La Presse Anarchiste

Les deux traditions

Il serait incroya­ble­ment naïf de pen­ser que le léni­nisme fut la pro­duc­tion aber­rante d’un seul homme. La mala­die vient de plus loin, non seule­ment des limites de la théo­rie mar­xiste mais des limites de la période his­to­rique qui enfan­ta le mar­xisme. À défaut d’avoir com­pris cela nous serons aus­si aveugles vis-à-vis de la dia­lec­tique des évé­ne­ments contem­po­rains que Marx, Engels, Lénine et Trots­ky l’étaient de leur temps. Cet aveu­gle­ment serait d’autant plus répré­hen­sible que nous avons der­rière nous un tré­sor d’expérience qui leur fai­sait cruel­le­ment défaut quand ils éla­bo­raient leurs théories.

Karl Marx et Frie­drich Engels étaient des cen­tra­listes, non seule­ment poli­ti­que­ment mais aus­si socia­le­ment et éco­no­mi­que­ment. C’est un fait qu’ils n’ont jamais nié ; leurs écrits sont truf­fés de pané­gy­riques res­plen­dis­sants de la cen­tra­li­sa­tion poli­tique, orga­ni­sa­tion­nelle et éco­no­mique. Dès mars 1850, dans leur fameuse « Adresse du Conseil cen­tral à la Ligue com­mu­niste », ils deman­daient aux tra­vailleurs de lut­ter non seule­ment pour la « Répu­blique alle­mande, une et indi­vi­sible, mais aus­si de lut­ter pour la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir entre les mains de l’autorité de l’État ». De crainte que cette requête ne soit prise à la légère, ils la répètent tout au long du para­graphe et concluent : « Comme en France en 1793, de même aujourd’hui, en Alle­magne, la réa­li­sa­tion de la plus stricte cen­tra­li­sa­tion est la tâche du vrai par­ti révo­lu­tion­naire ». Ce thème ne cesse de réap­pa­raître dans les années qui suivent. Lorsque éclate la guerre de 70, par exemple, Marx écrit à Engels : « Les Fran­çais ont besoin d’une raclée. Si les Prus­siens sont vic­to­rieux, la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir d’État sera utile à la cen­tra­li­sa­tion de la classe ouvrière alle­mande » [[Cf. lettres citées en intro­duc­tion à « la Guerre civile en France ».]].

Néan­moins, Marx et Engels n’étaient pas cen­tra­listes parce qu’ils croyaient aux ver­tus du cen­tra­lisme en tant que tel. Bien au contraire, Marx et l’anarchisme ont tou­jours été d’accord sur le fait qu’une socié­té com­mu­niste, libé­rée, implique une très large décen­tra­li­sa­tion, la dis­so­lu­tion de la bureau­cra­tie, l’abolition de l’État et l’éparpillement des grandes villes. Dans l’Anti-Dühring, Engels déclare que : « L’abolition de l’antithèse entre ville et cam­pagne n’est pas seule­ment pos­sible, c’est deve­nu une néces­si­té directe… La pol­lu­tion pré­sente de l’air, de l’eau et du sol ne sera arrê­tée que par la fusion de la ville et de la cam­pagne…» Pour Engels, ceci signi­fie « une dis­tri­bu­tion uni­forme de la popu­la­tion sur tout le pays » — en résu­mé, la décen­tra­li­sa­tion phy­sique des villes.

Le cen­tra­lisme mar­xiste trouve ses ori­gines dans des pro­blèmes ayant trait à la for­ma­tion de l’État natio­nal. Jusqu’au milieu du XIXe, l’Allemagne et l’Italie étaient divi­sées en une mul­ti­tude de duchés, de prin­ci­pau­tés et de royaumes indé­pen­dants. Pour Marx et Engels, l’unification de ces enti­tés géo­gra­phiques en nations était la condi­tion néces­saire du déve­lop­pe­ment capi­ta­liste et indus­triel. Leur louange du cen­tra­lisme n’est pas engen­drée par une mys­tique cen­tra­liste mais par les pro­blèmes de leur temps : le déve­lop­pe­ment de la tech­no­lo­gie, du com­merce, une classe ouvrière uni­fiée et l’État natio­nal. Autre­ment dit, ils étaient pré­oc­cu­pés de l’émergence du capi­ta­lisme, des tâches de la révo­lu­tion bour­geoise dans une ère d’inévitable pénu­rie maté­rielle. L’attitude de Marx vis-à-vis de la « révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne » est très dif­fé­rente. Il chante avec enthou­siasme les louanges de la Com­mune de Paris et la qua­li­fie de « modèle pour tous les centres indus­triels de France ». « Ce régime, écrit-il, une fois éta­bli à Paris et dans les centres secon­daires, l’ancien gou­ver­ne­ment cen­tra­li­sé aurait dans les pro­vinces aus­si dû faire place au gou­ver­ne­ment des pro­duc­teurs par eux-mêmes ». Bien enten­du, l’unité de la nation ne dis­pa­raî­trait pas et il y aurait un gou­ver­ne­ment cen­tral pen­dant la tran­si­tion vers le com­mu­nisme, mais ses attri­buts seraient limités.

Notre inten­tion n’est pas de bran­dir à la ronde des cita­tions de Marx, mais de faire valoir com­ment des prin­cipes-clefs du mar­xisme, pas­si­ve­ment accep­tés aujourd’hui, sont en fait le pro­duit d’une époque depuis long­temps trans­cen­dée par le déve­lop­pe­ment du capi­ta­lisme aux États-Unis et en Europe occi­den­tale. Dans son temps, Marx s’occupait non seule­ment des pro­blèmes de la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, mais aus­si des pro­blèmes de la révo­lu­tion bour­geoise, sur­tout en Alle­magne, en Espagne, en Ita­lie et en Europe de l’Est. Il trai­tait des pro­blèmes de tran­si­tion du capi­ta­lisme au socia­lisme dans les pays capi­ta­listes qui n’avaient guère dépas­sé la tech­no­lo­gie du char­bon et de l’acier de la révo­lu­tion indus­trielle. Il s’occupait aus­si des pro­blèmes liés à la tran­si­tion entre la féo­da­li­té et le capi­ta­lisme dans les pays qui n’étaient guère allés plus loin que l’artisanat et le sys­tème des cor­po­ra­tions. Plus géné­ra­le­ment, disons que Marx était pré­oc­cu­pé avant tout par les pré­con­di­tions de la liber­té (le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, l’unification natio­nale, l’abondance maté­rielle), plu­tôt que par les condi­tions de la liber­té (la décen­tra­li­sa­tion, la for­ma­tion de com­mu­nau­tés, l’échelle humaine, la démo­cra­tie directe). Ses théo­ries étaient encore ancrées dans le domaine de la sur­vi­vance, non dans le domaine de la vie.

Une fois ceci com­pris, on peut alors repla­cer le legs théo­rique de Marx dans une pers­pec­tive plus signi­fi­ca­tive — celle qui per­met d’en sépa­rer les fruc­tueuses contri­bu­tions de leurs chaînes his­to­ri­que­ment limi­tées et vrai­ment para­ly­santes pour notre époque. La dia­lec­tique mar­xiste, les nom­breuses contri­bu­tions fon­da­men­tales four­nies par le maté­ria­lisme his­to­rique, la superbe cri­tique des rap­ports mar­chands, de nom­breux élé­ments des théo­ries éco­no­miques, la théo­rie de l’aliénation et sur­tout la notion que la liber­té a besoin de pré­con­di­tions maté­rielles — tout cela est un apport durable pour la pen­sée révolutionnaire.

Pour les mêmes rai­sons, l’insistance de Marx au sujet du pro­lé­ta­riat indus­triel consi­dé­ré comme « l’agent » du chan­ge­ment révo­lu­tion­naire, son « ana­lyse de classe » pour expli­quer le pas­sage d’une socié­té de classes à une socié­té sans classes, son concept de la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat, son insis­tance sur le cen­tra­lisme, sa théo­rie du déve­lop­pe­ment capi­ta­liste qui tend à confondre capi­ta­lisme d’État et socia­lisme, son plai­doyer en faveur de l’action poli­tique par l’intermédiaire des par­tis élec­to­ra­listes — tout ceci, et de nom­breux autres concepts qui s’y rap­portent, est faux dans le contexte contem­po­rain, et était même comme nous allons le mon­trer déjà trom­peur à son époque. Ils ont été engen­drés par les limi­ta­tions de sa vision, ou plus exac­te­ment par les limi­ta­tions de son époque. Ils ne sont com­pré­hen­sibles que si l’on se rap­pelle que Marx consi­dé­rait le capi­ta­lisme comme un pro­grès his­to­rique, comme un stade indis­pen­sable avant le déve­lop­pe­ment du socia­lisme, et ils ne furent pra­ti­que­ment appli­cables qu’à l’époque où l’Allemagne, en par­ti­cu­lier, était confron­tée à des tâches bour­geoises-démo­cra­tiques et à l’unification natio­nale. En expo­sant ce point de vue rétros­pec­tif, nous n’essayons pas de dire que Marx avait rai­son de tenir un tel rai­son­ne­ment, mais sim­ple­ment que ce rai­son­ne­ment n’est com­pré­hen­sible que s’il est repla­cé dans son contexte his­to­rique et local.

De même que la révo­lu­tion russe com­por­tait un mou­ve­ment sou­ter­rain des masses en conflit contre le bol­che­visme, de même il existe un mou­ve­ment sou­ter­rain his­to­rique en conflit avec tous les sys­tèmes d’autorité. Ce mou­ve­ment est entré dans l’histoire sous le nom d’«anarchisme », bien qu’il n’ait jamais été doté d’un corps de textes sacrés ou d’une idéo­lo­gie unique. L’anarchisme est un mou­ve­ment vis­cé­ral de l’humanité contre la contrainte sous toutes ses formes, qui remonte à l’époque même où appa­rurent la socié­té de pro­prié­té, le pou­voir de classe et l’État. Depuis cette époque, les oppri­més ont résis­té à toutes les formes d’emprisonnement du déve­lop­pe­ment spon­ta­né de l’ordre social. Quel que soit le nom qu’on choi­sisse de lui don­ner, l’anarchisme a tou­jours sur­gi au pre­mier plan de la scène sociale dans les plus impor­tantes périodes de tran­si­tion entre deux ères his­to­riques. Le déclin du vieux monde féo­dal fut le témoin de l’apparition de mou­ve­ments de masse qui, dans cer­tains cas, avaient un carac­tère farou­che­ment dio­ny­siaque, et qui récla­maient la fin de tous les sys­tèmes d’autorité, de pri­vi­lège et de contrainte.

Les mou­ve­ments anar­chistes du pas­sé ont échoué en grande par­tie parce que la pénu­rie maté­rielle, due au faible niveau de la tech­no­lo­gie, faus­sait obli­ga­toi­re­ment toute har­mo­ni­sa­tion orga­nique des inté­rêts humains. Toute socié­té qui ne pou­vait pro­mettre plus que l’égalité dans la pau­vre­té, ten­dait irré­sis­ti­ble­ment à res­tau­rer un nou­veau sys­tème de pri­vi­lèges. En l’absence d’une tech­no­lo­gie capable de réduire d’une manière appré­ciable la jour­née de tra­vail, l’obligation de tra­vailler faus­sait les ins­ti­tu­tions sociales basées sur l’autogestion. Les giron­dins de la révo­lu­tion fran­çaise recon­nurent avec pers­pi­ca­ci­té qu’ils pou­vaient uti­li­ser la jour­née de tra­vail contre le Paris révo­lu­tion­naire. Pour exclure des sec­tions les élé­ments les plus radi­ca­li­sés, ils essayèrent de faire pas­ser une loi qui aurait impo­sé aux réunions d’assemblées de se ter­mi­ner avant 9 heures du soir, heure à laquelle les ouvriers pari­siens reve­naient de leur tra­vail. Ce n’est donc pas seule­ment les tech­niques pra­tiques mani­pu­la­toires et la tra­hi­son des orga­ni­sa­tions « d’avant-garde » qui mirent un terme aux phases anar­chiques des révo­lu­tions du pas­sé, c’est bien aus­si les pos­si­bi­li­tés maté­rielles limi­tées de ces époques révo­lues. Les « masses » étaient en effet tou­jours obli­gées de retour­ner à leur tra­vail quo­ti­dien et, de ce fait, elles jouis­saient rare­ment de la liber­té d’établir des organes d’autogestion capables de durer au-delà de la révolution.

Cepen­dant des anar­chistes tels que Bakou­nine ou Kro­pot­kine avaient rai­son de cri­ti­quer Marx pour son insis­tance au sujet du cen­tra­lisme et ses notions éli­tistes d’organisation. Le cen­tra­lisme a‑t-il été, dans le pas­sé, abso­lu­ment néces­saire au pro­grès tech­no­lo­gique ? L’État natio­nal était-il indis­pen­sable à l’expansion du com­merce ? Est-ce que le mou­ve­ment ouvrier a béné­fi­cié de l’apparition d’entreprises éco­no­miques extrê­me­ment cen­tra­li­sées et d’États « indi­vi­sibles » ? Nous avons tou­jours ten­dance à accep­ter sans les cri­ti­quer ces prin­cipes mar­xistes, en grande par­tie parce que le capi­ta­lisme s’est déve­lop­pé dans un milieu poli­tique cen­tra­li­sé. Les anar­chistes du siècle pas­sé nous ont pour­tant aver­ti que l’approche cen­tra­li­sa­trice de Marx, dans la mesure où elle aurait une influence sur les évé­ne­ments, aurait pour consé­quence de tel­le­ment conso­li­der la bour­geoi­sie et l’appareil d’État, que le ren­ver­se­ment du capi­ta­lisme en devien­drait extrê­me­ment dif­fi­cile. Les par­tis révo­lu­tion­naires en reco­piant ces carac­té­ris­tiques cen­tra­li­sa­trices et hié­rar­chi­santes, ne feraient que repro­duire la hié­rar­chie et la cen­tra­li­sa­tion dans la socié­té post-révolutionnaire.

Bakou­nine, Kro­pot­kine et Mala­tes­ta n’étaient pas assez naïfs pour croire que l’anarchie pour­rait être ins­tau­rée du jour au len­de­main. En impu­tant cette idée à Bakou­nine, Marx et Engels défor­mèrent volon­tai­re­ment les concep­tions des anar­chistes russes. De même, jamais les anar­chistes du siècle pas­sé n’ont cru que l’abolition de l’État impli­quait de « dépo­ser les armes » immé­dia­te­ment après la révo­lu­tion, ain­si que Marx l’a dit d’une manière obs­cu­ran­tiste, et ain­si que Lénine l’a répé­té étour­di­ment dans « l’État et la Révo­lu­tion ». En fait, beau­coup de ce qui passe pour être du « mar­xisme » dans « l’État et la Révo­lu­tion » est de l’anarchisme pur et simple : le rem­pla­ce­ment des corps armés pro­fes­sion­nels par des milices révo­lu­tion­naires, le rem­pla­ce­ment des corps par­le­men­taires par des organes d’autogestion. Ce qui est authen­ti­que­ment mar­xiste dans le pam­phlet de Lénine, c’est l’exigence d’un « cen­tra­lisme strict », l’acceptation d’une « nou­velle » bureau­cra­tie et l’identification des soviets à l’État.

Les anar­chistes du siècle pas­sé étaient pro­fon­dé­ment pré­oc­cu­pés par le pro­blème de la réa­li­sa­tion de l’industrialisation sans écra­se­ment de l’esprit révo­lu­tion­naire des « masses » et sans retar­der par de nou­veaux obs­tacles leur éman­ci­pa­tion. Ils crai­gnaient que la cen­tra­li­sa­tion ne ren­force la capa­ci­té de la bour­geoi­sie à résis­ter à la révo­lu­tion, et n’inspire aux tra­vailleurs le sens de l’obéissance. Ils essayèrent de sau­ver toutes les formes com­mu­nau­taires pré­ca­pi­ta­listes (telles que le mir russe ou le pue­blo espa­gnol) qui auraient pu four­nir un trem­plin vers une socié­té libre, d’un point de vue non seule­ment struc­tu­rel, mais aus­si spirituel.

C’est pour cela qu’ils insis­tèrent sur la néces­si­té de la décen­tra­li­sa­tion, même sous le capi­ta­lisme. Au contraire des par­tis mar­xistes, leur orga­ni­sa­tion por­tait une atten­tion consi­dé­rable à ce qu’ils appe­laient « l’éducation inté­grale » — le déve­lop­pe­ment de l’homme entier — pour contre­ba­lan­cer l’influence avi­lis­sante et bana­li­sante de la socié­té bour­geoise. Les anar­chistes essayaient de vivre sui­vant les valeurs du futur dans la mesure où cela était pos­sible dans la socié­té capi­ta­liste. Ils croyaient à l’action directe pour déve­lop­per l’initiative des « masses », pour pré­ser­ver l’esprit de la révo­lu­tion, pour encou­ra­ger la spon­ta­néi­té. Ils essayèrent de déve­lop­per des orga­ni­sa­tions basées sur l’aide mutuelle et la fra­ter­ni­té, dans les­quelles le contrôle aurait été exer­cé de bas en haut, et non de haut en bas.

Nous devons nous arrê­ter quelques ins­tants pour exa­mi­ner la nature des formes d’organisation anar­chistes un peu en détail, ne serait-ce que parce que le sujet a été obs­cur­ci par une quan­ti­té effa­rante de conne­ries. Les anar­chistes, ou tout au moins les com­mu­nistes-anar­chistes, acceptent la néces­si­té de s’organiser [[Le terme « anar­chiste » est un terme géné­rique, comme celui de « socia­liste » , et il y a pro­ba­ble­ment autant de sortes dif­fé­rentes d’anarchistes qu’il y en a de socia­listes. Dans les deux cas, l’éventail va des indi­vi­dus dont les vues sont une exten­sion du libé­ra­lisme (les « anar­chistes indi­vi­dua­listes », les sociaux-démo­crates), jusqu’aux com­mu­nistes révo­lu­tion­naires (les anar­chistes-com­mu­nistes, les mar­xistes, léni­nistes et trots­kystes révo­lu­tion­naires). En par­lant d’anarchistes ici, nous nous réfé­rons aux anar­chistes-com­mu­nistes, non pas aux dis­ciples de Max Stir­ner et aux admi­ra­teurs de Paul Good­man. Les dif­fé­rences entre les anar­chistes com­mu­nistes et les écoles réfor­mistes ou indi­vi­dua­listes sont aus­si impor­tantes que celles qui existent entre socia­listes réfor­mistes et com­mu­nistes révo­lu­tion­naires.]]. Avoir à répé­ter cela devrait paraître aus­si absurde que de dis­cu­ter pour savoir si Marx pen­sait que la révo­lu­tion sociale était nécessaire.

La véri­table ques­tion qui se pose ici, ce n’est pas l’organisation contre la non-orga­ni­sa­tion, mais plu­tôt quelle sorte d’organisation les com­mu­nistes-anar­chistes essayent d’établir. Ce que les dif­fé­rentes sortes d’organisations com­mu­nistes-anar­chistes ont en com­mun c’est qu’elles se déve­loppent orga­ni­que­ment à par­tir de la base, au lieu d’être conçues au som­met. Ce sont des mou­ve­ments sociaux qui com­binent un style de vie créa­tif et révo­lu­tion­naire à une théo­rie créa­trice et révo­lu­tion­naire, et non des par­tis poli­tiques dont le mode de vie ne peut être dis­tin­gué de celui de leur envi­ron­ne­ment bour­geois et dont l’idéologie se réduit à des « pro­grammes rigides » qui ont « fait leurs preuves ». Elles essayent de reflé­ter le plus humai­ne­ment pos­sible la socié­té libé­rée qu’elles cherchent à réa­li­ser et non de reco­pier ser­vi­le­ment le sys­tème domi­nant de hié­rar­chie, de classes et d’autorité. Elles sont construites autour de groupes intimes de frères et de sœurs — des groupes d’affinité —, dont la capa­ci­té à agir en com­mun est fon­dée sur l’initiative, des convic­tions libre­ment accep­tées et un pro­fond enga­ge­ment per­son­nel, non sur un appa­reil bureau­cra­tique incar­né par des membres dociles, et mani­pu­lés d’en haut par une poi­gnée de diri­geants omniscients.

Les com­mu­nistes-anar­chistes ne nient pas la néces­si­té d’une coor­di­na­tion entre les groupes, de la dis­ci­pline, d’une pla­ni­fi­ca­tion méti­cu­leuse et de l’unité d’action. Mais ils pensent que la coor­di­na­tion, la dis­ci­pline, la pla­ni­fi­ca­tion et l’unité d’action doivent être réa­li­sés volon­tai­re­ment, au moyen d’une auto­dis­ci­pline basée sur la convic­tion et la com­pré­hen­sion, et non par la contrainte et une obéis­sance aveugle aux ordres venus d’en haut. Ils essayent d’obtenir l’efficacité impu­tée au cen­tra­lisme, au moyen du volon­ta­risme et de l’analyse et non en éta­blis­sant une struc­ture hié­rar­chique et cen­tra­li­sée. Sui­vant les besoins et les cir­cons­tances, les groupes d’affinité peuvent atteindre cette effi­ca­ci­té au moyen d’assemblées, de comi­tés d’action ou de confé­rences locales, régio­nales ou natio­nales. Mais ils s’opposent vigou­reu­se­ment à l’établissement d’une struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle qui devien­drait une fin en soi, de comi­tés qui traînent après avoir accom­pli leurs tâches pra­tiques, d’une « direc­tion » qui réduit le « révo­lu­tion­naire » à un robot inintelligent.

Ces conclu­sions ne sont pas le résul­tat d’impulsions fan­tai­sistes et « indi­vi­dua­listes» ; elles ont été engen­drées par une étude exi­geant des révo­lu­tions pas­sées, de l’impact qu’ont eu les par­tis cen­tra­li­sés sur le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire et de la nature des trans­for­ma­tions sociales dans une époque d’abondance maté­rielle poten­tielle. Les com­mu­nistes-anar­chistes cherchent à pré­ser­ver et à étendre la phase anar­chiste qui consti­tue le point de départ de toutes les grandes révo­lu­tions sociales. Plus même que les mar­xistes, ils recon­naissent que les révo­lu­tions sont pro­duites par des pro­ces­sus his­to­riques pro­fonds. Aucun comi­té cen­tral n’a jamais « fait » de révo­lu­tion sociale. Au mieux, il peut mon­ter un coup d’État et rem­pla­cer ain­si une hié­rar­chie par une autre, — au pire, il peut s’il a une large influence, arrê­ter un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire. Un comi­té cen­tral est un organe dont le but est de conqué­rir le pou­voir, de recréer le pou­voir, de recueillir pour lui-même ce que les « masses » ont réa­li­sé grâce à leurs efforts révo­lu­tion­naires. Il faut être com­plè­te­ment aveugle à tout ce qui s’est pas­sé depuis deux cents ans pour ne pas recon­naître ces faits essentiels.

Sans que cela soit valide, il est tout de même com­pré­hen­sible que, dans le pas­sé, les mar­xistes aient récla­mé un par­ti cen­tra­li­sé car la phase anar­chiste de la révo­lu­tion était tou­jours faus­sée par la pénu­rie maté­rielle. Éco­no­mi­que­ment, les « masses » étaient tou­jours obli­gées de retour­ner à leur labeur quo­ti­dien. Même en dehors des inten­tions réac­tion­naires des giron­dins de 1793, la révo­lu­tion fer­mait « à 9 heures» ; elle était stop­pée par le faible niveau tech­no­lo­gique. Aujourd’hui, même cette der­nière excuse a dis­pa­ru du fait du déve­lop­pe­ment d’une « tech­no­lo­gie post-pénu­rielle », en par­ti­cu­lier aux États-Unis, et en Europe de l’Ouest. Nous avons main­te­nant atteint un point où les masses peuvent com­men­cer presque tous les jours à accroître éner­gi­que­ment le « royaume de la liber­té », dans le sens mar­xiste — c’est-à-dire acqué­rir le temps libre néces­saire pour réa­li­ser le plus haut degré d’autogestion.

Ce que les évé­ne­ments de mai-juin en France ont mon­tré, c’est qu’il n’y avait pas besoin d’un par­ti cen­tra­li­sé, de type bol­che­vique (ces par­tis existent à pro­fu­sion et sont res­tés bien en deçà des évé­ne­ments), mais qu’il y avait besoin d’une plus grande conscience dans les « masses ». Paris a démon­tré qu’il y a besoin d’une orga­ni­sa­tion pour pro­pa­ger sys­té­ma­ti­que­ment les idées, — et non seule­ment des idées, mais des idéaux qui mettent en avant le concept d’autogestion. Ce qui man­quait aux « masses » fran­çaises, ce n’était pas un comi­té cen­tral ou un Lénine pour les « orga­ni­ser » et les « com­man­der », c’était la convic­tion qu’elles auraient pu faire fonc­tion­ner les usines au lieu de sim­ple­ment les occu­per. Il est remar­quable qu’aucun par­ti de type bol­che­vique en France ne fit sienne la reven­di­ca­tion d’autogestion ; une telle reven­di­ca­tion ne fut le fait que des anar­chistes et des situa­tion­nistes (et, pour être juste, d’une bonne par­tie de la CFDT). (ndt)

Une orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire est néces­saire mais il faut tou­jours gar­der clai­re­ment à l’esprit ce qu’est sa fonc­tion. Elle com­porte d’abord une tâche de pro­pa­gande, « d’explication patiente », comme le note Lénine. Dans une situa­tion révo­lu­tion­naire, l’organisation révo­lu­tion­naire pré­sente les reven­di­ca­tions les plus avan­cées : elle est prête à for­mu­ler à chaque tour­nant des évé­ne­ments — et d’une manière extrê­me­ment concrète — les tâches immé­diates qui doivent être rem­plies pour faire avan­cer le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire. C’est elle enfin qui four­nit les élé­ments les plus har­dis aux organes de la révo­lu­tion, du point de vue de l’action et de la décision.

De quelle manière les groupes com­mu­nistes-anar­chistes se dif­fé­ren­cient-ils donc des par­tis de type bol­che­vique ? Cer­tai­ne­ment pas sur des points tels que le besoin d’organisation, de coor­di­na­tion, de pla­ni­fi­ca­tion, de pro­pa­gande sous toutes ses formes, ou la néces­si­té d’un pro­gramme social. Ils se dis­tinguent fon­da­men­ta­le­ment des par­tis de type bol­che­vique par le fait qu’ils croient que les véri­tables révo­lu­tion­naires, doivent tra­vailler dans le cadre des formes créées par la révo­lu­tion, et non dans celui des formes créées par le par­ti. Cela veut dire que ce qui les inté­resse, ce sont les organes révo­lu­tion­naires d’autogestion et non « l’organisation » révo­lu­tion­naire, ce sont les formes sociales et non les formes poli­tiques. Les com­mu­nistes-anar­chistes cherchent à per­sua­der les comi­tés, les assem­blées ou les soviets d’usine de se trans­for­mer d’eux-mêmes en organes véri­tables d’autogestion popu­laire, ils ne cherchent pas à les domi­ner, à les mani­pu­ler, ou à les incor­po­rer à un par­ti poli­tique omni­scient. Les com­mu­nistes-anar­chistes ne cherchent pas à construire une struc­ture d’État au-des­sus de ces organes popu­laires révo­lu­tion­naires, mais au contraire à dis­soudre toutes les formes orga­ni­sa­tion­nelles de la période pré­ré­vo­lu­tion­naire (y com­pris la leur propre) dans ces véri­tables organes révolutionnaires.

Ces dif­fé­rences avec les par­tis de type bol­che­vique sont déci­sives. Mal­gré leur rhé­to­rique et leurs slo­gans, les bol­che­viques russes n’ont jamais cru aux soviets ; ils les consi­dé­rèrent comme des ins­tru­ments du par­ti bol­che­vique, atti­tude que les trots­kistes fran­çais ont fidè­le­ment reprise vis-à-vis des assem­blées étu­diantes de la Sor­bonne, les maoïstes fran­çais vis-à-vis de la CGT, et le PL vis-à-vis du SDS. Dès 1921, les soviets étaient vir­tuel­le­ment morts, et toutes les déci­sions étaient prises par le comi­té cen­tral bol­che­vique ou par le bureau poli­tique. Non seule­ment les com­mu­nistes-anar­chistes cherchent à empê­cher les par­tis mar­xistes de répé­ter ce coup, mais ils cherchent aus­si à empê­cher leur propre orga­ni­sa­tion de jouer un rôle simi­laire. Par consé­quence, ils essayent d’éviter l’apparition par­mi eux d’une bureau­cra­tie, d’une hié­rar­chie et des élites. De plus, et ce n’est pas le moins impor­tant, ils essaient de se refaire eux-mêmes ; d’arracher de leur propre per­son­na­li­té cette pro­pen­sion à l’autoritarisme et à l’élitisme qui, dans une socié­té basée sur la pro­prié­té, est assi­mi­lée presque dès la nais­sance. Si le mou­ve­ment anar­chiste se sent concer­né par le style de vie, ce n’est pas seule­ment parce qu’il est pré­oc­cu­pé de sa propre inté­gri­té, mais aus­si de l’intégrité de la révo­lu­tion elle-même [[C’est cet objec­tif, pour­rions-nous ajou­ter, qui motive le dadaïsme anar­chiste — la fête anar­chiste — et qui fait appa­raître des rides de conster­na­tion sur les faces de bois des types du PL. Le « trip » anar­chiste fait écla­ter les valeurs internes héri­tées de la socié­té hié­rar­chique, fait explo­ser les rigi­di­tés créées par le pro­ces­sus bour­geois de socia­li­sa­tion. C’est une ten­ta­tive pour abattre le sur-moi qui exerce un effet para­ly­sant sur la spon­ta­néi­té, l’imagination et la sen­si­bi­li­té ; en fait, c’est une ten­ta­tive de res­tau­ra­tion du désir, du pos­sible et du mer­veilleux — de la révo­lu­tion comme joyeuse fêté libératrice.]].

Au milieu de la mul­ti­tude décon­cer­tante de cou­rants idéo­lo­giques de notre époque, une ques­tion doit tou­jours res­ter au pre­mier plan : pour­quoi essayons-nous de faire une révo­lu­tion ? Est-ce que nous essayons de faire une révo­lu­tion pour recréer une hié­rar­chie, et ain­si en agi­tant devant les yeux de l’humanité un rêve obs­cur de liber­té future ? Est-ce pour déve­lop­per encore plus le pro­grès tech­no­lo­gique de manière à créer une abon­dance de biens encore plus grande que celle qui existe déjà ? Est-ce pour « éga­ler » la bour­geoi­sie ? Est-ce pour ame­ner le PL au pou­voir ? Ou le par­ti com­mu­niste ? Ou le Socia­list Wor­kers Par­ty ? Est-ce pour éman­ci­per des abs­trac­tions telles que le « pro­lé­ta­riat », le « peuple », « l’histoire », la « société » ?

Ou est-ce fina­le­ment pour dis­soudre la hié­rar­chie, la règle de classes, la contrainte — pour per­mettre à chaque indi­vi­du de prendre le contrôle de sa vie quo­ti­dienne ? N’est-ce pas pour rendre chaque ins­tant aus­si mer­veilleux qu’il pour­rait l’être et la vie de chaque indi­vi­du aus­si com­blée que pos­sible ? Si le véri­table but de la révo­lu­tion est d’amener au pou­voir les hommes néan­der­tha­liens du PL, ça ne vaut vrai­ment pas la peine de la faire. Il est à peine besoin de dis­cu­ter la ques­tion stu­pide de savoir si le déve­lop­pe­ment indi­vi­duel peut être sépa­ré du déve­lop­pe­ment social et com­mu­nau­taire ; les deux vont évi­dem­ment ensemble. La base de l’homme entier est une socié­té entière ; la base de l’homme libre est une socié­té libre.

Ces pro­blèmes étant mis de côté, nous sommes cepen­dant tou­jours confron­tés à la ques­tion que Marx sou­le­va en 1850 : Quand allons-nous com­men­cer à prendre notre poé­sie dans le futur au lieu du pas­sé ? On doit lais­ser les morts enter­rer les morts. Le mar­xisme est mort parce qu’il était enra­ci­né dans une ère de pénu­rie maté­rielle ; parce que ses pos­si­bi­li­tés étaient limi­tées par le besoin maté­riel. Le mes­sage social le plus impor­tant du mar­xisme est que la liber­té a des pré­con­di­tions maté­rielles : il faut sur­vivre pour pou­voir vivre. Grâce au déve­lop­pe­ment d’une tech­no­lo­gie que la science-fic­tion la plus déli­rante n’aurait jamais pu conce­voir du temps de Marx, les pos­si­bi­li­tés d’une socié­té post-pénu­rielle s’offrent main­te­nant à nous. Toutes les ins­ti­tu­tions de la socié­té basée sur la pro­prié­té, — les règles de classe, la hié­rar­chie, la famille patriar­cale, la bureau­cra­tie, la ville, l’État — sont main­te­nant sur leur déclin. Aujourd’hui, la décen­tra­li­sa­tion n’est pas seule­ment dési­rable en tant que moyen pour retrou­ver une échelle humaine ; elle devient néces­saire pour recréer une éco­lo­gie viable, pour pro­té­ger la vie de cette pla­nète, des pol­luants des­truc­teurs et de l’érosion du sol, pour pré­ser­ver le renou­vel­le­ment d’une atmo­sphère res­pi­rable et l’équilibre de la nature. La pro­mo­tion de la spon­ta­néi­té est néces­saire si l’on veut que la révo­lu­tion sociale rende à chaque indi­vi­du le contrôle de sa vie quotidienne.

Les anciennes formes de lutte ne dis­pa­raissent pas tota­le­ment, avec la décom­po­si­tion de la socié­té de classes, mais elles sont trans­cen­dées par les pro­blèmes d’une socié­té sans classes. Il n’y aura pas de révo­lu­tion sociale sans ral­lie­ment des tra­vailleurs ; c’est pour­quoi ils ont besoin de notre soli­da­ri­té active chaque fois qu’ils mènent une lutte contre l’exploitation. Nous com­bat­tons les crimes sociaux par­tout où ils appa­raissent, — et l’exploitation indus­trielle est un crime social profond.

Mais de même, le racisme, le refus du droit des peuples à l’autodétermination, l’impérialisme, la pau­vre­té sont des crimes sociaux graves — et, pour la même rai­son, la pol­lu­tion, l’urbanisation sau­vage, la méchante socia­li­sa­tion de la jeu­nesse et la répres­sion sexuelle. Nous ne fai­sons pas « d’alliances» ; au contraire, nous essayons de détruire les bar­rières elles-mêmes — qu’elles soient de classe, cultu­relles, ins­ti­tu­tion­nelles ou psy­cho­lo­giques — qui rendent les alliances néces­saires. La condi­tion pré­li­mi­naire à l’existence de la bour­geoi­sie est le déve­lop­pe­ment du pro­lé­ta­riat. Le capi­ta­lisme, en tant que sys­tème social, pré­sup­pose l’existence des deux classes, il est per­pé­tué par le déve­lop­pe­ment des deux classes. On ne com­mence à miner le pou­voir de classe que dans la mesure où on encou­rage la déclas­si­fi­ca­tion des classes non bour­geoises, au moins ins­ti­tu­tion­nel­le­ment, psy­cho­lo­gi­que­ment et culturellement.

Pour la pre­mière fois dans l’histoire, et grâce au pro­grès tech­no­lo­gique de notre époque, la phase anar­chiste qui a ouvert toutes les grandes révo­lu­tions du pas­sé peut être pré­ser­vée et deve­nir une condi­tion per­ma­nente. Les ins­ti­tu­tions anar­chistes de cette phase — les assem­blées, les comi­tés d’usine, les comi­tés d’action — peuvent être sta­bi­li­sées et deve­nir les élé­ments d’une socié­té libé­rée, les élé­ments d’un sys­tème nou­veau d’autogestion. Sau­ra-t-on construire un mou­ve­ment capable de les défendre ? Peut-on créer une orga­ni­sa­tion com­po­sée de groupes affi­ni­taires qui soient capables de se dis­soudre dans des ins­ti­tu­tions révo­lu­tion­naires ? Ou veut-on créer un par­ti hié­rar­chi­sé, cen­tra­li­sé, bureau­cra­tique, qui essaye­ra de les domi­ner, de les sup­plan­ter et, fina­le­ment, de les détruire.

Écoute mar­xiste ! L’organisation que nous essayons de construire est à l’image de la socié­té que notre révo­lu­tion crée­ra. Ou bien nous nous dépouille­rons du pas­sé — en nous-même et dans nos groupes — ou bien il n’y aura sim­ple­ment pas de futur à conquérir.

« Anar­chos », mai 1969 

La Presse Anarchiste