Continuité avec l’objection traditionnelle
L’objection politique au service militaire n’est pas une forme de lutte absolument nouvelle. Elle ne fait que radicaliser et expliciter la dimension véritable de l’objection de conscience. Le 21‑12‑63, le pouvoir accorde un statut aux objecteurs de conscience. Il désarmait ainsi pour un temps la combativité des successeurs directs de ceux qui, pendant la guerre d’Algérie, refusaient (pour des motifs humanitaires poussés à l’absolu) l’armée.
Ce n’est pourtant pas le respect des « raisons de conscience » qui expliquait cet acte du pouvoir. En instaurant le « service civil », ce dernier ne visait guère qu’à « occuper » quelques trouble‑fête dont on s’était assuré auparavant qu’ils n’étaient pas dangereux puisque « non violents », puisque « opposés en toute circonstance à l’usage personnel des armes ». Les luttes menées depuis plusieurs années, dans le cadre du service civil, ont peu à peu élargi la prise de conscience politique des objecteurs. Est peu à peu dépassé le point de vue primaire sur l’armée, sur la violence. Est progressivement remis en cause l’individualisme de la démarche.
Faire objection politique aujourd’hui c’est donc, en exigeant l’obtention d’un statut dont le but était la mystification et la neutralisation politique de ceux qui en bénéficiaient, s’inscrire à fond dans la logique d’une évolution qui s’opère sans beaucoup de bruit depuis plusieurs années.
Rupture
Et pourtant il y a rupture par rapport à l’objection de conscience traditionnelle. C’est un renversement de perspective. C’est révéler et exploiter d’un seul coup tout le potentiel révolutionnaire de ceux qui, à un moment ou à un autre, pour une raison ou pour une autre, ont su dire NON à l’armée, NON au pouvoir. C’est relier la démarche classique de l’objecteur à un combat dont l’enjeu dépasse peut‑être ses préoccupations habituelles : la lutte de classes.
Il est bien évident qu’en acceptant de faire sérieusement le détour d’une analyse politique du système social qui est le nôtre (et dont l’armée est l’instrument répressif nécessaire à sa survie), qu’en privilégiant le souci de l’efficacité révolutionnaire, on relativise aussitôt la démarche. Cela revient en effet à considérer l’objection au service militaire comme une stratégie particulière dont on n’est pas assuré à l’avance de l’efficacité. Cette attitude implique encore le soutien actif des autres formes de luttes contre l’armée de la bourgeoisie (insoumission, désertion, révolte du contingent).
Être objecteur politique, c’est développer sur le front de l’armée une tactique nouvelle. C’est tenter l’élargissement d’une brèche que le pouvoir avait, par opportunisme, tolérée dans son système d’asservissement des jeunes en votant la loi du 21‑12‑63.
Stratégie
La situation de celui qui fait objection politique est claire. L’originalité de l’attitude vient de ce que l’on joue simultanément sur deux plans (volonté d’affrontement direct avec le pouvoir, référence à la légalité bourgeoise), introduisant la contradiction sur le terrain même que le pouvoir croyait avoir soigneusement balisé.
Cette stratégie détermine certaines possibilités d’action qui sont actuellement à l’étude, et dont il faudra bientôt débattre. Quoi qu’il en soit des risques encourus par les objecteurs politiques, leur affrontement avec le pouvoir bourgeois doit être l’occasion d’ouvrir largement le front de l’armée. Il faut que cette lutte bien précise agisse comme un détonateur.
Bernard Péran