Écrit par Murray Bookchin [[Participe à la revue américaine « Anarchos », auteur d’un récent recueil d’essais intitulé « Post-scarcity Anarchism » (« l’Anarchisme post-pénuriel », non traduit en français), Ramparts Press Ed.
« Murray Bookchin est anarchiste-communiste, humaniste et révolutionnaire. Il a ajouté à la tradition un nouveau trait : il est aussi écologiste. » (« Win Magazine », 15 novembre 1971)
« Ayant rompu avec Bookchin déjà depuis décembre 1967 au sujet de son ardente défense de militants sacrificiels et de mystiques, nous ajouterons seulement que nous nous intéressons aux individus consciemment engagés dans la négation de la société de classes (qui, pour Bookchin, n’existe pas, ou, si elle existe, n’a pas d’importance).» (« Situationist International », n° 1, juin 1969).]] pour la revue « Anarchos » de New York, il a été traduit par des camarades des Beaux Arts de Paris, ronéotypé, et apporté à Strasbourg par un camarade venant de Nice. Il a échoué à la Librairie-Bazar-Coopérative où l’un d’entre nous l’a récupéré. Ce n’est certes pas le premier texte qui fait un tel voyage et cela n’a pas suffit pour que nous le publiions. C’est sur les raisons de cette publication qu’il faut s’expliquer.
Le titre original était « Écoute marxiste ! ». Nous l’avons changé. Il était destiné aux marxistes de tout poil. Nous le considérons comme un élément important, comme une contribution fondamentale au débat existant actuellement au sein du mouvement anarchiste. Contradiction de surface ? Non, problème de fond.
Le débat en cours porte essentiellement sur le problème de l’organisation, ce qui n’est absolument pas neuf. De telles discussions existent depuis qu’il y a des anarchistes : ce qui d’ailleurs en montre bien les limites. En effet, de tels débats interviennent après que des crises importantes eurent montré tout à la fois que l’intuition des anarchistes et le mouvement populaire se rejoignaient dans les premiers jours d’une crise révolutionnaire, mais que, par la suite, leur non-structuration les empêchait de pouvoir impulser les événements d’une façon libertaire. Les masses étaient alors récupérées par les tendances autoritaires, c’est-à-dire les marxistes-léninistes. Expliquant alors la cause de leur échec par le fait de leur non-organisation, on a vu et on voit toujours des camarades essayer de conjuguer l’esprit libertaire avec la création d’une organisation efficace pour ne pas dire léniniste. À ce propos, le mode d’organisation proposé par ce texte semblera idéal, et c’est là que le bât blesse. Un camarade disait que ce texte apparaîtrait comme bien trop favorable aux anarchistes alors que la réalité est différente.
Une question fondamentale se pose : Comment, avec des théories si intéressantes, le mouvement anarchiste peut-il apparaître si fangeux ? Il serait vain de vouloir passer en revue les différents groupes et leurs problèmes, un article fort intéressant du dernier « Recherche libertaire », le fait d’une façon très pertinente. Un de nos prochains numéros écrit par un camarade extérieur au«groupe » posera«la Question anarchiste »
Nous ne destinons pas ce texte aux marxistes-léninistes parce que nous n’avons aucun dialogue en cours avec eux, ce serait donc parler dans le vide. En fait, nous pensons que ce texte s’adresse à tous ceux qui, non étiquetés, pensent comme on le leur a appris qu’il est nécessaire, pour mener à bien une révolution, d’avoir un organe central de décision et de direction. Il s’adresse aussi à ceux qui, au contraire, sachant ce à quoi conduisent les révolutions de parti, pensent que la révolution procède du domaine du rêve et acceptent la situation comme inchangeable.
Nous avons modifié le titre parce que nous savons qu’il existe un courant de marxistes appelé, à tort ou à raison, « communistes de conseils », dont les positions ont peu à voir avec celles des marxistes-léninistes. L’auteur de ce texte ne les connaîtrait-il pas ? Ces marxistes, ce sont les gauchistes historiques ; c’est contre eux que Lénine vitupère dans « la Maladie infantile du communisme ». Ils n’ont que peu à faire, si ce n’est rien, avec les gauchistes d’aujourd’hui.
De même façon que précédemment, il vaut mieux renvoyer ceux de nos lecteurs qui seraient intéressés à l’excellent livre de R. Gombin, « les Origines du gauchisme », paru dans la collection « P » au Seuil. De l’avis de certains d’entre nous, c’est de chez eux que peut venir la possibilité d’un dépassement de l’anarchisme et du marxisme traditionnels.
Sur le fond, que dire du texte que nous publions ? Peu de choses, car la publication se fait avant que nous en ayons réellement discuté entre nous. Il ne fait pourtant aucun doute que le problème le plus important est celui du rôle du prolétariat. Pour « Ànarchos », comme pour la revue marxiste « Invariance », il y a une nouvelle classe en formation ; cette nouvelle classe contient en elle-même sa négation, c’est une classe-non-classe, issue de la dissolution de la société euro-nord-américaine, conséquence de la prolétarisation des couches moyennes de la société. Le débat est là, beaucoup plus qu’à propos de la validité du marxisme et du problème de l’organisation.
Ce texte est un jalon dans la réflexion entreprise par quelques-uns d’entre nous depuis peu de temps.
Anarchistes non violents, nous avions essayé de sortir la non-violence de sa gangue religieuse, de lui donner une dimension radicale en l’associant à ce qui nous paraissait être sa suite logique au niveau économique et social, à savoir l’anarchisme. Nous pensons avoir avancé dans ce sens. On peut dire qu’il existe aujourd’hui un courant anarchiste non violent d’ailleurs indépendant de nous. Ce qui n’existait pas il y a encore quatre ans. Maintenant, se pose à nous le problème de l’anarchisme, non pas en tant qu’idéologie, ce qu’il est si peu, mais en tant que moyen de compréhension de la réalité sociale, ce que d’aucuns appellent le mouvement réel du prolétariat et des organes autonomes qu’il se donne dans sa lutte contre le capital. Organes dont les plus connus sont appelés conseils ouvriers.
Comité de rédaction de ce numéro.