Indépendant Socialist Clubs, Youth Against War and Fascism et Progressive Labor sont des organisations plus ou moins centralisées qui se réclament du marxisme et recrutent principalement sur les campus. Les Marxist Clubs et les Socialist Clubs des campus sont généralement des regroupements apparemment décentralisés de jeunes socialisants ou qui se croient tels ; fortement noyautés par un des mouvements trotskystes.
Un « chapter » est généralement la branche locale d’une organisation nationale ; un « committee » est un regroupement provisoire de personnes diverses et pour poursuivre un objectif donné.
Drum (Dodge Revolutionary Union Movement) est l’un des groupuscules syndicalistes les plus connus. Il opère principalement parmi les ouvriers noirs de la région de Detroit.
Le SDS (Students for a Democratic Society) fut le premier véritable essai de rassemblement (en une seule organisation très décentralisée) des diverses tendances de la Nouvelle Gauche (blanche) au début des années soixante. Le SDS s’est scindé en plusieurs mouvements au cours de l’été 69 à la suite, selon les uns, des manœuvres du PL, dénoncées par les auteurs de ce texte. L’un des segments résultant de cette scission est les Weathermen qui pratiquèrent la guérilla urbaine pendant un an.
Il serait vain de vouloir expliquer ce qui sépare les diverses organisations et factions d’obédience marxiste. Le SDS comprenait des marxistes et des non-marxistes, et tous les marxistes n’étaient pas dans le SDS et ce d’autant plus que nombre d’entre eux se réclament du trotskisme et qu’ils sont nés des multiples excommunications dont cette tendance est coutumière (ndt).]]
Toutes les vieilles conneries des années trente nous reviennent. Tous les poncifs sur « la ligne de classe », « le rôle de la classe ouvrière », les « cadres », le « parti d’avant-garde », et la « dictature du prolétariat ». Et sous une forme encore plus vulgarisée. Le Progressive Labor n’en est pas le seul exemple, c’est seulement le pire. On perçoit la même connerie dans les réunions de cellules, les comités ouvriers, le bureau national du SDS, les divers clubs marxistes et socialistes dans les universités, sans parler du « Militant Labor Forum », de Clubs Socialistes Indépendants et de la Jeunesse contre la guerre et le fascisme.
Dans les années trente, au moins, ça se comprenait. Les États-Unis étaient paralysés par la crise économique chronique la plus profonde et la plus longue de leur histoire. Les grandes offensives d’organisation des non-syndiqués menées par le CIO, leurs spectaculaires grèves sur le tas, leur militantisme et leurs heurts sanglants avec la police paraissaient être les seules forces vivantes capables de s’attaquer aux murs du capitalisme. Le climat politique mondial était électrisé par la guerre civile espagnole, la dernière des révolutions ouvrières classiques. À ce moment-là toutes les sectes de la gauche américaine pouvaient s’identifier à leurs propres colonnes à Madrid et à Barcelone. C’était il y a trente ans. C’était l’époque où on aurait considéré comme dingue quiconque aurait crié « Faites l’amour, pas la guerre ». On criait plutôt « Faites des emplois, pas la guerre» ; le cri d’un âge dominé par la pénurie économique. C’était l’époque où la réalisation du socialisme exigeait des « sacrifices » et une longue « période de transition » vers une économie d’abondance matérielle. Pour un type de dix-huit ans en 1937, la notion même de cybernétique appartenait à la science-fiction, un rêve comparable à l’odyssée spatiale. Ce type de dix-huit ans a maintenant cinquante ans et ses racines plongent dans une époque si lointaine qu’elle diffère qualitativement des réalités de l’Amérique contemporaine. Le capitalisme est devenu un capitalisme partiellement étatique, que l’on pouvait à peine entrevoir il y a trente ans.
Et on voudrait que nous retournions aux « analyses de classes », aux « stratégies », aux « cadres » et aux modes d’organisation de cette lointaine époque, au mépris complet des problèmes nouveaux et des possibilités nouvelles qui sont apparus depuis !
Quand apprendrons-nous à créer un mouvement révolutionnaire tourné vers le futur au lieu du passé ? Quand commencerons-nous à tirer la leçon de ce qui est en train de naître plutôt que de ce qui meurt ? C’est exactement ce que Marx essayait de faire à sa manière. Pendant les années 1840 et 1850, il essaya d’insuffler un esprit futuriste au mouvement révolutionnaire : « La tradition de toutes les générations mortes opprime comme un cauchemar l’esprit des vivants, écrivait-il dans “le 18 Brumaire de Louis Bonaparte”. Et c’est justement quand ils semblent révolutionner eux-mêmes et les choses qui les entourent, quand ils créent quelque chose de complètement neuf, c’est précisément à de tels moments de crise révolutionnaire qu’ils appellent anxieusement à leur aide les esprits du passé et leur empruntent des noms, des slogans et des costumes pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire du monde sous un déguisement traditionnel et avec un langage emprunté. C’est ainsi que Luther prit le masque de l’apôtre Paul, que la révolution de 1789 à 1814 se drape successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l’Empire romain, et que la Révolution de 1848 ne sut rien faire de mieux que de parodier tantôt 1789, tantôt la tradition révolutionnaire de 1793 à 1795… La révolution sociale du XIXe siècle ne peut tirer sa poésie du passé mais seulement du futur. Elle ne saurait naître que débarrassée de toute superstition passéiste… Pour atteindre son propre contenu la révolution du XIXe doit laisser les morts enterrer les morts. La forme débordait le contenu ; que le contenu déborde la forme ! »
En est-il autrement aujourd’hui que nous approchons du XXIe siècle ? Les morts marchent de nouveau parmi nous, drapés dans le nom de Marx, l’homme qui voulait enterrer les morts du XIXe siècle. La révolution contemporaine ne sait que parodier, à son tour, la révolution d’Octobre 1917 et la guerre civile de 1918 – 1920, avec ses « analyses de classes », son parti bolchevique, sa « dictature du prolétariat », sa moralité puritaine, et même son slogan « Tout le pouvoir aux soviets ». La révolution contemporaine totale, multidirectionnelle, qui saura finalement résoudre la « question sociale » née de la pénurie, de la domination et de la hiérarchie, suit la tradition des révolutions unidimensionnelles, partielles, incomplètes, du passé, qui ne firent que transformer la « question sociale » en remplaçant une hiérarchie, un système de domination par un autre. Au moment où la société bourgeoise elle-même est en train de désintégrer les classes sociales à qui elle devait sa stabilité, retentissent les cris trompeurs réclamant une « ligne de classe ». Au moment où toutes les institutions politiques de la société entrent dans une période de profonde décadence, retentissent les cris sans substance de « parti politique », « État ouvrier ». Au moment où la hiérarchie en tant que telle est remise en question, retentissent les cris : « cadres », « avant-garde », « leaders ». Au moment où la centralisation et l’État sont arrivés à un degré de négativité historique proche de l’explosion, retentissent les appels en faveur d’un « mouvement centralisé », et d’une « dictature du prolétariat ».
Cette recherche de la sécurité dans le passé, ces efforts pour trouver refuge dans un dogme fixé une fois pour toutes et dans une hiérarchie organisationnelle installée, tous ces substituts à une pensée et à une pratique créatrices, démontrent amèrement combien les révolutionnaires sont peu capables de « transformer eux-mêmes et la nature » [[Voir « Thèses sur Feuerbach ».]], et encore moins de transformer la société tout entière. Le profond conservatisme des « révolutionnaires » du PL est d’une évidence douloureuse : le parti autoritaire remplace la famille autoritaire [[Reich l’avait-il pressenti?]]; le leader et la hiérarchie autoritaires remplacent le patriarche et la bureaucratie universitaire ; la discipline exigée par le mouvement remplace celle de la société bourgeoise ; le code autoritaire d’obéissance politique remplace l’État ; le credo de la « moralité prolétarienne » remplace les mœurs du puritanisme et l’éthique du travail. L’ancienne substance de la société d’exploitation reparaît sous une apparence nouvelle, drapée dans le drapeau rouge, décorée du portrait de Mao (ou de Castro ou de Che) et dans le petit livre rouge et autres litanies sacrées.
La majorité de ceux qui restent au PL aujourd’hui le méritent bien. S’ils sont capables d’accepter une organisation qui colle ses propres slogans sur des photos de militants d’autres partis en action ; s’ils acceptent de lire une revue qui demande si Marcuse est un « poulet ou une poule mouillée », s’ils acceptent de manipuler d’autres organisations grâce à des techniques dégueulasses empruntées aux fosses d’aisance du monde parlementaire et affairiste bourgeois ; s’ils acceptent de parasiter toutes les actions et toutes les situations politiques pour promouvoir la croissance de leur propre parti, même si c’est au prix de l’échec de l’action parasitée ; s’ils acceptent tout cela, ils sont au-dessous de tout mépris. Que ces gens-là s’appellent des « rouges » et baptisent « chasse aux sorcières » toute attaque contre eux, est du maccarthysme à l’envers. Pour plagier la succulente description du stalinisme que l’on doit à Trotsky, ils représentent la syphilis de la jeune gauche d’aujourd’hui. Et pour la syphilis, il n’y a qu’un traitement : les antibiotiques, pas la discussion.
Nous nous adressons ici aux révolutionnaires honnêtes, qui se sont tournés vers le marxisme, le léninisme ou le trotskisme parce qu’ils cherchent ardemment une perspective sociale cohérente et une stratégie révolutionnaire efficace. Nous nous adressons aussi à tous ceux que l’arsenal théorique de l’idéologie marxiste impressionne et qui, en l’absence d’alternative systématique, se sentent disposés à flirter avec elle. À ceux-là, nous nous adressons comme à des frères et à des sœurs et nous leur demandons d’accepter de participer à une discussion sérieuse et à une réévaluation d’ensemble. Nous croyons que le marxisme a cessé d’être applicable à notre temps, non parce qu’il est trop visionnaire ou trop révolutionnaire, mais parce qu’il n’est ni assez visionnaire ni assez révolutionnaire. Nous croyons qu’il est né d’une période de pénurie et qu’il constitue une brillante critique de cette période et particulièrement du capitalisme industriel ; nous pensons qu’une période nouvelle est en train de naître que le marxisme n’avait pas adéquatement cernée et dont les contours ne furent anticipés que partiellement et de manière biaisée. Nous prétendons que le problème n’est ni d’abandonner le marxisme ni de l’annuler, mais de le transcender dialectiquement comme Marx transcende la philosophie hégélienne, l’économie ricardienne et la tactique et l’organisation blanquistes. Nous avançons que, à un stade de développement du capitalisme plus avancé que celui dont traita Marx il y a un siècle, et à un stade de développement technologique plus avancé que ce que Marx aurait pu anticiper, une critique nouvelle est nécessaire. De celle-ci sortiront de nouveaux modes de lutte, d’organisation, de propagande, et un style de vie nouveau. Appelez ceux-ci comme vous voudrez, même«marxisme » si le mot vous pend aux lèvres comme une croûte. Nous avons choisi de les nommer anarchie post-pénurielle pour un certain nombre de raisons qui deviendront plus claires dans les pages qui suivent.