À 20 ans, une des formes de lutte contre l’autorité et l’État est l’insoumission au service militaire. La fonction essentielle de l’armée en temps de « paix » est l’apprentissage de la soumission. À coup de brimades, de sanctions, de chantage à la perm, de mitard, etc., les officiers détruisent la personnalité des individus et façonnent les futurs ouvriers qui entreront bien sagement dans le cycle de la production en respectant l’État‑Patrie‑Propriété‑privée et tout le sens de la sacro‑sainte hiérarchie. Mais cela ne suffit pas : il faut en plus diviser les militaires qui sont pour la plupart ouvriers ou paysans (les intellectuels trouvent assez facilement le moyen de se faire réformer). Des procédés aussi ignobles que le fayotage, l’élitisme et la guerre entre « bleus » et anciens sont employés. Cela a pour conséquence de détruire le sentiment de classe entre travailleurs et cela permet au pouvoir de se servir du contingent pour briser les grèves.
L’armée étant le principal pilier de l’État, lutter contre l’armée signifie aussi lutter contre l’État. Or accepter l’autorité du ministère des Affaires sociales pour ne pas avoir à subir celle de la Défense nationale est, à mon sens, un gros compromis. Accepter le statut, c’est reconnaître l’autorité de l’État et par là son armée, ce qui est aberrant de la part de gens qui se disent « révolutionnaires » ! ( Bien sûr, je mets de côté tous ceux qui font le service civil pour soulager leur petite conscience!) C’est aussi admettre que les rapports humains puissent être régis par des lois !
Rappelons que l’ordonnance de 59 existe et que par elle chaque civil est susceptible d’être réquisitionné à tout moment. De plus, la loi sur le service national d’avril 71 tente de faire croire que chacun DOIT un service à l’État. C’est la plus grande récupération que l’on ait fait des antimilitaristes en les foutant dans un service actif obligatoire, bientôt service civique avec encadrement de rigueur. Si certains se sont battus pour un statut qui représentait un moindre mal à une certaine époque, dans le contexte actuel, pourquoi tant de gens s’enferment‑ils dans ce statut en le considérant comme un but (« FAIS UN SERVICE CIVIL ! »)?
Une part importante de notre économie repose sur la fabrication et le commerce d’armes. De grands capitalistes ont bâti des fortunes sur le dos du tiers monde et des travailleurs… Mais qui s’est laissé prendre au jeu, sachant qu’un chercheur scientifique sur trois travaille pour l’armée, que certaines centrales syndicales réclament la mise en chantier de nouveaux sous‑marins atomiques, que des milliers de travailleurs fabriquent des chars, des canons, des fusils, etc., alors que la France est déjà le troisième producteur d’armes et fournit ses engins à tous les pays fascistes et racistes au mépris de sa propre « morale républicaine » ? L’ordonnance de 59 a renforcé cette militarisation et cette fascisation qui rentrent de plus en plus dans les mœurs. Il est important que, face à cette régression sociale, les hommes réagissent et prennent en main leur propre destinée et qu’ensemble ils construisent un monde sans classe où l’homme, qu’il soit algérien, bengali, turc ou juif, soit une valeur en tant qu’individu et non en tant que producteur ou chair à canon.
L’insoumission au service militaire n’a de sens que dans la continuité et la radicalisation d’une lutte totale. Face aux carcans de l’impérialisme moral et économique, il nous faut faire éclater les chaînes qui nous aliènent et nous conduisent à une mort certaine. Il s’agit de créer de vrais liens de vie et de travail et d’abattre ce qui creuse nos tombes. La révolution totale est destruction des structures de la société (technocratie, argent, culture…) et création, à dimensions humaines, de cellules (autogestion, conseils agricoles, communautés…). Ainsi, la révolution est une libération, à tous les niveaux, de chaque individu. Mais nous ne pouvons employer les mêmes moyens que toutes les sociétés établies par la force. Notre révolution sera communautaire et nous la construirons tous ensemble dans la non‑violence.
Persuadé, en effet, que le pouvoir est au bout du fusil, et persuadé aussi que la véritable révolution sera celle qui abolira le pouvoir, je choisis le combat non violent pour arriver à cet idéal.
Gaston Jambois
avec la collaboration de J. L., futur insoumis qui, pour des motifs de sécurité, tient à garder, encore, l’anonymat.