ne pou­vez abat­tre ce sys­tème en l’imitant
Vous ne pou­vez tuer un assas­sin sans en devenir un d’une façon ou d’une autre
Vous ne pou­vez arrêter la vio­lence par la violence
Vous voulez libér­er les pau­vres, vous voulez, vous avez besoin de faire quelque chose
Pour faire quelque chose vous avez choisi la violence
Parce que les gens au cœur mou croient faire quelque chose
Quand ils font quelque chose de violent
Il y a d’autres moyens de faire des choses pour libér­er les pauvres
Venez main­tenant nous sommes intel­li­gents nous révolutionnaires
Nous devons savoir ceci : tout mon théâtre, mes poèmes, toutes mes incan­ta­tions à la révo­lu­tion échoueront s’ils ne chas­sent pas la vio­lence par le feu et rejet­tent, avec des armées d’amoureux, la violence
La non‑violence n’est pas une tech­nique, n’est pas un sub­sti­tut pour les canons
La non‑violence est quelque chose que nous n’avons presque pas connu
C’est en soi‑même une révo­lu­tion, nous pou­vons envis­ager une révo­lu­tion réelle
Tant que nous ne fer­ons pas la pré­pa­ra­tion pour la révo­lu­tion et sen­tirons les choses différemment
Nous ne pou­vons chang­er le monde si nous ne nous changeons pas nous‑mêmes
Nous ne pou­vons avoir une société aux fonc­tions de ten­dresse si nous n’aimons pas
La vio­lence a effacé les sen­ti­ments et l’amour
C’est pourquoi nous savons dif­fi­cile­ment ce qu’est encore l’amour
Mais nous le saurons lorsque nous aurons effacé la vio­lence et l’argent, les mil­i­taires, l’inégalité
La révo­lu­tion plac­era le cap­i­tal­isme, la révo­lu­tion plac­era le mil­i­tarisme dans le passé
C’est le chemin. Finies les pris­ons, finies les ruelles des ghet­tos noirs
Fini le tra­vail toute sa vie pour le salaire
Finie la civil­i­sa­tion de la mort mourante et meurtrière
Fini avec la vie de la haine,
Dans la vie en fin de compte le fusil est la logique du penseur borné
La bombe est la jus­tice de la haine
La révo­lu­tion est basée sur l’amour
La révo­lu­tion tourne la roue elle favoris­era la vie
La rébel­lion est quelque chose d’autre elle favorise mais pas assez
La rébel­lion choisit la vio­lence parce qu’elle ne voy­ait pas en avant
Le goût de la vengeance est la forme de légal­ité admise par la vieille civilisation
La rébel­lion l’accepte, nous le refusons
La vio­lence ô mes con­tem­po­rains est le veau d’or de la révolution
Ce que nous désirons c’est l’énergie pas la violence
Nous voulons trans­former les buts de la révo­lu­tion avec nos corps blancs et noirs
Nous for­merons des cel­lules, nous désirons min­er la structure
Nous voulons assail­lir la culture
Nous repren­drons la parole de la nou­velle société, la nou­velle société libre
Nous con­stru­irons une sub‑structure de tra­vailleurs et d’organisateurs
Et un jour nous arrêterons d’employer de l’argent
Nous fer­ons seule­ment les travaux nécessaires
Nous lancerons des plans pour apporter des pommes en ville
Et vous irez dans le mag­a­sin pub­lic et vous pren­drez ce dont vous aurez besoin
Plus d’argent, plus de troc, plus d’emmerdements
Et si vous ne voulez pas tra­vailler vous ne devrez pas
Et tous les gens empêtrés dans l’argent, le gou­verne­ment, la bureau­cratie et la pro­duc­tion de vio­lence seront libres
Et si chaque homme tra­vaille dix heures par semaine le monde et la révo­lu­tion avanceront
Toutes les pris­ons s’ouvriront, s’il n’y a rien à vol­er il n’y a pas de vols
Il n’y a rien dans ce monde que je ne désire plus que votre amour, si j’ai quelque chose que vous voulez prenez‑le
Nous n’avons pas besoin de lois, nous avons besoin de sensibilité
La vio­lence est insen­si­bil­ité, l’argent est insen­si­bil­ité, nous cesserons d’employer de l’argent
Et les ban­ques s’écrouleront et l’armée s’écroulera sans argent
Les gou­verne­ments s’écrouleront et le peu­ple se lèvera
Nous n’avons pas besoin de gou­verne­ment, nous avons besoin d’une sim­ple administration
Le but du gou­verne­ment est de pro­téger l’argent, une sim­ple admi­nistration fait tourn­er la roue, pour nous c’est suff­isant, nous nous admin­istrons nous‑mêmes
Et il n’y aura pas de loy­er nous ne payerons pour rien, et ce sera notre monde
Le nôtre pour bais­er et pour en faire ce que nous voulons
Pour lui faire l’amour, se nour­rir et baiser
Nous désirons nour­rir et bais­er chacun
Main­tenant le but de la révo­lu­tion non vio­lente c’est la destruc­tion de l’argent
Quand nous brûlons l’argent, nous con­sumons le car­bu­rant des démons
Les démons de l’anti‑amour, du cap­i­tal­isme et de l’autoritarisme
Quand nous cesserons d’employer de l’argent l’âge de la civil­i­sa­tion et de l’angoisse s’écroulera
C’est aus­si sim­ple que cela
Quand nous renon­cerons à l’argent et à la vio­lence nous ren­verserons le manque de confiance
Quand nous renon­cerons à l’argent et à la vio­lence nous chang­erons tout
La révo­lu­tion con­tre la vio­lence est la révo­lu­tion qui libér­era chacun
La révo­lu­tion con­tre la vio­lence sous toutes ses formes est la révo­lution dont tous les hommes ont le désir et le besoin, ou nous mour­rons trop tôt
Vous ne pou­vez avoir une société com­mu­nau­taire avec la vio­lence à l’intérieur
La vio­lence divise et est anti‑communautaire
Vous ne pou­vez avoir la lib­erté indi­vidu­elle avec la vio­lence autour de vous
La vio­lence tyran­nise chacun
La rébel­lion vio­lente con­tre la vio­lence ne peut élim­in­er la violence
Ils ont dit que ça pou­vait marcher 10 000 ans
C’est un men­songe, nous regret­tons cela, et quand ils vien­nent à nous
Nous voulons les amadouer avec sainteté
Nous voulons les faire léviter avec joie
Nous voulons les ouvrir avec des vais­seaux d’amour
Nous voulons habiller le mal­heureux avec du lin et de la lumière
Nous voulons met­tre de la musique et de la vérité dans nos sous-vêtements
Nous voulons embras­er le pays et ses villes avec la création
Nous la fer­ons irré­sistible même pour les racistes
Nous voulons apporter la fer­til­ité aux champs de glace
Nous voulons chang­er le car­ac­tère démo­ni­aque de nos adver­saires en gloire productive
Nous voulons en changeant le monde nous chang­er nous‑mêmes
Nous voulons nous défaire de notre pro­pre corruption
Et au tra­vers du proces­sus de la révo­lu­tion nous trou­ver exis­tants non mourants
Et avant que nous fas­sions cela, la révo­lu­tion ne trou­vera pas sa place. 

Julian Beck

(1968, extrait de xyz, bul­letin libre des OC belges. Pre­mière pub­li­ca­tion Inter­na­tion­al Times, 12 juil­let 68.)


par

Étiquettes :